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Sommaire Éthique et Judaïsme Printemps 1999 - Pessah 5759

Éditorial - Printemps 1999
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Prévention à risque

Par le rabbin Shabtaï A. Rappoport *
Agée de 52 ans, M. est une femme en pleine santé, exerçant avec enthousiasme sa profession d’enseignante à l’école primaire. Sa grande passion est l’enseignement de l’histoire et des mathématiques aux petites filles. Elle s’est mariée à un âge relativement avancé. Son fils aîné, qui a hérité d’elle sa passion et son don pour les mathématiques, est né alors qu’elle avait trente-cinq ans. Lorsque la sœur aînée de M. a été atteinte d’un cancer du sein, vingt ans après le décès de leur mère de cette même maladie, M. s’est rendue chez son médecin, une de ses anciennes élèves. Quelques années auparavant, une grosseur avait été découverte dans le sein de M. mais la biopsie avait établi qu’il s’agissait d’une tumeur bénigne, une hyperplasie atypique dans le jargon médical. Cet incident avait beau être oublié depuis longtemps, en réexaminant l’histoire médicale de M. et de sa famille, la doctoresse se montra fort inquiète. Elle expliqua à M. que statistiquement, elle courait un risque élevé d’avoir un cancer du sein. Toutefois, ajouta-t-elle, il y avait un moyen de réduire ce risque de façon significative.
Une des causes du cancer du sein est l’œstrogène, hormone favorisant la division des cellules du sein (saines et cancéreuses) : dans sa «mauvaise» forme, elle augmente le risque de cancer du sein. Une substance hormonale appelée tamoxifen ressemble suffisamment à l’œstrogène pour se lier aux récepteurs d’œstrogène dans les cellules du sein mais s’en distingue assez pour ne pas favoriser la division de ces cellules. Ainsi, le tamoxifen agit comme un anti-œstrogène, parce qu’il bloque l’effet de l’œstrogène dans le sein en ralentissant ou en stoppant la croissance des cellules cancéreuses déjà présentes dans le corps. Cette substance a longtemps été utilisée comme thérapie contre le cancer et il a été prouvé qu’elle permet d’éviter les récidives du cancer dans le sein atteint à l’origine et qu’elle est également en mesure de prévenir le développement de nouveaux cancers dans l’autre sein.
Une étude ultérieure a indiqué que le tamoxifen est également efficace dans la prévention du cancer du sein chez les femmes faisant partie de la catégorie à risque. Cette étude montre une réduction de 50 % dans le diagnostic de la maladie parmi les femmes ayant pris ce médicament. Toutefois, le tamoxifen même présente également des risques. La substance ressemble suffisamment à l’œstrogène pour augmenter le risque d’apparition de trois problèmes de santé rares mais sérieux : le cancer du corps de l’utérus (cancer de l’endomètre), l’embolie pulmonaire et la thrombose veineuse des membres inférieurs. Par conséquent, conclut son médecin, M. devait décider soit de prendre le tamoxifen afin de prévenir un cancer du sein soit de s’abstenir en raison des effets dangereux du médicament. La praticienne précisa que tout compte fait, l’estimation statistique du rapport risque-bénéfice faisait pencher la balance en faveur d’un traitement préventif au tamoxifen.
La réaction première de M. fut qu’il n’était pas de son ressort de prendre une telle décision. La Halakha interdit à l’individu de mettre sa vie en péril et par conséquent il semblait que la seule voie autorisée soit une attitude de non-intervention, dans l’espoir qu’elle resterait en bonne santé malgré le fait d’appartenir à la catégorie à risque.
Une situation quelque peu semblable fait l’objet d’une discussion dans le Talmud (Avodah Zarah 27a-b). Les Sages nous interdisent de nous faire soigner par un médecin païen parce qu’il est susceptible de tuer le patient. Etre traité par un tel médecin constitue une transgression des commandements bibliques «Mais aussi, garde-toi toi et préserve soigneusement ta vie...» et «Prenez donc bien garde à votre vie» (Deutéronome IV, 9-15). Citant Rabbi Jonathan, le Talmud stipule que dans le cas où l’on ignore si [le patient] vivra ou mourra, nous ne devons pas permettre au médecin païen de le traiter ; mais s’il est certain que sans traitement il mourra, nous pouvons autoriser le traitement [par un médecin païen]. Le Talmud discute ce jugement : «Ne faut-il pas [prendre en considération] la vie d’une heure ? (En d’autres termes : Le païen est susceptible de provoquer la fin prématurément et de raccourcir ainsi la vie du patient, ne fût-ce que de quelques heures)». Mais il conclut : «Il ne faut pas considérer ici la vie d’une heure.» (vie en sursis d’un patient condamné, atteint d’une maladie incurable, au stade terminal - voir Shalom Vol. XXX). Par conséquent, prendre un médicament susceptible de tuer le patient est uniquement autorisé lorsqu’on se trouve en présence d’une maladie mortelle impossible à traiter autrement. Dans tout autre cas, le patient doit adopter une attitude de non-intervention et s’abstenir de prendre des risques.
Cependant, les Tossafot, (maîtres français et allemands des XIIe et XIIIe siècles dont beaucoup furent les disciples de Rachi, qui ajoutent explications et éclaircissements au texte talmudique) commentant ce passage mettent en question la conclusion citée, selon laquelle la vie d’une heure ne doit pas être prise en considération. Le Talmud (Yoma 85a) stipule que les lois du Shabbat doivent être transgressées pour sauver la vie d’un être humain, même s’il n’a plus que peu de temps à vivre et qu’on ne pourra prolonger son existence que brièvement. Si «la vie d’une heure» ne doit pas être prise en considération, pourquoi transgresser les lois du Shabbat pour un tel patient ? Selon la réponse des Tossafot, dans les deux cas, le jugement des Sages a en vue l’intérêt du patient. Si on ne transgresse pas les lois du Shabbat, il mourra plus tôt et donc le jugement nous enjoint de tout tenter afin de prolonger sa vie. Dans le cas du médecin païen - qu’on peut assimiler à un médicament ou à un traitement dangereux -, si l’on interdit le traitement, le patient mourra à coup sûr et la décision des Sages est donc d’autoriser le patient à recevoir le traitement.
Cette réponse des Tossafot paraît étrange. Le dilemme résidait dans la distinction entre «la vie d’une heure» et la vie normale. Il a été prouvé que la vie d’une heure ne pouvait être considérée comme moins valable que la vie normale, car dans le cas contraire la transgression des lois du Shabbat en vue de la prolonger n’aurait pas été autorisée. Par conséquent, le commandement «préserve soigneusement ta vie» s’applique à «la vie d’une heure» aussi bien qu’à la vie normale. Pourquoi dans ce cas existe-t-il un jugement stipulant que «la vie d’une heure» n’est pas prise en considération ? Réponse : “la vie d’une heure” est considérée comme étant de moindre valeur que la vie normale et la première peut être sacrifiée en faveur d’une chance pour la seconde. Mais, peut-on arguer, pourquoi nous ordonne-t-on de transgresser les lois du Shabbat afin de prolonger “la vie d’une heure” alors qu’aucune source biblique spécifique ne justifie un tel jugement ? Le dilemme semble demeurer en dépit de la réponse proposée par les Tossafot.
Les paroles de Maïmonide dans ses «Lois sur le meurtre et la préservation de la vie» (XI, 6) offrent peut-être la solution : «De nombreux actes susceptibles de mettre la vie en péril ont été interdits par nos Sages. Quiconque viole ces interdits en disant : ‘Je risque ma propre vie, en quoi cela regarde-t-il les autres?’ Ou : ‘Je ne crains pas les conséquences de ces actes’ mérite la flagellation.» Pourquoi Maïmonide prend-il la peine de mentionner le raisonnement du transgresseur ? Il aurait été suffisant d’écrire : «Quiconque viole ces interdits mérite la flagellation.» Il semble que le commandement «préserve soigneusement ta vie» s’applique non à l’acte lui-même mais surtout à sa motivation. Il se peut fort bien que lorsque deux individus commettent le même acte, l’un sera accusé d’avoir violé le commandement et l’autre sera considéré comme ayant agi dans le cadre du commandement. Le premier a fait fi du risque posé à sa vie tandis que le second, tout en craignant le risque, a pris toutes les précautions possibles et a agi pour des raisons impérieuses. Le premier a pour ainsi dire pénétré illégalement dans une zone militaire de tir et le second appartient à une unité d’élite de l’armée. On ne peut qualifier d’interdit tout acte risquant la vie : seul un acte commis dans le mépris de ce risque est interdit.
Tel est précisément le sens de la réponse donnée ci-dessus par les Tossafot. «La vie d’une heure» est tout aussi considérée que la vie normale, peu importe sa durée prévue. Le traitement par un médecin païen n’est pas autorisé parce que le malade est en phase terminale. Mettre en péril «la vie d’une heure» par mépris est strictement interdit. Toutefois, quand un malade se trouve au stade terminal, on pourra raisonnablement présumer qu’un tel risque peut être bénéfique. Mettre sa vie en péril pour la chance d’une vie saine et normale est autorisé, puisque ce n’est pas le risque même qui est interdit mais le mépris du risque. Par conséquent, cela vaut pour une personne en bonne santé autant que pour un malade en phase terminale.
Si M. décide de prendre le tamoxifen, elle ne le fait pas par mépris pour sa vie. Au contraire, elle absorbe ce médicament parce qu’elle souhaite la préserver et pour ce faire, elle prend un risque calculé. Cette démarche ne constitue pas une manifestation de dédain, mais traduit au contraire une haute considération pour la vie et c’est pourquoi elle est autorisée.

* Le rabbin Shabtaï Rappoport dirige la Yéshiva «Shvout Israël» à Efrat (Goush Etzion). Il a publié entre autres travaux les deux derniers volumes de «Responsa» rédigés par le rabbin Moshé Feinstein z.ts.l. Il met actuellement au point une banque de données informatisées qui englobera toutes les questions de Halakha. Adressez vos questions ou commentaires à E-mail: shrap@mofet.macam98.ac.il.


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