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Sommaire Art et Culture Automne 1995 - Tishri 5756

Éditorial - Septembre 1995
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Béla Czobel (1883-1976)

Par Oscar Ghez, Président-Fondateur du Petit Palais à Genève
C'est avec plaisir que je m'entretiens avec vous aujourd'hui du grand peintre hongrois BÉLA CZOBEL. C'est la galerie Zak, qui se trouvait presque à l'angle de la rue Bonaparte à Paris, qui exposait et vendait ses toiles très recherchées par les amateurs. J'ai fort bien connu cet artiste de l'École de Paris qui venait régulièrement en France pendant les pires moments du communisme. C'était un homme âgé qui voyageait en emportant ses toiles roulées sous le bras. C'est ainsi qu'il les sortait de Hongrie, les douaniers le connaissaient très bien et ayant beaucoup de respect pour lui le laissaient repartir avec son paquet...
Béla Czobel était un homme affable et d'une grande humilité ce qui m'impressionnait tout particulièrement. Un timbre a été édité dans son pays à 6 millions d'exemplaires, représentant le portrait d'une jeune femme, conservatrice du musée de Budapest, que j'ai aussi bien connue et qui m'a fait visiter le musée Czobel à Szentendre.
Béla Czobel, "le plus français des artistes hongrois", comme a pu l'écrire à son sujet George Besson, vécut la majeure partie de sa vie en dehors de son pays natal, principalement à Paris, tout en restant profondément attaché à la Hongrie.
Juif, il était un homme d'une grande modestie et simplicité, qui ne vivait que pour la joie de peindre. Bien qu'ayant eu un début de carrière fulgurant, le hasard des différentes guerres et circonstances qui le tinrent éloigné de Paris, le laissèrent longtemps méconnu du grand public. Il fut pendant de nombreuses années ce que l'on peut appeler un "peintre maudit". Ce n'est que durant les années cinquante que l'on recommença à donner à Czobel le mérite et le rang qui lui sont dus en tant que peintre original, créateur indépendant qui n'a rien sacrifié au succès, ni au charme de ses admirateurs du début du siècle. A ce propos et comme modeste contribution de reconnaissance artistique, Waldemar George a pu écrire sur Czobel que "ses vues urbaines aux graves et denses sonorités ne sont ni moins intenses, ni moins dynamiques, ni moins explosives qu'une toile de Soutine".
Mais Czobel n'a nul besoin de flatteries et de compliments gratuits. Son art parle de lui-même et soutient toute comparaison. Les premières expériences artistiques de Czobel furent hongroises; entre 1902 et 1906, il étudia l'été à l'École de peinture de Nagybana, maintenant en territoire roumain. Cette école se remarquait spécialement par une union très particulière et tout à fait hongroise entre une vue poétique de la nature et une approche consciente des qualités humaines. Cela eut sans aucun doute un effet à long terme sur l'approche philosophique et artistique que Czobel avait à l'endroit de sa peinture.
Durant les années 1902-1903, il étudia aussi à l'Académie de Munich, puis ce fut l'arrivée à Paris où il travailla à l'Académie Julian pendant les années 1903-1904. L'été en Hongrie, le reste de l'année à Paris ou dans une autre capitale, voilà un mode de vie et une habitude prise dans sa jeunesse qui ne le quitteront plus. Il plongea dans la scène artistique parisienne avec une fougue et une rapidité extrême. Il fut intime de Picasso, Matisse et surtout de Braque, peu de temps après son arrivée à Paris. Dès 1905 il prit part à l'exposition célèbre du Salon d'Automne où le critique d'art Louis Vauxcelles donna, par son exclamation de stupeur causée par la violence des couleurs des tableaux exposés, le nom de "Fauves" à tous ces jeunes peintres inconnus alors, qui atteignirent depuis une célébrité mondiale.
Czobel exposa à ce Salon avec Valtat, Matisse, Derain, Marquet, Vlaminck, Friesz et Jean Puy. C'est à la Galerie Berthe Weill, en 1907, qu'il fit sa première exposition personnelle; le monde de l'art parisien de cette époque le considérait comme un peintre de talent à l'avenir prometteur et extrêmement original. Grand admirateur de van Gogh, il sut se démarquer des autres fauves en développant un style graphique personnel, et ceci en soulignant les contours des représentations diverses que contenaient ses peintures, un peu à la manière des cloisonnistes. Le génie de Cézanne imprima également sur le jeune artiste qu'il était au début du siècle, une trace qui marquera l'homme et son ýuvre. Avec sa première exposition en Hongrie qui remporta un immense succès, il fut unanimement proclamé chef de file d'une nouvelle École Hongroise, Les Huit, introduisant ainsi le Fauvisme à Budapest. Malheureusement, la majorité des tableaux de cette époque ont disparu dans la tourmente de la Première Guerre mondiale. Se trouvant en Hongrie durant le début des combats, Czobel ne put retourner dans son studio parisien et passa toutes ces années de guerre jusqu'en 1919 en Hollande. Il exécuta là-bas un certain nombre de superbes portraits, entre autres celui du poète hollandais Roland Host et celui du pasteur de Bergen. Sa palette durant cette période acquit une certaine maturité et ses harmonies de bruns et d'ocres ne sont pas sans rappeler celles de Gromaire.
L'armistice signé, Czobel s'installa à Berlin, centre artistique international où il séjournera jusqu'en 1925. Il exposa avec grand succès à la galerie "Der Sturm" et participa à bien d'autres activités parmi l'avant-garde berlinoise. S'ajouta alors pour Czobel, en plus de toutes les autres expériences artistiques qu'il put faire jusque-là, l'impact de la découverte de l'Expressionnisme allemand.
C'est en 1925 qu'il revint à Paris pour s'installer dans un nouvel atelier à Montparnasse où il resta jusqu'en 1939. Ce furent les dures années de remises en question perpétuelles accompagnées de fréquentes périodes de découragement. La majorité de ses amis et collègues d'avant 1914 s'étaient repliés sur eux-mêmes et vivaient sur leur gloire passée. Czobel, quant à lui, s'efforçait non sans succès, de développer un style tout à fait nouveau. Il cherchait l'authenticité de la création et n'avait que faire de l'acquit répété ensuite mécaniquement. Son sens de la couleur devint de plus en plus lyrique et personnel. Il développa cet effet de "sfumato" d'évanescence bien connu. Les éléments de la composition du tableau semblaient émerger d'une brume vaporeuse, comme si toute chose n'était que le rêve flou d'une imagination presque assoupie, et pourtant bien éveillée. Mais, au-dessus de tout, c'est la manière de Czobel d'utiliser les différents tons de couleurs qui marque son talent de créateur. Il aimait les rouges, les oranges, les jaunes et il y rajoutait des bruns nuancés qui, malgré leur opulence, donnaient à ses toiles un sens intime et souvent tragique en même temps.
Il exposa pour la première fois Outre-Atlantique en 1927 à la Galerie Joseph Brummer à New York, celle-là même qui avait organisé la première grande exposition de Matisse en Amérique quelques années auparavant. Mais la majorité de ses expositions eurent lieu à Paris, entre autres chez Katia Granoffe, mais surtout dès 1952 à la Galerie Zak.
Après la Seconde Guerre mondiale, il n'eut plus le courage de rechercher un studio à Paris et chaque fois qu'il revenait de ses étés hongrois, qu'il passait maintenant à Szentendre (où un très beau musée fut inauguré après sa mort), il séjournait dans un petit hôtel de Montparnasse.
En Hongrie, malgré les différents changements de régimes politiques, il fut enfin reconnu comme le "grand bonhomme" de l'art hongrois. Il exposait dans des galeries diverses de Tokyo à Chicago et l'on peut aujourd'hui retrouver ses ýuvres dans différents musées du monde, tel le Centre Georges Pompidou de Paris, le Musée National de Hongrie, le Stedelijk Museum à Amsterdam, le Petit Palais de Genève où il eut la dernière rétrospective faite de son vivant en 1975, et bien d'autres musées importants à Berlin, Tel-Aviv, Détroit, etc.
Sans nul doute, il existe un élément de l'art de Czobel qui n'a rien à voir avec Paris et qu'il doit à son héritage culturel hongrois et à un certain tempérament national; un élément de volupté, de poésie mêlé à une certaine audace. Czobel peut être associé avec le mouvement fauve, mais son art dans sa totalité fut celui d'un expressionniste qui ne se rattachait à aucun mouvement défini. Il fut ce que l'on peut nommer un expressionniste indépendant, son sens de la liberté le laissant avec sa propre individualité picturale. Il n'a succombé à aucune doctrine, à l'instar d'artistes tels qu'Utrillo, Modigliani ou Rouault. Il existe simplement chez Czobel une très profonde manière de sentir l'essence des choses, de la réalité même, l'essence de la vie.

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