"Avez-vous des préjugés ? Si oui, passez par la porte verte, sinon, par la rouge"..., mais la "porte rouge" reste obstinément fermée, ne permettant à aucun visiteur de la franchir. C'est ainsi que débute la visite de l'un des musées les plus remarquables du monde, le "BEIT HASHOAH - MUSEUM OF TOLERANCE", du Simon Wiesenthal Center de Los Angeles. Il traite en deux parties de sujets intimement liés: d'un côté, le sectarisme, la bigoterie, le racisme et l'intolérance aux USA; de l'autre, l'histoire de la Shoa. Le Musée a été conçu dans un esprit bien éloigné du concept traditionnel et classique de l'exposition, généralement représenté par des objets inertes. Ici, tout bouge, tout est action et incite à la réflexion. Les dernières technologies de l'audiovisuel et de la transmission de l'information par l'informatique et les multimédias interactifs interpellent le visiteur.
La première section, intitulée "The Tolerancenter", est une sorte de workshop en trente-cinq parties, dans laquelle le visiteur participe activement à la découverte des divers aspects de la bigoterie, du sexisme, des préjudices et du racisme. Par exemple, une vidéo relate une réception où sont rapportées des bribes de conversations du genre: "Je ne suis pas raciste, mais vous savez comment sont ces gens-là...", ou encore: "Je n'ai aucun préjugé, mais je ne voudrais pas que ma fille épouse l'un d'entre eux..." En participant directement à un certain nombre de jeux techniques, le visiteur est en permanence confronté à des choix et amené à exprimer son point de vue. L'un de ces jeux consiste à établir le couple idéal, en choisissant de mélanger ou justement de ne pas mélanger les images juxtaposées en fonction des races, des professions ou des genres. Un autre jeu démontre l'importance des images stéréotypées qui sont en nous depuis notre enfance: "les gros sont sympathiques", "les femmes sont sans défense", etc. Il est démontré combien ces images influencent nos jugements. On peut ainsi participer directement à de nombreux "jeux". Quelques autres aspects de cette section du Musée sont particulièrement frappants. Le film "It is called Genocide" montre les massacres autres que la Shoa qui ont jalonné le XXe siècle en Arménie, au Cambodge, en Amérique du Sud, etc., alors qu'un autre un film multimédia nous parle de la lutte pour les droits civils aux Etats-Unis. De plus, une carte électronique des USA fort intéressante, intitulée "The Other America", indique les régions où opèrent les centaines de groupuscules de la haine à travers tout le pays. Sur l'écran placé devant la carte, on peut obtenir des informations sur le caractère spécifique de chacun de ces groupes: activités, idéologies, rayons d'action, etc. Les écrans multimédias permettent de se plonger directement dans des situations quotidiennes et d'être confrontés à des expressions courantes qui, souvent, portent en elles le germe du racisme. Il en va de même des fausses suppositions ou des a priori. L'exposition démontre avec quelle facilité les préjugés se transforment en actes violents.
De fil en aiguille, par le biais d'une présentation historique, de photos d'hier et d'aujourd'hui, le visiteur est conduit à la réflexion, notamment à évaluer l'impact de ses paroles et de ses pensées sur ses actes et son entourage direct.
C'est donc chargé de cette réflexion, qui ne laisse aucune personne insensible, que le visiteur est dirigé vers la section traitant directement de la Shoa. Là encore, à certains moments, la question du choix se pose au participant. Dès le début, le narrateur vous invite à faire un retour dans le temps, dans ce Berlin de l'âge d'or des années 1920, cette capitale européenne bouillonnante et haut lieu de la culture. L'histoire de l'époque, le contexte économique et culturel, la honte de l'Allemagne qui a perdu la Première Guerre mondiale, la porte ouverte aux extrémismes de tout genre et l'antisémitisme actif sont rappelés au visiteur qui se retrouve brusquement en 1932, sur la terrasse d'un café à Berlin. Bien que tout le Musée soit absolument exemplaire du début à la fin, impliquant totalement et profondément les participants, cette reconstitution est l'une des parties les plus saisissantes. Des couples représentés par des mannequins sont attablés et dialoguent. Un jeune américain tente de convaincre son amie juive de le suivre à Chicago. "Tu te fais trop de soucis", dit Ilse, convaincue que sa famille a gagné le respect de ses concitoyens allemands... Le narrateur conclut en disant qu'Ilse et son mari furent déportés en Lithuanie et assassinés par les nazis. Divers caractères typiques de la société allemande d'alors, juifs et non juifs confondus, assis sur cette terrasse, continuent de dialoguer et, à chaque fois, le narrateur conclut en racontant le sort tragique de chacun d'entre eux. Cette partie du "Museum of Tolerance" a pour but de montrer aux visiteurs que l'état nazi n'est pas tombé sur l'Europe par "hasard". Le climat ayant permis à Hitler d'accéder au pouvoir est parfaitement recréé, démontrant bien qu'il s'agissait d'un processus marqué, à chaque étape, par l'aveuglement volontairement passif des Allemands face à la montée visible et inexorable du nazisme.
La visite se poursuit par l'ascension d'Hitler, la Kristallnacht, jusqu'à la fameuse Conférence de Wannsee du 20 Janvier 1942, merveilleusement reconstituée. Derrière une baie vitrée se trouve une salle de conférences où l'on entend les chefs nazis planifier l'extermination systématique des onze millions de Juifs européens et discuter des méthodes d'extermination et de déportation, le tout dans le calme, la distinction et accompagné d'excellents vins. C'est au cours de cette conférence que la solution finale fut décidée, l'idée étant de commencer par l'extermination des Juifs de Pologne, puis d'assassiner les Juifs des autres pays d'Europe une fois les problèmes de transport réglés.
Ensuite, étape par étape, le visiteur est amené à la déportation, aux camps, aux assassinats en masse des Juifs, des Tsiganes, des homosexuels, des dissidents, des communistes, des intellectuels, des malades mentaux et des handicapés. L'accent est également mis sur la collaboration souvent enthousiaste des pays envahis par les nazis, où les polices locales et les populations ont activement participé au massacre des Juifs.
Un large chapitre est consacré au Ghetto de Varsovie et à la résistance juive. Une grande carte ferroviaire montre les lignes de déportation, rappelant qu'un grand nombre de déportés sont morts pendant leur transport, entassés comme du bétail.
Mais l'histoire n'est pas simplement racontée ou rappelée par un ensemble de documents, de maquettes ou de vidéos. A chaque étape, le visiteur est confronté à un certain nombre d'interrogations. Par endroits, il se retrouve face à des maquettes où sont réunis historiens et chercheurs dans les studios des concepteurs du Musée. Par un système audio, ceux-ci anticipent les questions que les futurs visiteurs se poseront telles, par exemple: "comment se fait-il que tant de monde ait pu se laisser aveugler par Hitler ?". Dans le cadre du studio, la réponse à ces interrogations potentielles est apportée par une présentation de documents audiovisuels de l'époque.
Comme tout le Musée est basé sur l'idée d'impliquer le visiteur, celui-ci est amené à passer par une réplique du portail d'Auschwitz. Une lumière glauque illumine les baraques au loin et la fumée de la cheminée de l'un des quatre fours crématoires est visible. L'atmosphère lugubre et inhumaine est parfaitement reconstituée. A cet endroit, le visiteur doit à nouveau faire un choix. Il doit prendre l'un des deux tunnels. Le premier porte un panneau indiquant "corps valides", l'autre "enfants et autres", ce afin de rappeler la sélection opérée à l'entrée des camps de la mort. Les deux tunnels aboutissent dans une pièce, le hall du souvenir, où, sur des murs de béton froids, un certain nombre d'écrans vidéo sont installés. Sur chacun d'eux, on peut voir et entendre des témoins raconter leur expérience à travers la Shoa.
A la sortie, le visiteur se retrouve face à un mur électronique où la question suivante est inscrite en plusieurs langues: Qui était responsable ? Les fanatiques ? - Ceux qui suivirent aveuglément les ordres ? - Les intolérants ? - Les bigots ? - Les dirigeants politiques ? - Ceux qui restèrent silencieux ? La réponse apparaît en couleurs et en plusieurs langues: VOUS ETES RESPONSABLES !
Le "Museum of Tolerance" ne se limite pas exclusivement à une série d'expositions à la pointe de la technologie. Il s'agit de bien plus, d'un véritable centre d'études et de documentation qui, outre ses ateliers multimédias (30 stations de travail et 700 heures d'enregistrements vidéo de survivants), dispose d'archives (les lettres originales d'Anne Frank, des passeports émis par Raoul Wallenberg, la confession signée du médecin-chef SS du camp de la mort de Majdanek, etc.), d'une bibliothèque importante (large documentation de propagande antisémite), de salles de classe, d'un amphithéâtre de 300 places et d'un auditorium de 150 places équipé pour la présentation de films, de conférences, de séminaires, d'une librairie, d'un magasin de souvenirs et d'art cultuel juif et, à ne pas négliger, d'une cafétéria strictement cachère qui offre des plats carnés froids et chauds. Le Musée est fermé Shabbat, pendant les fêtes juives et les jours fériés officiels. Le vendredi et la veille des fêtes juives, les portes ferment à 13 heures.
L'architecture extérieure moderne n'est égalée que par un intérieur ultramoderne, qui compte un espace réservé à la mémoire où tous les noms des camps de la mort nazis, les ghettos, les villes, les camps de concentration sont gravés sur un mur. Une ménorah géante symbolise la renaissance de la vie juive après la Shoa. Le "Museum of Tolerance" ne prétend pas vouloir guérir le monde des préjudices et de la haine ethnique et raciale. Toutefois, sa signification réside dans sa confrontation directe et immédiate avec tout ce qui a immédiatement trait à la dignité humaine et à nos relations personnelles avec autrui. Le défi du Musée est de savoir comment il affecte les esprits et les cýurs des visiteurs et s'il les influence de façon à provoquer en eux un changement d'attitude positif. Il constitue un environnement où la dynamique sociale des relations interethniques est explorée et où la perception individuelle de l'autre est remise en question et défiée.
Los Angeles offre de nombreux centres d'intérêt, mais aucune visite dans la "Cité des Anges" ne serait complète sans une halte au "Beit Hashoa - Museum of Tolerance".
BEIT HASHOAH
MUSEUM OF TOLERANCE
9786 WEST PICO BLVD
LOS ANGELES
TEL: (310) 553.84.03.
Heures d'ouverture:
Dimanche: 11h30-17h00
Lundi-Jeudi: 10h00-17h00
Vendredi: 10h00-13h00
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