«Welkom op de Joodse vleugel - Bienvenue dans l’aile juive» ! Tel est le titre de la petite brochure que chaque patient reçoit lorsqu’il est admis à l’hôpital Ziekenhuis-Amstelland situé à Amstelveen, dans la banlieue d’Amsterdam. Dans ce fascicule, on explique brièvement ce qu’est la cacherout, le shabbat, la mezouza, divers objets cultuels, les fêtes juives, etc.
Mais qu’est-ce exactement que cette «aile juive» ? Il s’agit d’un phénomène unique en Europe, où deux étages d’un hôpital privé sont totalement consacrés à la clientèle juive. Non seulement la nourriture y est strictement casher, le shabbat rigoureusement observé et chaque porte ornée d’une mezouza, mais la médecine y est aussi pratiquée en fonction des lois de l’éthique médicale de la législation juive, la Halakha.
Afin de nous permettre de mieux comprendre cet hôpital si particulier, nous avons été à la rencontre de JACQUES MOORS, directeur général et administrateur du Ziekenhuis.
Pouvez-vous en quelques mots nous retracer l’historique de cet hôpital et nous dire comment fonctionne son aile destinée à la clientèle juive ?
Notre hôpital a été établi en 1960 ici, à Amstelveen, et l’hôpital juif était à Amsterdam et portait le nom de CIZ (Centraale Israelietische Ziekenverpleging). Avant la Shoa, il existait trois hôpitaux juifs à Amsterdam: un hôpital général ouvert à tous, un autre pour les Juifs de la communauté portugaise et le CIZ, qui était une sorte de clinique réservée aux membres aisés de la communauté. Suite aux déportations massives, les trois immeubles de ces hôpitaux, qui se trouvaient en trois endroits différents d’Amsterdam, ont été pillés et vandalisés par les Allemands. Après la guerre, il ne restait plus qu’un seul des trois immeubles, celui de l’ancien CIZ, en suffisamment bon état pour y rétablir une activité hospitalière. C’est ainsi que dès la fin de la guerre et jusqu’en 1970, ce petit hôpital juif, qui comptait environ une centaine de lits, a fonctionné avec le concours des plus grands médecins d’Amsterdam. Ceux-ci commençaient leur journée en faisant leur tournée au CIZ, avant de se rendre dans les hôpitaux de la ville et dans leurs cabinets respectifs, et revenaient dans la soirée voir leurs patients du petit hôpital.
En 1970, une grande vague de fusion d’hôpitaux a eu lieu en Hollande et les responsables du CIZ se sont rendu compte qu’il devenait de plus en plus difficile de maintenir une si petite institution. De plus, la majorité de la communauté juive avait déménagé à Amselveen, la banlieue sud d’Amsterdam, si bien que la fusion entre l’hôpital d’Amselveen et le CIZ constituait une évolution quasi naturelle qui s’est concrétisée en 1978.
A ce jour, nous avons deux étages (environ 65 lits) destinés à la clientèle juive, menés selon les règles de la Halakha. L’euthanasie, par exemple, est strictement interdite dans ces départements. Cela dit, notre clientèle a le libre choix du lieu de son hospitalisation, (limitée à la sélection effectuée en fonction des diagnostiques): une personne juive peut très bien décider de se faire soigner dans la partie générale de l’hôpital et un non-juif être admis dans l’aile juive. Ce dernier doit alors accepter de vivre selon les règles juives en vigueur, tant du point de vue la nourriture, que de l’observation du shabbat et des règles de l’éthique médicale selon la législation juive. C’est ainsi que nous ne faisons pas d’admissions ni de sorties pendant Shabbat et les fêtes juives.
Tous les types de maladies peuvent-ils être traités dans l’aile juive ?
La majorité des cas. Si, en raison du diagnostique, un malade doit être installé dans la partie générale de l’hôpital, il peut y obtenir de la nourriture casher et observer les règles du judaïsme s’il le désire. Shabbat, nous faisons par exemple le Kidoush auprès d’un lit du secteur non-juif. De plus, notre département d’obstétrique et de pédiatrie, qui n’est pas situé dans l’aile juive, dispose de deux cuisines casher, l’une pour les plats lactés et l’autre pour la nourriture carnée.
Le fait d’entretenir toute une logistique casher implique certainement des coûts supplémentaires, sans parler du fait que les produits casher en tant que tels sont à la base plus onéreux. Les personnes qui vont dans l’aile juive doivent-elles payer un supplément ?
Il est vrai qu’en ce qui nous concerne, les exigences de la cacherout impliquent un certain renchérissement du prix de base par client. Toutefois, nos patients ne paient aucun supplément, le tarif est le même pour tous. Il s’agit là d’un simple calcul économique.
Comment formez-vous votre personnel sur le plan judaïque ?
Toute personne que nous engageons reçoit une information de base du type de ce qui est décrit dans notre fascicule de bienvenue pour les patients. Mais nous avons régulièrement des séminaires à ce sujet qui se déroulent dans le cadre de l’instruction permanente. Je dois dire que les spécificités juives sont très bien comprises et acceptées par nos collaborateurs, qui d’ailleurs se montrent souvent très intéressés à en savoir plus que ce que nous leur enseignons. En ce qui concerne les médecins, nous avons des rabbins qui viennent régulièrement leur parler des règles de l’éthique médicale juive.
Avez-vous des clients musulmans qui demandent d’être dans l’aile juive ou de recevoir de la nourriture casher qui, d’une certaine manière, se rapproche de la viande Hallal ?
C’est arrivé, mais c’est rare. Ceci est avant tout dû au fait que dans cette banlieue sud d’Amsterdam, il y a pour l’instant très peu de musulmans. Toutefois, je dois ajouter que dans notre hôpital, nous avons des employés et des malades de toutes les religions ou qui sont agnostiques et je peux vous dire qu’ils travaillent… ou sont malades ensemble et en parfaite harmonie. L’hôpital compte environ 1200 collaborateurs. Une fois par an, nous organisons un très grand barbecue scindé en deux parties: casher et non-casher. C’est là que nous voyons que nos employés musulmans se servent au buffet casher.
Quel était l’intérêt pour un hôpital comme le vôtre de s’associer à un hôpital juif, plutôt qu’à un autre, surtout du fait qu’en raison des lois juives, ceci implique une difficulté supplémentaire ?
Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, comme je vous l’ai dit, nous sommes dans une région à forte population juive, ce qui justifiait notre fusion avec le CIZ d’un point de vue économique. Toutefois, il y a un aspect plus important, celui de l’identité de l’hôpital. Nous voulions avoir une spécificité bien définie, ce que nous n’aurions jamais pu obtenir si nous nous étions alliés simplement à un autre hôpital général. Ainsi, nous restons une institution privée avec une caractéristique particulière.
Comment voyez-vous l’évolution de l’aile juive ? Avez-vous atteint sa capacité maximale ?
De nos jours, le nombre de lits a nettement moins d’importance que par le passé. En effet, les séjours hospitaliers sont de plus en plus courts et ce qui compte, ce sont les capacités de traiter le plus grand nombre de patients: le nombre de salles d’opérations, le nombre de médecins, le nombre de malades qui peuvent être traités de manière ambulatoire ou en hôpital du jour, etc. Il y a 20 ans, la durée moyenne d’un séjour hospitalier était de deux semaines alors qu’aujourd’hui, la norme est de 5 à 6 jours. Ceci signifie qu’avec le même nombre de lits, l’on peut faire beaucoup plus de choses qu’avant. Nous pensons nous agrandir un peu, l’hôpital étant un peu petit pour la région d’Amstelveen. En ce qui concerne le financement, nous sommes dans une période de transition, le système a changé il y a 2 ans. Avant, bien qu’étant un hôpital privé, nous n’avions pas le droit de lever des fonds autres que ceux que nous touchions par le système des assurances gouvernementales. A présent, nous pouvons diriger notre institution comme une entreprise. Nous venons, par exemple, de lancer une carte de client privilégié que nous proposons aux entreprises pour une somme fixe et qui permet d’avoir accès à un médecin avec un simple coup de fil. C’est très utile parce qu’en Hollande, il faut parfois 15 jours pour obtenir un rendez-vous chez un médecin.
C’est certes bien d’avoir un hôpital qui dispose d’une aile juive où toutes les règles de la Halakha sont observées, mais y règne-t-il une atmosphère juive ?
Je vous répondrai par deux exemples pratiques. D’une part, nous avons dans notre institution une salle polyvalente qui, du vendredi soir au samedi soir et pendant les fêtes juives, est transformée en synagogue. Celle-ci n’est pas seulement fréquentée par nos patients et médecins (20% des praticiens de l’hôpital sont juifs), mais par les habitants du quartier. Lorsqu’une personne est très malade, nous descendons son lit ou sa chaise roulante à la synagogue et faisons un «Michabérah» en sa présence. Les personnes externes à l’hôpital qui fréquentent la synagogue se rendent après l’office de chambre en chambre pour faire Kidoush au chevet des malades. De plus, le toit de notre salle à manger (également polyvalente) dispose d’une ouverture pour installer un souccah.
Quant à l’atmosphère juive, elle s’étend bien au-delà de notre hôpital puisque de plus en plus de personnes qui viennent d’autres régions de Hollande s’installer à Amstelveen en raison de notre hôpital avec sa synagogue, du foyer pour personnes âgées, des bouchers et des boulangers casher, etc. Je pense que nous avons joué un rôle dans cette évolution qui fait qu’aujourd’hui, notre région est celle qui offre la meilleure qualité de vie juive en Hollande.
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