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Sommaire Allemagne Printemps 2004 - Pessah 5764

Éditorial - Avril 2004
    • Éditorial [pdf]

Pessah 5764
    • Responsabilité - Générosité - Liberté [pdf]

Politique
    • Un repli sur soi [pdf]

Interview exclusive
    • Gaza - Une idée réaliste ? [pdf]

Témoignage
    • Compassion Oui - Pitié Non [pdf]

Jeunes leaders
    • Yuval Steinitz [pdf]

Judée-Samarie-Gaza
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Sondage-Résultats
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Shalom Tsedaka
    • A Boire et à manger… [pdf]

Reportage
    • Les Falashas Mouras [pdf]
    • Le Krav Maga [pdf]

Médecine
    • Il est miniuit Dr Chouraqui ! [pdf]

Allemagne
    • Jérusalem et Berlin [pdf]
    • Juif en Allemagne - Pas Juif allemand [pdf]
    • Un défi de taille [pdf]
    • La communauté juive de Berlin [pdf]
    • Le collège juif de Berlin [pdf]
    • Les Juifs de Berlin [pdf]
    • Beit Midrasch d'Berlin [pdf]
    • La Villa de Wannsee [pdf]
    • La conférence de Wannsee du 20 janvier 1942 [pdf]
    • Le Musée juif de Berlin [pdf]
    • Détermination et poursuites [pdf]

Éthique et judaïsme
    • Racheter des captifs ? [pdf]

Société
    • Conflit de léglislations ? [pdf]

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Jérusalem et Berlin

Par Roland S. Süssmann
Dans notre périple à travers les communautés juives dans le monde, nous avons décidé de nous arrêter cette fois-ci à Berlin. Comme toujours, nous commençons notre reportage par les relations entre Israël et le pays visité et dans ce but, nous avons rencontré S.E.M. SHIMON STEIN, ambassadeur d’Israël en Allemagne depuis le 11 janvier 2001 et premier ambassadeur d’Israël installé à Berlin, capitale de l’Allemagne réunifiée. M. Stein a débuté sa carrière dans la diplomatie israélienne en 1974, il a servi aussi bien à Washington qu’à Bonn, mais Berlin constitue son premier poste d’ambassadeur plénipotentiaire.
Les relations entre l’Allemagne et Israël - entre les Allemands et les Juifs – sont d’un type tout à fait particulier. En effet, la blessure encore béante et toujours saignante que le peuple allemand a infligée au peuple juif rend les Allemands coupables à notre égard pour l’éternité. Dans cet esprit, le fait que l’Allemagne soit le premier partenaire commercial d’Israël après les USA et que, dans le cadre de l’Union européenne, elle soit par moment son meilleur défenseur (aujourd’hui devancée par l’Italie de Berlusconi) ne constitue pas une forme de rachat, mais simplement un dû dont Berlin doit s’acquitter.
L’ambassadeur Stein a donc énuméré et analysé pour nous les éléments objectifs et complexes qui marquent les échanges quotidiens, souvent ambivalents, entre Jérusalem et Berlin.

Comment définissez-vous les relations entre Israël et l’Allemagne ?

Sur les plans politiques, économiques et culturels, nous considérons les relations entre nos deux pays comme excellentes. En l’an 2005, nous allons marquer 40 ans de relations diplomatiques officielles, mais il est d’ores et déjà possible d’établir un bilan de cette période qui permet de dire que nos relations ont été en progression positive permanente. Le dialogue politique est impeccable, sur le plan économique l’Allemagne est notre premier partenaire commercial dans l’Union européenne, la culture israélienne est très appréciée dans le pays, les échanges de jeunesse sont très fréquents et finalement, en ce qui concerne les relations entre les deux peuples, un grand travail a été fait afin que l’Allemagne assume son passé historique.

Lorsque vous dites que le dialogue politique est «impeccable», qu’entendez-vous exactement ?

Bien que nous ayons nos divergences de vues, et je pense qu’il n’est pas nécessaire que tout le monde soit totalement d’accord avec la politique menée par Israël, notre dialogue est basé sur une compréhension mutuelle. D’ailleurs, le ministre des Affaires étrangères, M. Joschka Fischer, met tout en œuvre afin que la position israélienne soit mieux comprise et mieux admise au sein de l’Union européenne. Bien que cette démarche ne soit pas toujours couronnée de succès et que l’UE ne partage généralement pas nos vues, les efforts de la diplomatie allemande doivent être soulignés et appréciés. De plus, des visites diplomatiques ont régulièrement lieu.
Sur le plan politique, nos divergences portent avant tout sur le rôle d’Arafat. L’Allemagne n’estime pas qu’il est indispensable, mais considère qu’il ne peut pas être totalement mis de côté, car il a encore et toujours une certaine représentativité et qu’un dialogue, au moins symbolique, doit se poursuivre avec lui. Ceci n’exclut pas que parallèlement des négociations soient menées avec celui qui gagne de plus en plus en importance, soit son «premier ministre», poste qui a d’ailleurs été inventé par M. Fischer. Pour notre part, nous estimons qu’Arafat n’est pas un partenaire de dialogue. En fait, il s’agit plus d’une divergence de vue tactique que stratégique. A long terme, l’Allemagne est bien consciente qu’Arafat risque de devenir un problème et c’est pour cette raison que le poste de «premier ministre» a été créé. Un autre point de discorde réside dans la politique de peuplement de la Judée-Samarie-Gaza qui ne constitue pas seulement un problème face à l’Allemagne, mais par rapport à d’autres pays de l’Union européenne. Bien que nous soyons d’accord sur la nécessité de combattre le terrorisme, l’Allemagne est en désaccord avec notre manière de concevoir et de construire la clôture de séparation. L’idée de cette barrière comme outil de lutte contre le terrorisme est tout à fait acceptée par l’Allemagne, pour autant qu’elle soit construite le long des frontières d’avant 1967. Comme tel n’est pas le cas, nos avis divergent. Je peux donc dire qu’Arafat, notre politique de construction dans les territoires et la clôture de séparation constituent nos trois principales sources de désaccords.

L’Italie met tout en œuvre pour insuffler une nouvelle politique moins pro-arabe à l’Union européenne. Estimez-vous que l’Allemagne fédérale lui apporte effectivement son soutien dans cette démarche ?

Nous voulons espérer qu’à la fin de la présidence italienne de l’UE, cette période marquée par les prises de positions extrêmement positives à l’égard d’Israël du Premier ministre Berlusconi aura des effets prolongés. Depuis de nombreuses années, l’Allemagne fait partie des pays de l’Union qui montrent un intérêt à ce que le dialogue entre Israël et l’UE soit équilibré et pondéré. L’Allemagne ne partage pas l’avis de certains autres pays qui prônent que tout ce qui va mal et de travers au Moyen-Orient est exclusivement de la faute d’Israël et refuse de nous transformer en bouc émissaire permanent lorsque le processus politique échoue. De plus, la République fédérale avance et défend souvent l’argumentaire israélien. Je pense que si les efforts de l’Allemagne et de l’Italie sont couronnés de succès et que d’autres membres de l’Union se joignent à eux, notre situation auprès de cet organisme d’États s’améliorera nettement. A ce jour, les positions de l’Union européenne restent problématiques à notre égard. On récompense Israël lorsqu’il s’aligne sur les vues de l’UE et on le «punit» lorsqu’il suit sa propre politique. Ceci est anormal et ne s’applique à aucun autre pays. Afin d’illustrer mes propos, je rappellerai que l’UE est en désaccord total avec la manière dont le Kremlin agit en Tchétchénie. Ce n’est pas pour autant que la Russie est menacée de sanctions. J’espère vraiment que l’exemple italien deviendra un héritage qui ne sera pas oublié.

Pensez-vous que l’Allemagne soit vraiment en situation de jouer les moralistes face à Israël et en position de «punir» ou, pire encore, de «récompenser» les Juifs ?

Il faut faire une distinction entre la politique bilatérale et la politique multilatérale. Dans le cadre de l’Union européenne, il arrive que pour des raisons qui lui sont propres et en fonction de ses intérêts, l’Allemagne se sente obligée de voter collégialement avec les autres États contre Israël. Dans la mesure du possible, elle tente d’éviter ce genre de situation. Sur le plan bilatéral, elle n’a pas cette attitude moralisatrice que s’attribue l’Union européenne.

Pendant trois ans, vous avez été responsable au Ministère des Affaires étrangères du Département de la C.E.I., d’Europe Centrale et Orientale, vous connaissez donc bien les nouveaux États membres de l’UE. Comment voyez-vous l’évolution des relations de l’Union européenne une fois qu’elle aura été élargie à ces nouveaux membres ? Pensez-vous que l’Allemagne maintiendra sa politique dite équilibrée à l’égard d’Israël si de nouveaux impératifs intereuropéens se font jour, je pense en particulier face à son grand voisin immédiat, la Pologne ?

Il s’agit d’une nouvelle situation qui ne permet pas vraiment de faire des pronostics. Toutefois, je connais bien les dix pays qui vont se joindre à l’UE et je peux vous affirmer que chacun d’eux a fait preuve au cours des dernières années de compréhension envers les besoins et les problèmes d’Israël. J’ai donc de bonnes raisons d’espérer que cette réalité incitera ces pays à se joindre au bloc qui, dans l’Union européenne, nous est en général favorable, je pense à l’Allemagne, à l’Italie et à la Hollande. Ceci permettrait que l’équilibre à l’intérieur même de l’Union ne soit pas toujours défavorable à Israël. J’ai donc l’espoir que les nouveaux États-membres ne changeront pas leur position à l’égard d’Israël, quant à la réalité…, nous verrons bien de quoi elle sera faite.

En Allemagne, il existe une grande communauté musulmane, avant tout d’origine turque et irakienne, bien qu’il y ait aussi des Arabes qui ont quitté Israël, en particulier la Judée-Samarie-Gaza. Estimez-vous que ces populations constituent un danger, simplement physique, pour la communauté juive ?

Pas absolument, bien qu’un certain nombre d’actes d’antisémitisme violents permettent de penser qu’il existe une forte collusion entre les mouvements islamiques radicaux et l’extrême droite. Je dois rappeler que la majorité de la population musulmane qui vit en Allemagne est d’origine turque et très hétérogène. Il serait faux de définir toute cette minorité comme étant hostile dans son ensemble, et je peux même dire que certains éléments de ce groupement peuvent être considérés comme amicaux. Notre ambassade a des contacts avec la communauté turque de Berlin et en particulier avec un député de la SPD d’origine turque. D’ailleurs, nous coopérons étroitement avec la communauté juive afin de promouvoir un dialogue judéo-musulman en Allemagne, ce qui ne peut être que bénéfique pour tous. Cela dit, je ne peux négliger les éléments extrémistes qui déploient une activité antijuive et anti-israélienne, mais je dois reconnaître que le Ministère allemand de l’Intérieur est très conscient de cette réalité et des risques qu’elle comporte et qu’il fait ce qu’il faut afin de combattre ce phénomène. N’oublions pas que l’Allemagne est un pays d’immigrants, ce qui implique qu’à terme la population musulmane va croître, ce qui pourrait créer de nouveaux problèmes.

Vous nous avez parlé des échanges économiques favorables. Concrètement, comment cela se traduit-il ?

Quel que soit le niveau de nos échanges, le potentiel de développement est encore énorme. Il en va de l’Allemagne comme des autres pays européens, ce qui veut dire que la balance penche de façon énorme en faveur de l’Allemagne. Ce déficit n’est pas facile à combler. Il existe un certain nombre de domaines comme l’électronique pour l’industrie automobile et la bijouterie, où Israël a beaucoup à offrir. Dans les années 80, nous occupions une position très importante dans ces secteurs sur le marché allemand, malheureusement nous l’avons perdue car, au cours des années 90, nous n’avons promu que la haute technologie, ce qui s’est avéré être une erreur car à elle seule, elle était insuffisante. Le troisième domaine où nous avons perdu notre place est celui du dessin de mode. Nous mettons actuellement tout en œuvre pour regagner ces marchés, tout en ne négligeant pas tout ce qu’Israël propose dans le domaine de la biotechnologie et de la haute technologie. La coopération dans la recherche scientifique entre les deux pays est extrêmement développée et intensive, elle est même soutenue par le Gouvernement allemand avec une subvention annuelle de 25 millions d’euros. De plus, une interaction et une coopération directe entre la recherche, l’industrie et l’économie des deux pays constituent déjà une constante de nos relations. Mais là aussi, un très grand potentiel de développement est facilement prévisible.

Vous avez aussi mentionné l’engagement politique de l’Allemagne aux côtés d’Israël, ce qui après tout constitue le minimum qu’elle puisse faire pour tenter de se réconcilier avec son passé et son sentiment de culpabilité à l’égard du peuple juif. Toutefois, lors des manifestations anti-américaines contre la guerre en Irak, de nombreux jeunes Allemands ont défilé affublés de Keffiehs et scandant des slogans anti-israéliens et pro-arabes. Pensez-vous que les membres de cette jeunesse, qui en fait sont les politiciens allemands de demain, maintiendront la position actuelle du Gouvernement allemand qui, à vous entendre, est pratiquement inconditionnellement pro-israélienne ?

Rien n’est évident. J’estime que cinquante-huit ans après la Shoa, nous sommes encore et toujours en présence de personnes qui soit ont connu cette période, soit sont nées en tant que deuxième génération. C’est avant tout celle-ci qui est aujourd’hui aux commandes. Il s’agit de deux générations absolument conscientes de leur responsabilité historique. Par conséquent, elles entreprennent les démarches nécessaires afin d’assumer l’histoire récente de l’Allemagne et font un travail de mémoire intensif. En ce qui concerne la troisième et la quatrième génération, je ne pense pas qu’il soit évident qu’elles s’inscrivent automatiquement dans la continuité des deux premières. C’est dans ce but que le travail de mémoire constitue un devoir permanent et continuel. Il ne saurait être question, comme certaines voix le demandent aujourd’hui en Allemagne, de regarder la montre de l’histoire et de dire: «après cinquante-huit ans, il est temps de tirer un Schlussstrich - un trait final - et de classer toute cette affaire». La classe politique actuelle est très consciente des dangers qu’implique une telle attitude et fait ce qu’il faut afin que cette question soit en permanence d’actualité. Elle est aussi consciente du fait que ceci ne concerne pas seulement les relations entre l’Allemagne et le peuple juif, mais touche aussi d’autres pays européens. A cet égard, la situation n’est pas simple et l’on peut se poser un certain nombre de questions et même avoir des inquiétudes quant à l’attitude des futures générations. Vous avez parlé du sentiment de culpabilité. Vous touchez là au centre d’un débat fondamental qui secoue l’Allemagne actuellement. Il n’est pas possible d’entrer en détail dans cette discussion. Toutefois, je voudrais souligner que ce sentiment constitue un énorme fardeau pour un peuple qui doit continuer à vivre et à se développer et ce particulièrement pour la jeune génération. La question qui revient toujours est de savoir comment traiter ce problème tant de temps après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, par rapport à la réunification de l’Allemagne, par rapport à la normalisation (l’acceptation de l’Allemagne comme nation à part entière), par rapport à la décharge de l’Allemagne et à sa dédiabolisation et finalement par rapport à l’identité allemande en tant que telle. Mais je crois que nous devons suivre avec vigilance et même avec quelque inquiétude l’évolution de ce débat et la manière dont cette question est traitée en Allemagne fédérale.

Qu’entendez-vous par inquiétude ?

Je pense à un certain nombre de politiciens qui tentent de relativiser la Shoa à la lumière de ce qui se passe en Israël aujourd’hui, ce qui est inouï, et de faire progresser l’idée de ce fameux «Schlussstrich» dont je vous ai parlé. Ces mêmes personnes veulent démontrer que le peuple allemand n’était pas le seul malfaiteur et n’hésitent pas à comparer les soldats israéliens aux nazis ! Il ne s’agit pas d’événements sporadiques qui se déroulent en marge de la société allemande, mais au centre de la société civile. Parallèlement, il faut faire attention de ne pas stigmatiser toute la société allemande.

Un ambassadeur d’Israël est aussi et souvent avant tout le représentant d’Israël auprès de la communauté juive du pays dans lequel il est en poste. De quel œil voyez-vous la communauté juive qui vit en Allemagne ?

La communauté juive allemande est en pleine mutation. Avec l’arrivée de plusieurs dizaines de milliers de Juifs en provenance de la C.E.I., elle a connu le plus important essor en Europe. Pour nous, ce qui compte, c’est que les Juifs qui ont décidé de s’établir en Allemagne au lieu de venir en Israël restent conscients et proches de leur identité juive. Nous souhaitons qu’ils continuent à vivre en tant que Juifs et qu’ils conservent des liens étroits avec Israël. C’est notre devoir de maintenir les contacts et de les intensifier. Quant à nos relations avec les instances communautaires, elles sont excellentes et nous entretenons un dialogue constant. En ce qui concerne l’Aliyah, l’Agence Juive n’est active ici que depuis peu, mais il y a un certain potentiel. Toutefois, il faut bien reconnaître qu’avant que des jeunes aient l’intention de venir vivre dans l’État juif, il est de notre devoir de leur permettre de découvrir leur identité juive et de la consolider. Ce n’est que par ce biais que les relations de la jeunesse avec Israël se renforceront et mèneront éventuellement à une immigration en Israël. A cet égard, il faut aussi souligner que certains groupes de jeunes sont très conscients et proches de leur identité juive alors que d’autres doivent encore la découvrir.
En conclusion, je dirai que nous sommes à la croisée des chemins et que la communauté juive en Allemagne vit une transformation profonde qui fait que les leaders juifs de demain seront probablement issus de la C.E.I., ce qui donnera une toute autre coloration à cette communauté qui, cinquante-huit ans après la Shoa, connaît un renouveau que personne n’aurait imaginé il y a quinze ans encore.

(Reportage photos: Bethsabée Süssmann)

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