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Histoire parallèle et Antisémitisme

Par le professeur Moshé Sharon *
La haine du judaïsme et des Juifs est une création intellectuelle. Ses fondations ont été jetées dans l'Antiquité par des historiens, des écrivains, des poètes, des philosophes et des artistes, bien avant que le christianisme n'y apporte sa dimension théologique. Ce phénomène a eu depuis des répercussions considérables, qui ont accompagné les Juifs à travers toute leur histoire tourmentée. Né dans l'Égypte de l'époque helléniste, l'antisémitisme intellectuel se distingue par deux caractéristiques complémentaires: d'une part, l'invention d'une histoire parallèle (ou contre-histoire) des Juifs et, d'autre part, la description des membres de ce peuple comme êtres humains inférieurs, répugnants, porteurs de maladies et ennemis de l'humanité et des dieux.

L'histoire parallèle déclare que les témoignages historiques du peuple cible sont faux et elle présente sa propre version comme la seule véridique. Depuis sa création par les antisémites d'Égypte au IIIe siècle avant J.-C., cette pratique s'est poursuivie jusqu'à nos jours. Elle a connu plusieurs étapes importantes, comme les écrits de certains Pères de l'église, les ½uvres de plusieurs historiens et théologiens musulmans du Moyen Âge, l'article de Voltaire sur les Juifs dans Le Dictionnaire philosophique, Le Protocole des sages de Sion, Mein Kampf de Hitler. Aujourd'hui, l'histoire parallèle est largement répandue dans les manuels scolaires arabes, sur une foule de sites Internet et dans de nombreuses publications niant la Shoa.

L'histoire parallèle trouve son illustration la plus récente et la plus arrogante dans la négation de la Shoa, l'apogée en quelque sorte de l'antisémitisme des temps modernes. Les négationnistes connaissent la vérité car la Shoa est un des événements les plus documentés de l'histoire. Cela ne les empêche pas d'absoudre les nazis, de blâmer les victimes et de présenter l'extermination des six millions de Juifs comme une conspiration juive. Parmi ces «historiens», on trouve l'actuel président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas (connu sous le nom de guerre Abou Mazen). En 1982, il a obtenu son doctorat en philosophie de l'université Lumumba de Moscou pour sa thèse intitulée «Les relations secrètes entre les nazis et le sionisme», dans laquelle on retrouve toutes les composantes caractérisant le négationnisme. Rappelons que dans de nombreux pays occidentaux, il s'agit d'un délit dont les auteurs sont passibles de prison.

La première tentative connue d'une histoire parallèle des Juifs a été rédigée à Alexandrie par le prêtre égyptien Manéthon; son ½uvre était destinée à fournir aux lecteurs grecs une réponse au récit biblique de l'Exode, dans le but explicite de dénigrer les Juifs. D'après l'histoire parallèle de Manéthon, les Juifs formaient un groupe de quelque 80'000 lépreux qui s'étaient rebellés; ils avaient conquis l'Égypte et gouverné le pays pendant plus d'une dizaine d'années, y semant la mort et la terreur. Ils étaient menés par Osarseph, un prêtre originaire d'Héliopolis. Après treize ans d'exil, le roi d'Égypte était revenu dans son pays, il avait tué la plupart des rebelles et expulsé les derniers d'entre eux, pourchassant les fugitifs jusqu'aux frontières de la Syrie. Le récit de Manéthon était destiné à éliminer tout élément positif concernant les Juifs. Les Juifs décrivent Joseph comme un sage gouverneur qui a sauvé l'Égypte de la catastrophe; Manéthon réplique en en faisant un prêtre apostat d'Osiris (d'où le nom Osarseph) qui a ruiné le pays. Les Juifs se considèrent comme un peuple et Manéthon en fait un horrible ramassis de lépreux. Les Juifs affirment que D' les a sortis d'Égypte, Manéthon déclare qu'ils ont été expulsés.

Le rapport «historique» de Manéthon et les nombreux récits horrifiques sur les Juifs propagés par ses copieurs et successeurs sont marqués d'un mélange de haine et de peur. Quelques siècles plus tard, les historiens musulmans classiques ont à leur tour créé leur propre histoire parallèle des Juifs. Contrairement à leurs prédécesseurs, leur version est le produit d'une haine née d'un profond mépris plutôt que de la peur. Toutefois, à peine les musulmans se sont-ils familiarisés avec l'antisémitisme européen qu'ils adoptent la description occidentale du Juif comme incarnation du mal, le judaïsme devenant une religion sanguinaire dont les adeptes complotent la domination du monde avec l'aide de Satan. Désormais, la haine des musulmans pour les Juifs comporte deux éléments, la peur et le mépris.

L'accusation de meurtre rituel, ce calomnieux mensonge propagé par l'Europe chrétienne, a aussitôt pris une place prépondérante dans la pensée et la pratique de l'antisémitisme islamique. L'affaire de Damas constitue le premier cas jugé par un régime islamique des temps modernes. En 1840, les Juifs de Damas sont accusés du meurtre rituel d'un moine capucin. Loin de se récrier devant cette fausse accusation, le consul de France à Damas, Ratti Menton, cautionne l'action juridique entamée. Soutenu par le gouvernement français, il se charge personnellement de diriger «l'enquête» avec le gouverneur musulman. Toute la communauté juive est retenue otage, ses dirigeants sont arrêtés et certains même torturés à mort, avant qu'un tollé général dans le monde mette un point final à l'affaire. Cependant, Ratti Menton n'a jamais été convaincu de l'innocence des Juifs. Accuser les Juifs de meurtre rituel devient un sujet populaire parmi les intellectuels musulmans et le thème principal de la propagande antisémite musulmane. En fait, l'affaire de Damas n'a pas cessé de faire des remous. Jusqu'à ce jour, elle est invoquée comme preuve de la pratique du meurtre rituel dans la religion juive. Le ministre syrien de la Guerre, Moustapha Tlas, a écrit une thèse de doctorat sur le sujet et l'a publiée sous le titre Le Pain azyme de Sion. Dans cet ouvrage populaire, qui en était à son huitième tirage en 2002, il présente l'affaire de Damas avec force détails et s'en sert pour prouver l'existence de cette pratique au sein du judaïsme, recourant également au témoignage de Ratti Menton.
Le lectorat arabe se montre aujourd'hui grand amateur de littérature antisémite rédigée en arabe ou traduite d'autres langues. Parmi les traductions, Le Protocole des sages de Sion, une grossière et primitive contrefaçon antisémite russe, et Mein Kampf de Hitler sont des best-sellers; ces deux ouvrages figurent par ailleurs au curriculum des écoles militaires. L'infâme ouvrage du chanoine August Rohling, Der Talmudjude, représente la bible de l'historien musulman moderne. Dénoncé comme menteur et ignare par des savants européens en 1885, Rohling a été contraint de renoncer à son poste universitaire. Mais les écrivains musulmans ne se laissent pas démonter par des détails triviaux de ce genre. Pour eux, Rohling, Le Protocole, Hitler, Tlas, Abou Mazen et leurs semblables forment une authentique bibliothèque et servent de référence pour toute étude sur les Juifs et le judaïsme. Les autres sources relèvent de la catégorie «conspiration juive (ou sioniste)». Après avoir adopté comme vérité absolue la thèse du meurtre rituel juif, les écrivains musulmans ont donné libre cours à leur imagination. Si le cercle des victimes était limité aux chrétiens, ils l'élargissent désormais, incluant des enfants palestiniens et autres; par ailleurs, le meurtre rituel est requis non seulement pour le pain azyme de la Pâque mais également pour les gâteaux de Pourim.

L'établissement de l'État d'Israël et les défaites répétées des armées arabes intensifient bien entendu la peur mythologique des Juifs parmi les musulmans; mais pour sauver la face, il leur faut une explication plausible immédiate. Elle leur est très commodément fournie par Le Protocole et Mein Kampf, qui dévoilent la conspiration juive destinée à dominer le monde. L'information livrée par ces ouvrages a l'avantage de confirmer leurs peurs tout en expliquant leurs échecs. Ils ne se sentent plus seuls, ils appartiennent à la vaste communauté des victimes globales, exposés comme ces dernières à la menace pour l'humanité représentée par le judaïsme international, l'ennemi de D'.

Il n'y a pas beaucoup de variété dans la littérature antisémite musulmane, pas plus que dans son équivalent européen. Les mêmes slogans sont repris dans des centaines d'ouvrages, les mêmes caricatures, inspirées directement du modèle nazi, dont on retrouve les dessins du Juif hideux, inhumain et vicieux. Contentons-nous ici de quelques exemples choisis au hasard dans cette vaste littérature.

Anis Mansour, écrivain égyptien et proche conseiller des présidents de ce pays, décrit la fourberie du Juif et fournit sans broncher des détails sur l'usage de sang humain dans la fabrication du pain azyme, tout en insinuant qu'il se fonde sur des sources juives: «Le célèbre historien juif Josèphe a été le premier à révéler au monde que les Juifs avaient besoin de sang humain afin de fabriquer les matzot pour leurs fêtes. En général, les Juifs n'abattent pas la victime. Ils se contentent de percer le crâne, puis le c½ur, et boivent le sang de la tête et du c½ur en même temps; ensuite, ils se débarrassent du corps».
Or les écrits de Josèphe ne contiennent rien de tel, il a au contraire défendu le judaïsme contre l'antisémitisme grec. Mais Mansour sait que son audience absorbe ses paroles et qu'elle ne se soucie guère de vérifier l'authenticité de ses sources.

Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, Hadj Amin al-Husseini, le mufti de Jérusalem, a collaboré avec les nazis, soutenu par d'autres dirigeants musulmans; il s'est rendu à Berlin pour offrir ses services à la machine de propagande du régime et préparer une force militaire destinée à participer à la solution finale prévue par les nazis pour les Juifs. Les antisémites musulmans procèdent à une inversion totale des faits. Comparer les Juifs aux nazis est devenu chose courante dans l'histoire parallèle islamique, c'est le refrain le plus rebattu des débats télévisés, le thème-clé de la propagande anti-israélienne et le sujet le plus fréquent des grossières caricatures arabes. Dans le livre Musulmans ! Les Juifs arrivent, Mohamed Abd el-Aziz Mansour accuse les Juifs de ne pas être différents des nazis et leur attribue d'innommables atrocités: bébés massacrés, femmes enceintes poignardées, femmes non juives torturées et violées, etc.

En 1985, le roi Fahd d'Arabie saoudite a publié les observations suivantes au sujet d'Israël et des Juifs dans l'hebdomadaire populaire aI-Musawwar: «Depuis les temps anciens, Israël a des intentions malveillantes. Son objectif est la destruction de toutes les autres religions. L'histoire a démontré que ce sont les Juifs qui ont déclenché les croisades à l'époque de Saladin, afin que la guerre affaiblisse à la fois les musulmans et les chrétiens. Ils considèrent les autres religions comme inférieures et les autres peuples comme d'un niveau moindre. Quant au sujet de la vengeance, il y a un jour de l'année où ils mélangent le sang de non-Juifs à leur pain et le consomment. Il y a deux ans, alors que je me trouvais en visite à Paris, la police a découvert cinq enfants assassinés. Leur sang avait été extrait et il s'est avéré que certains Juifs les avaient tués afin de prendre leur sang et de le mélanger au pain qu'ils mangeaient ce jour-là. Cela démontre l'étendue de leur haine et de leur animosité envers des peuples non juifs».
Dans un autre passage, on découvre une discussion au sujet de la «coutume juive consistant à tuer des enfants, datant de l'époque où les magiciens juifs se servaient du sang d'enfants et où le sang d'enfants non juifs était utilisé pour le pain azyme (fatir) de la Pâque». Il affirme aussi que les Juifs «empoisonnent l'eau des puits et contrefont les monnaies», deux accusations communément répandues en Europe contre les Juifs, depuis le Moyen Âge.

Dans son livre Guerre sainte et victoire, le Dr Abd el-Halim Mahmoud, recteur de la célèbre université al-Azhar, écrit: «Les Juifs ont établi un programme pour la destruction de l'humanité en corrompant la religion et la morale. Ils ont déjà entamé l'application du programme grâce à leur argent, leur contrôle des médias publics et leur propagande. Ils ont falsifié le savoir, violé les normes de la vérité littéraire et entrepris sans scrupules de démolir et d'anéantir l'humanité».

Dans son livre La Personnalité juive d'après le Coran, le Dr Salah `Abd al-Fattah al-Khalidi, conclut que «les Juifs sont menteurs, corrompus, envieux, fourbes, frauduleux, stupides, abjects, veules et misérables; ils brisent les accords et les traités et provoquent l'injustice dans le monde...». Qui oserait s'opposer à une telle érudition ?
La littérature antisémite médiévale chrétienne était loin d'être tendre, mais elle ne peut rivaliser avec la bassesse de son équivalent arabo-islamique et de l'histoire parallèle fondée sur ces écrits. L'énorme littérature antisémite arabe répond à une demande et à une nécessité. Elle décrit les Juifs comme une entité démoniaque, légitimant ainsi leur extermination. Sur le plan idéologique, l'antisémitisme islamique moderne est pire encore que celui des nazis.

*Le professeur Moshé Sharon, autorité mondiale de la langue et de la civilisation arabes et professeur d'Histoire islamique à l'Université hébraïque de Jérusalem.


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