Éditorial - Septembre 1995
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Jérusalem - 3000 ans d'histoire
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En 1996, ou 5756 selon le calendrier juif, le monde célébrera les 3000 ans de la fondation de Jérusalem comme capitale d'Israël par le roi David. Nous tenterons d'examiner ici les diverses manières dont Jérusalem a été représentée dans les sources juives à travers les siècles, depuis l'injonction au prophète Ezéchiel: "Et toi, fils de l'homme, prends-toi une brique: tu la placeras devant toi et tu y graveras une ville, la ville de Jérusalem... (Ezéchiel, IV,1). Dans un second article, nous étudierons la richesse des sources non juives, les cartes de Jérusalem et nous découvrirons même quelques filières suisses.
La centralité de Jérusalem a marqué toutes les facettes de la vie juive à travers les siècles. Avant même la destruction du Second Temple, le pèlerinage à Jérusalem lors de Pessah (Pâque), Shavouot (Pentecôte) et Souccot (fête des Tabernacles) était obligatoire pour tout Juif, qu'il vécût en Terre sainte ou ailleurs. A partir de l'an 70 de notre ère, c'est le vestige du mur occidental qui devient le lieu de rassemblement central du pèlerinage juif. Les aspirations spirituelles vers Jérusalem sont incorporées dans l'existence et dans la liturgie juives, concrétisées par la coutume qui veut que l'on se tourne vers Jérusalem pendant la prière. La Aggadah [la partie homilétique du Talmud] regorge d'aphorismes et de légendes exaltant la Ville sainte.
La notion de retour à Jérusalem n'était pas uniquement spirituelle. Il y a toujours eu une présence juive en Palestine, dans les conditions les plus précaires, que ce fût sous domination islamique ou chrétienne. Selon le témoignage de Benjamin de Tudèle, célèbre voyageur juif, il y avait en 1170 près de 200 Juifs dans la ville, tous exerçant le métier de teinturier. Au cours des siècles, Jérusalem a vu venir vers elle des dirigeants spirituels, pour y vivre comme pour y mourir. Un des premiers et des plus célèbres rabbins à se rendre à Jérusalem fut Nahmanide (rabbi Moché ben Nahman) qui arriva en 1267. Dans une lettre à son fils, il décrit l'état lamentable de la ville, où il trouve beaucoup moins d'habitants juifs que Benjamin de Tudèle. Avant de s'établir à Acre, il organise les Juifs de Jérusalem, fonde une synagogue (la Synagogue Ramban) ainsi qu'une yéshiva. A la fin du XVe siècle, un autre fameux érudit, particulièrement connu pour son commentaire de la Michna, arrive à Jérusalem en provenance d'Italie: il s'agit d'Obadia de Bertinoro, qui établit une yéshiva dans la ville, y vécut et y enseigna pendant plus de quarante ans. Trois lettres adressées à des membres de sa famille et à un ami nous donnent de précieux renseignements. Décrivant son arrivée à son père, il écrit: "Jérusalem est presque entièrement dévastée, c'est une ville plongée dans la désolation et il va sans dire qu'elle n'a pas une enceinte de murailles. Il reste 70 Juifs seulement aujourd'hui. Ils sont pauvres et n'ont pas de moyens de subsistance. A l'heure actuelle, celui qui possède assez d'argent pour subvenir à ses besoins pour l'année à venir est considéré comme fortuné. De nombreuses veuves, âgées et solitaires, originaires d'Orient et d'Occident, se chamaillent sans cesse parce qu'il y a sept femmes pour chaque homme." Toutefois, une lettre écrite par un disciple d'Obadia en 1495 témoigne d'une amélioration des conditions, grâce à l'abolition d'une lourde taxe et grâce aussi à l'arrivée de nouveaux immigrants d'Espagne.
Nous ne pourrons, par manque d'espace, parler de tous les célèbres érudits venus à Jérusalem au cours des siècles. Mentionnons seulement quelques-uns d'entre eux: le "Shelah", rabbi Yeshayahou Horowitz, s'établit à Jérusalem en 1621 et fut le rabbin de la communauté ashkenaze; Yehouda le Hassid, quitta Grodno pour Jérusalem en 1699, avec plus de 1300 personnes (dont beaucoup ne survécurent pas au voyage); il y eut les disciples du Gaon de Vilna et de nombreux rabbis hassidiques, dont Nahman de Bratslav.
Parmi les multiples écrits intéressants, citons le livre de Moshé Prager, rédigé en yiddish en 1650, qui porte le titre de "Darkhei Zion". Il s'agit d'une espèce de guide pour ceux qui projettent un voyage en Palestine; proposant divers itinéraires, il décrit également la vie à Jérusalem, conseillant aux gens quoi emporter, précisant ce qui peut être obtenu bon marché sur place, etc. "Les livres ne sont pas chers à Jérusalem, ce n'est donc pas la peine de vous en encombrer sur le compte des frais de transport." Dans un passage versifié, il prévient les lecteurs des difficultés économiques de la vie à Jérusalem. "Que les jeunes restent dans leur pays et que les vieux viennent avec quelque argent en poche. Un homme jeune ne trouvera pas ici de moyens de subsistance, dût-il vivre plus de cent ans à Jérusalem." Particulièrement remarquable dans ce livre, une illustration de Jérusalem sur fond des collines environnantes.
Il existe une multitude de sources littéraires passionnantes mentionnant les rabbins et érudits qui firent le voyage à Jérusalem, soit en touristes, soit pour s'y établir. Elles citent aussi d'autres illustres visiteurs, tel Moïse Montefiore d'Angleterre - qui visita Jérusalem à sept reprises - et son épouse Judith. Nous regrettons de ne pouvoir toutes les recenser mais faisons une exception pour deux grandes figures du XIXe siècle. L'une d'elles est le rabbin allemand Joseph Schwartz qui vint s'établir dans la ville en 1833. Il fut le premier géographe juif moderne de Terre sainte (poursuivant l'ýuvre d'un illustre prédécesseur, le physicien et géographe Ashtour ha'Par'hi qui vint de France au début du XIVe siècle, s'installa à Beth Shean et écrivit le premier livre décrivant la géographie entière d'Israël). L'ouvrage principal de Schwartz, "Tevouot Haaretz", se fonde sur ses recherches personnelles et ses voyages. Il exécuta encore des dessins de différents sites de Jérusalem, qui furent par la suite reproduits à l'étranger sous forme de lithographies. Ses lettres à sa famille en Allemagne donnent également de précieuses informations sur la ville.
Abraham Luncz, de Kovno, arriva à Jérusalem à la fin du XIXe siècle, âgé de 15 ans. Il rédigea de nombreux ouvrages géographiques, dont un guide pour Jérusalem, "Netivot Zion veYeroushalayim" publié en 1876. Il continua à écrire et publier des livres sur la géographie jusqu'à sa mort en 1918, bien qu'il fût devenu aveugle à l'âge de 24 ans. Son ýuvre contient une foule de détails concernant la profession des Juifs de Jérusalem ainsi que les villes dont ils étaient originaires.
Quant aux représentations visuelles de Jérusalem exécutées par des Juifs au cours de l'histoire, il faut dire que les exemplaires que nous possédons ne brillent pas par leur fidélité mais sont des ýuvres imaginaires et symboliques. Sur les célèbres fresques de la synagogue à Dura-Europos, datant du IIIe siècle, on a mis à jour une des plus anciennes illustrations du Temple et du mur Occidental. Cela dit, avant le XIXe siècle, il n'y a presque pas d'images ou de cartes de Jérusalem réalisées par des artistes ou des voyageurs juifs. En général, contrairement aux pèlerins et écrivains chrétiens, les Juifs décrivant les lieux saints n'avaient pas l'habitude d'illustrer leurs ýuvres. Jérusalem et le Temple étaient traditionnellement évoqués dans les manuscrits médiévaux enluminés par la représentation des objets rituels du Temple, par exemple la Menora (chandelier à sept branches), mais on trouve également des dessins du Temple même et de la ville.
De nombreuses Haggadot manuscrites du XVIIIe siècle ainsi que des Haggadot imprimées comportent des illustrations de Jérusalem comme cité messianique et des images du Temple. Thème fréquent, le Messie entrant dans la ville, monté sur un âne. Jérusalem est également un motif de prédilection pour la décoration d'ouvrages et de manuscrits hébraïques, particulièrement dans les contrats de mariage italiens. Un magnifique rideau de Torah italien, datant de 1681 et actuellement conservé au Jewish Museum de New York, s'inspire apparemment du motif de ces ketoubot italiennes: une représentation détaillée de Jérusalem est brodée en son centre, avec les Portes de la miséricorde figurant clairement sur son mur oriental. La citation suivante des Psaumes (137,6) couronne le dessin: "Que je place Jérusalem au sommet de toutes mes joies !" Dans la plupart des dessins, le Temple est représenté par le dôme de la mosquée d'Omar et la mosquée d'El Aksa est souvent appelée "midrash Chlomo". La première description du mur Occidental dans une source juive figure dans un ouvrage hébraïque portant le titre de "Zikaron beYerouchalayim", imprimé à Constantinople en 1743.
Les représentations de Jérusalem du XIXe siècle, d'ordinaire stylisées ou imaginaires, se trouvent surtout sur des "mizra'h" et sur des pièces tissées juives, toujours dans le contexte de la croyance traditionnelle dans la venue du Messie et dans la rédemption nationale. Des pittoresques représentations fokloriques de Jérusalem par micrographie ont été créées par un scribe du nom de Samuel Shulman, venu à Jérusalem des environs de Minsk. Des cartes de výux pour le Nouvel An juif, envoyées par les institutions hiérosolymitaines pour solliciter des dons, comportent souvent des images colorées des lieux saints. On trouve dans des collections de musée un certain nombre de broderies du XIXe siècle qui forment des espèces de cartes stylisées des lieux saints, sans prétendre à une quelconque fidélité géographique, avec le Kotel et le Temple dans un cadre circulaire central et les autres lieux saints rayonnant à partir du centre. Nous avons déjà décrit les images de Jérusalem figurant sur les Soukkot de bois peint du sud de l'Allemagne, au début du XIXe siècle (voir SHALOM Vol.XXII). Il est intéressant de noter que l'illustration de Jérusalem provenant de Fischach, qui se trouve aujourd'hui au Musée d'Israël, s'inspirait d'une lithographie de ce même rabbin Joseph Schwartz mentionné ci-dessus. Elle fut distribuée comme souvenir de Jérusalem par son frère, qui était rabbin en Allemagne. De nombreux objets rituels, dont des gobelets de Kiddoush taillés dans la pierre ou dans le bois et portant une image de Jérusalem, étaient fabriqués dans la ville et vendus aux voyageurs comme souvenirs.
Les artistes et artisans juifs du XXe siècle ont tellement utilisé le motif de Jérusalem dans tant de disciplines qu'il est presque superflu de nous étendre là-dessus. Nous traiterons dans un prochain article plus particulièrement de Struck, Lillien et Steinhardt, qui ýuvrèrent au début de notre siècle.
Terminons sur une note mystérieuse. Nous savons qu'il existe des pièces de monnaie anciennes frappées de l'empreinte du Temple. Une d'elles date de l'époque de Bar-Kochba, au IIe siècle, et le mot "Jérusalem" est gravé dessus. Mais en divers endroits, la Michna mentionne l'existence d'un bijou doré, portant une gravure de Jérusalem appelée "Jérusalem d'Or" ou "La Cité d'Or", que les femmes mettaient en souvenir de la Ville Sainte; il y a même des discussions dans la Michna pour savoir si une femme a le droit de porter ce bijou le Shabbat. Dans le Talmud (Traité Nedarim, 50), on nous raconte que rabbi Aquiba fabriqua un tel bijou pour son épouse. Nous ignorons malheureusement de quoi avaient l'air ces bijoux, aucun exemplaire n'ayant été découvert. Il est probable qu'il s'agissait d'une espèce de tiare ou alors d'un médaillon. Cette année marquant un important anniversaire de la Ville sainte, nous assisterons peut-être à la renaissance de cette tradition.
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