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Sommaire Slovaquie Automne 2005 - Tishri 5766

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Le «Plan Europe»

Par le Dr Efraïm Zuroff
Imaginez le scénario suivant. Un mouvement de type nazi, dirigé par un dictateur charismatique, prend le pouvoir aux États-Unis et met en ½uvre un programme comprenant des mesures antisémites extrêmement dures. Les Juifs sont catégorisés selon des critères raciaux et contraints d'abandonner leurs commerces; leurs contacts avec le monde extérieur sont strictement limités et des milliers de jeunes gens sont envoyés à New York et à Philadelphie, prétendument pour des travaux forcés mais en réalité pour être assassinés. Les communautés juives à travers le monde en subissent les répercussions négatives et luttent pour survivre au règne de la terreur et de la persécution.
A un certain moment, un rabbin ultra-orthodoxe et une militante socialiste sioniste créent un groupe de dirigeants à Baltimore, ville de la côte est abritant quelque 90'000 Juifs. Le groupe entame des négociations avec des représentants du gouvernement, initialement pour sauver sa propre communauté mais ensuite pour endiguer totalement la persécution anti-juive; en fin de compte, ces négociations aboutissent au sauvetage de plusieurs milliers de Juifs. Scénario improbable ?
Certes, mais c'est exactement ce qui est arrivé pendant la Shoa en Slovaquie, où vivait une modeste communauté de 90'000 Juifs, sans affiliation particulière. Un plan audacieux dont l'objectif était de sauver l'ensemble du judaïsme européen sous occupation nazie, fut conçu par un petit groupe de dirigeants, menés par le rabbin ultra-orthodoxe Michael Dov Weissmandel et la socialiste sioniste Gisi Fleischman.
Connu sous le nom de «Plan Europe», il avait été imaginé l'été 1942, au cours d'une suspension des déportations vers la Pologne; ces dernières avaient démarré avec un convoi de 999 jeunes filles de Poprad vers Auschwitz le 27 mars, suivi par d'autres trains à destination de ce même camp et également à destination de Lublin (d'abord dans les ghettos, plus tard à Majdanek). Entre fin mars et fin juillet 1942, près de 50'000 Juifs slovaques furent déportés en Pologne (sous occupation nazie), le gouvernement slovaque payant 500 marks pour chaque Juif déporté. (En contrepartie, les Allemands permirent aux Slovaques de confisquer les biens immobiliers et pratiquement tous les avoirs des déportés.)
Le Plan Europe, conçu par plusieurs leaders juifs locaux, se proposait en fait d'acheter aux nazis l'interruption du massacre du judaïsme européen. Ses initiateurs formaient un groupe hétéroclite composé d'ennemis idéologiques qui s'étaient donné le nom de «Groupe de travail» (Pracovna skupina) ou de «Gouvernement alternatif» (Vedlej¨i Vlada). Parmi ses principaux membres, citons le rabbin Michael Dov Weissmandel, rabbin ultra-orthodoxe d'une importante yéshiva de Slovaquie, située à Nitra et dirigée par son beau-père le rabbin Shmouel David Halevi Ungar; la socialiste sioniste Gisi Fleischman, assistante sociale qui représentait le Joint Distribution Committee; le leader sioniste Oskar Neumann qui dirigeait le programme communautaire de recyclage des jeunes; l'intellectuel Tibor Kovac, partisan de l'assimilation; le rabbin néologue Armin Freider et l'ingénieur Andrej Steiner. Tous, à l'exception de Steiner, occupaient des fonctions publiques au sein de la communauté juive; mais ils s'étaient constitués en groupe clandestin, opérant à l'intérieur de l'Ustredna Zidov (Centre juif), organisation faîtière imposée par le gouvernement slovaque vers la fin de septembre 1940.
Weissmandel fut le premier à parler de pots de vins pour acheter les nazis, au cours de l'été 1942, après avoir appris qu'un Juif avait échappé à la déportation en achetant Dieter Wisliceny. Ce dernier était le conseiller nazi aux affaires juives à l'ambassade d'Allemagne à Bratislava; il avait été choisi pour cette tâche par Adolf Eichmann, chef du Départment IV-B-4 au Bureau central de la sécurité du Reich (Reichssicherhietshauptamt) et coordinateur de l'application de la Solution finale. Si Wisliceny avait épargné la déportation à un Juif contre payement, il serait peut-être disposé à envisager un plan plus vaste, qui permettrait de sauver tous les Juifs de Slovaquie contre une rançon substantielle. D'après la version de Weissmandel telle qu'elle est relatée dans ses mémoires (Min ha-Métzar), il prit contact avec Karel Hochberg; cet ingénieur juif était devenu l'assistant de Wisliceny et dirigeait le département des missions spéciales de l'UZ. Il lui demanda de transmettre à Wisliceny qu'un certain Ferdinand Roth, prétendument représentant du judaïsme mondial, s'était récemment rendu à Bratislava afin d'examiner la possibilité d'un marché (sous forme de rançon) pour sauver tous les Juifs de Slovaquie.
Hochberg transmit à son patron et revint peu après avec une offre concrète. Wisliceny acceptait de remettre les trois prochains transports prévus pour le mardi, vendredi et mardi suivants, pour l'heure gratuitement. Mais le vendredi d'après, un premier paiement de $.25'000.- devait être versé, cette somme assurant l'arrêt des déportations pendant sept semaines. A l'issue de cette période, il recevrait un deuxième paiement, du même montant. Les deux sommes devaient provenir de l'étranger et les Juifs devaient persuader les dirigeants slovaques de renoncer à leurs demandes de déportations supplémentaires.
Le Groupe de travail tenta d'exécuter ce plan audacieux mais risqué et il continua à fonctionner comme unité clandestine à l'intérieur de l'UZ, en faveur de la communauté juive.
Il se mit aussitôt à rassembler des fonds pour le premier paiement, recueillis en grande partie auprès de Juifs slovaques fortunés. Mais ces sommes étant insuffisantes pour le deuxième paiement, sans parler des pots de vins à verser aux Slovaques, Weissmandel, Fleischman et les autres firent appel aux représentants des organisations juives mondiales en Suisse; à leur stupéfaction, cet appel fut rejeté pour des raisons idéologiques (le refus de négocier avec les nazis) et pratiques (manque de fonds). Saly Mayer, représentant du JDC, déclara que son organisation était disposée à rembourser les sommes prêtées par les Juifs locaux au Groupe de travail, mais seulement après la fin de la guerre. Etant donné les circonstances, le Groupe de travail se tourna vers le judaïsme hongrois, mais seuls les orthodoxes acceptèrent d'envoyer des fonds, qui parvinrent après la date initiale fixée par Wisliceny. Weissmandel tenta d'obtenir un délai, expédiant deux lettres en ce sens au nom du prétendu Ferdinand Roth, mais Wisliceny ne se laissa pas fléchir; à l'automne, trois transports de Juifs à destination de l'Est quittèrent Bratislava.
Entre-temps, Weissmandel fut arrêté par les Slovaques et d'après ses mémoires, c'est en prison même qu'il eut l'idée d'élargir la négociation avec les nazis, de façon à inclure dans le marché l'ensemble du judaïsme européen. Dès qu'il fut libéré, il soumit son idée à ses collègues du Groupe de travail, qui finirent par l'accepter. Une nouvelle lettre, toujours du même Ferdinand Roth, fut tapée sur une feuille avec l'en-tête d'un hôtel suisse de grande classe (procuré à Weissmandel par son ami suisse Baruch Meshulem Leibowitz), indiquant que l'Oncle [Ferdinand Roth] était extrêmement heureux de savoir que le jeune Willi [Wisliceny] avait passé ses examens et qu'il lui envoyait par conséquent un cadeau. S'il poursuivait cette voie dans les hautes écoles, l'Oncle couvrirait tous ses besoins et en ferait son unique héritier. Hochberg se chargea de délivrer la lettre à Wisliceny. La réponse de ce dernier était en principe positive, quoi qu'il fallût encore mettre au point une foule de détails. Les Allemands semblaient particulièrement satisfaits du changement d'attitude du «judaïsme mondial» à leur égard et espéraient qu'ils finiraient par persuader les Alliés de faire la paix avec l'Allemagne et d'unir leurs forces pour combattre l'Union soviétique.
La réponse encourageante de Berlin galvanisa le Groupe de travail, qui se lança dans une frénésie de contacts avec les représentants des organisations juives mondiales en Suisse et les délégués de l'Agence juive en Turquie afin de les mettre au courant et de s'assurer de leur assistance politique et financière. (Les lettres furent passées en fraude par des émissaires spéciaux.) Les appels lancés depuis la Slovaquie étaient bouleversants mais les réactions initiales des représentants en Suisse, en particulier celle de Saly Mayer du JDC américain, furent extrêmement réservées. La loi américaine interdisait toute négociation avec l'ennemi ainsi que le transfert de dollars vers un territoire nazi; de toutes manières, les organisations juives n'étaient pas en mesure de fournir les sommes considérables (en fin de compte deux millions de dollars) que Wisliceny et ses patrons ne manqueraient pas d'exiger. Voici ce qu'écrivait Weissmandel au Centre He-Haloutz à Genève, le 23 décembre 1942: «Nous vous avons expédié deux lettres vous informant que moyennant de l'argent, nous pouvons: 1. sauver de la déportation et de la mort des milliers et des milliers de personnes se trouvant ici; 2. sauver des milliers d'autres personnes du massacre dans les pays où elles sont condamnées... Nous ne comprenons pas comment vous pouvez manger et boire, dormir dans vos lits, faire des promenades (et j'imagine que vous faites toutes ces choses) alors que cette responsabilité repose sur vous, que nous vous implorons depuis des mois et que vous n'avez toujours rien entrepris...Je suis persuadé qu'après le prompt salut de D', vous serez plongés dans le regret de n'avoir rien fait pour les sauver. Nous demandons des actes, non pas des actes héroïques ou des sacrifices personnels, mais simplement des actes consistant à transférer de l'argent et [dans ce cas] des milliers, des dizaines et des centaines de milliers [de personnes] dépendent de l'argent...»
Par ailleurs, Gisi Fleischman fut autorisée à se rendre par deux fois en Hongrie pour rencontrer les dirigeants du judaïsme hongrois et quémander leur aide mais cette mission, comme les autres, ne recueillit qu'un succès partiel.
En mai 1943, Wisliceny transmit au Groupe de travail une offre concrète: contre deux ou trois millions de dollars, les Allemands stopperaient les déportations vers la Pologne et arrêteraient même éventuellement également les assassinats en Pologne. Le programme serait appliqué en plusieurs phases; le premier versement de 150'000 à 200'000 dollars devait être versé le 10 juin 1943. Cette somme mettrait fin à toutes les déportations pendant deux mois, période qui servirait à mettre au point les modalités des paiements suivants.
Inutile de préciser que cette offre déclencha les efforts renouvelés du Groupe de travail en vue de convaincre les dirigeants juifs à l'étranger de soutenir le Plan Europe. Le 11 mai 1943, le rabbin Weissmandel écrivait en ces termes: «[Ces paroles ne s'adressent] pas à vous, lecteurs de notre lettre dont la bonne volonté est connue, mais plutôt aux Juifs vivant dans les pays où règnent paix et quiétude, aux dirigeants du peuple juif qui, par la grâce de D', ne peuvent concevoir, même dans leur imagination la plus débridée, ce qui est arrivé au peuple juif dans les terres de sang. En vérité, c'est sur eux que retombe ce grave serment écrit avec le sang versé sur l'autel d'Israël... des millions de victimes innocentes et pures, que D' venge leur mort, avec le sang bouillonnant de ces millions dont la mort a déjà été préparée par le Moloch et que nous devons sauver, eux et leurs descendants. Si vous nous donnez l'argent, sans tergiversation, sans même attendre une minute, vous aurez accompli un rachat réel pour le sang versé.»
Le 18 juin, en réponse à ces appels, Saly Mayer promit que le JDC déposerait les deux cent mille dollars nécessaires au premier versement dans une banque aux États-Unis, cette somme pouvant être retirée après la guerre. L'étendue de leur assistance se limitait à ce geste. Les membres du Groupe de travail furent atterrés par cette réaction, persuadés une fois de plus que les Juifs du monde libre ne comprenaient simplement pas la catastrophe vécue par leurs frères sous l'occupation nazie.
Fin août ou début septembre 1943, lorsque le Groupe de travail ne put s'acquitter des paiements exigés, les nazis suspendirent les négociations du Plan Europe. Le Groupe de travail tenta de les renouveler en automne, mais Wisliceny laissa clairement entendre que dans le cas d'une reprise des pourparlers, les concessions offertes par les nazis se limiteraient à la libération à l'étranger de groupes choisis; il n'était plus question d'arrêter les déportations.
En fin de compte, les négociations entamées à Bratislava servirent en quelque sorte de cadre aux pourparlers engagés par les nazis avec les dirigeants du judaïsme hongrois, après l'occupation de la Hongrie en mars 1944; ce fut le fameux marché «vies humaines contre camions» offert par Eichmann aux Alliés. Ces négociations débouchèrent sur les résultats concrets suivants; le sauvetage de deux convois au moins, dirigés sur la Suisse (les 1684 Juifs de Hongrie du «convoi Kastner» et les 1210 Juifs de Theresienstadt), la survie de dizaines de milliers de Juifs de Budapest et la décision des nazis de ne pas liquider tous les détenus demeurés dans le camp vers la fin de la guerre.
Il y a relativement peu de documents recensant le Plan Europe et les remarquables dirigeants juifs slovaques qui risquèrent leur vie dans cette tentative de sauver l'ensemble du judaïsme européen. Le rabbin Weissmandel ainsi que Gisi Fleischman furent déportés à Auschwitz; le premier réussit à s'échapper du wagon de son train et survécut (il avait caché une lame de rasoir dans une miche de pain et s'était ainsi découpé une ouverture) tandis que la seconde fut gazée à l'arrivée. L'histoire de leurs audacieux efforts et de l'extraordinaire coopération entre dirigeants juifs aux idéologies tellement différentes devrait servir d'exemple et d'inspiration à tous.
ou visiter son site: www.operationlastchance.org
Le rabbin Michael Dov Weissmandel était à l'origine du Plan Europa. A droite, dans ses jeunes années, à gauche, juste avant son assassinat à Auschwitz.
Déportation des Juifs de Slovaquie exécutée par la police slovaque.
Arrivée de Juifs slovaques dans un camp de travail forcé. La photo montre bien qu'il y avait aussi des femmes et des enfants.
Caricature du rabbin Weissmandel. Assis devant un livre de prières, il dit: «Écoute Israël... que la guerre finisse vite». Sur la page de gauche de son livre se trouve un soldat allemand qui vise Hitler à genoux avec son fusil.
L'action du rabbin Weissmandel était devenue tellement populaire qu'un quotidien avait publié une caricature le montrant en train de tirer avec un canon à billets pour racheter des Juifs.
Graffitis antisémites sur le mur d'une maison à Bratislava.
Au musée juif de Bratislava, un panneau spécial est consacré aux responsables du Plan Europa: le rabbin Michael Dov Weissmandel, la socialiste sioniste Gisi Fleischman, le leader sioniste Oskar Neumann, l'intellectuel Tibor Kovac, le rabbin Armin Feder et l'ingénieur Andrej Steiner.
Entre le 25 mars et le 20 octobre 1942, 59'000 Juifs ont été déportés de Slovaquie vers les camps de la mort. Environ 19'000 personnes ont évité la déportation parce qu'elles étaient considérées comme «utiles» pour l'économique slovaque.


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