Éditorial - Mars 1994
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Depuis la signature des accords Rabin-OLP, les actes terroristes ne cessent d'augmenter en Israël et les victimes juives du terrorisme arabe ainsi que la faiblesse du gouvernement sont en constante progression. Afin d'analyser la situation actuelle, ses éventuelles conséquences ainsi que la question du terrorisme, nous avons rencontré YIGAL CARMON, ancien conseiller de Itzhak Rabin puis de Itzhak Shamir pour le contre-terrorisme, membre de la délégation israélienne à la Conférence de Madrid et aux négociations bilatérales de Washington face à la Syrie. Y. Carmon a été démis de ses fonctions dès l'entrée au pouvoir du nouveau gouvernement.
En tant que grand spécialiste en matière de terrorisme, comment expliquez-vous que le gouvernement d'Israël ait pu donner un statut de respectabilité à l'organisation terroriste OLP ?
Fondamentalement, cet acte reste incompréhensible, mais on peut naturellement trouver de nombreuses explications. En raison des faits qui émergent aujourd'hui, voici ce qui me semble être le plus plausible. En mars 1993, Rabin s'est retrouvé dans une situation extrêmement difficile. Cela faisait quelques mois que les négociations de Washington étaient suspendues et aucune date de reprise n'était prévue. Le terrorisme battait son plein, il y avait eu plus de 15 victimes israéliennes en douze jours. Les perspectives étaient véritablement sombres. C'est à ce moment précis que le ministère des Affaires étrangères, avec à sa tête Shimon Peres, a décidé de mettre Rabin au courant des négociations secrètes qu'il menait derrière son dos depuis des mois avec l'OLP à Oslo. Rabin a immédiatement joué le jeu et donné son feu vert pour la poursuite des négociations. Il faut savoir, et ceci peut sembler totalement utopique, qu'aussi bien Rabin que l'équipe des Affaires étrangères n'ont jamais eu l'intention de signer un accord avec l'OLP et encore moins de donner un tel statut à Arafat ! L'idée était de négocier avec "le véritable patron" qu'était l'OLP et d'arriver à une sorte d'accord qui serait ensuite signé et appliqué par la délégation de Washington, c'est-à-dire par les représentants des populations vivant en Judée-Samarie et à Gaza. En fait, il était prévu de présenter le projet d'accord ainsi négocié aux délégations de Washington qui l'auraient accepté et les négociations secrètes avec l'OLP n'auraient jamais été rendues publiques. L'idée était totalement farfelue et n'avait aucune chance d'aboutir. A la fin des négociations, il est apparu clairement que personne ne signerait ce pacte. En accord total avec l'OLP, la délégation palestinienne a tout simplement refusé de le signer. Rabin s'est retrouvé dans une situation impossible. A cela s'est ajouté le fait que feu le ministre norvégien des Affaires étrangères, J. Holst, a révélé les pourparlers secrets au monde entier uniquement dans le but de gagner les élections législatives, ce qu'il a effectivement fait avec succès. Il s'en est suivi une négociation de dix jours afin d'établir le document de reconnaissance mutuelle devant donner à l'OLP le droit de signer l'accord. L'OLP a fait de nombreuses promesses, mais de manière telle à ce qu'en définitive, elle ne soit contrainte de n'en tenir aucune: cela va de l'abolition ou plus exactement de la modification de sa charte à l'arrêt de l'Intifadah en passant par de nombreux points litigieux...
Voyant la tournure des événements et sachant que la délégation palestinienne de Washington n'allait pas signer les accords, Rabin aurait pu stopper le processus. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ?
C'est Itzhak Rabin personnellement qui porte le poids et toute la responsabilité de cette catastrophe. D'une part parce que la population lui a fait confiance et, d'autre part, parce qu'il n'était pas disposé à payer le prix politique de son erreur en démissionnant. Il voulait absolument démontrer qu'il était à même de réussir là où le Likoud n'avait pas obtenu de résultats rapides. Cette démarche est également motivée par la haine viscérale que la gauche voue au Likoud.
En votre qualité d'expert en terrorisme, comment expliquez-vous qu'Israël n'ait jamais réussi à abattre Arafat et comment se fait-il que les racines profondes du terrorisme arabe n'aient jamais pu être extirpées, sans parler du fait que l'Intifadah a été combattue avec une certaine mollesse ?
Assassiner Arafat aurait été envisageable jusqu'à son sauvetage par Mitterrand au Liban. Ce fut un manquement de notre part. Ultérieurement, il n'y a pas eu de décision politique dans ce sens, sans parler du fait que cela n'aurait pas été vraiment facile. Nous n'avons cessé de combattre le terrorisme arabe et avons remporté un certain nombre de victoires non négligeables. En ce qui concerne l'Intifadah, il était impossible de réagir comme par exemple en Algérie, en lançant des tanks contre les terroristes de l'Intifadah. Nos valeurs juives, qui nous imposent un respect profond de la vie humaine, nous l'interdisent. La population n'aurait jamais accepté une telle action. Il existe d'autres moyens bien plus efficaces et qui n'impliquent pas de versement de sang pour calmer et contrôler une population hostile. Il suffit d'agir politiquement au sein même de la population arabe et d'utiliser le pouvoir administratif, économique, social, etc. Pour illustrer mes propos, je vous citerai en exemple le jour où l'Administration civile a décidé, pour des raisons d'informatisation, de changer les cartes d'identité des Arabes vivant à Gaza et travaillant en Israël. Environ 50'000 personnes étaient invitées à se présenter dans un bureau de l'armée spécialement installé pour l'occasion. Quatre jeunes soldates gardées par une vingtaine d'hommes en arme procédaient aux formalités. Des milliers d'Arabes qui, en raison de leur supériorité numérique, auraient pu massacrer sans aucune difficulté les soldates et les quelques hommes qui les protégeaient, faisaient la queue devant ces bureaux sans broncher. En effet, privés de leur carte d'identité, ils étaient réduits à néant. Utiliser les moyens administratifs représente une forme de violence où le sang ne coule pas. Nous avons totalement ignoré cet aspect de la lutte et combattu l'Intifadah uniquement sur le terrain, par la confrontation physique. Or, la vie quotidienne des Arabes qui jetaient des pierres et des cocktails molotovs sur nos soldats et nos civils n'était en rien perturbée ou même modifiée. Ils n'étaient confrontés aux autorités que lors de combats de rues. En dehors, ils bénéficiaient de toute l'aide gouvernementale qui leur revenait en temps normal. C'est Moshé Dayan qui a instauré cette politique aberrante qui fait la différence entre l'être civil et le combattant de la rue, alors qu'il s'agit du même individu portant alternativement deux casquettes. La Jordanie a eu à faire face à une sorte d'Intifadah début 1988. Elle y a mis fin en onze jours avec un total de 9 victimes en utilisant tous les moyens administratifs à disposition. Cette répression s'avère être moins brutale, subtile et plus efficace. C'est à ce niveau notamment que nous touchons l'un des points sensibles des accords Rabin-OLP. En effet, en cas de difficultés après le retrait de nos troupes de Jéricho et de Gaza, serons-nous moralement, humainement et politiquement à même de lancer des bombardiers ou des tanks contre ces régions à forte population civile ? Je ne le pense pas.
Le trafic de drogue et le terrorisme, que l'on appelle communément narco-terrorisme, sont intimement liés. La Syrie cultive de très larges champs de pavot en Syrie et au Liban. Dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme, pourquoi Israël n'a-t-il jamais bombardé ces champs ?
Ce type de destruction ne peut pas se faire par un bombardement "classique", il faut utiliser des produits chimiques. Les champs de pavot n'ont pas été bombardés, car le gros de l'armée syrienne est stationné dans la vallée de la Bekaa, là où sont situés ces champs. C'était l'une de nos revendications à Madrid, nous avions demandé à ce que la Syrie évacue cette région et détruise ces champs. Un bombardement israélien dans cette zone aurait sans aucun doute mené à une intensification de la tension, et les effets d'une telle opération étaient totalement imprévisibles.
Comment analysez-vous les relations OLP-Hamas ?
Les deux organisations ont conclu un accord stipulant qu'elles ne se combattront pas mutuellement, ni aujourd'hui ni à l'avenir. Lorsque l'on demande à un officiel de l'OLP comment il agira contre une personne ayant commis un acte terroriste en Israël, la réponse est soit évasive, soit assez claire, comme celle d'Abou Mazen qui a déclaré: "la police palestinienne ne servira pas à la répression."
Comment voyez-vous l'évolution de la situation ?
Tout d'abord, je ne pense pas qu'Israël puisse se retirer totalement de Gaza et de Jéricho. Rabin sait très bien qu'à la minute où les premiers soldats commenceront à partir, les Arabes leur tireront dans le dos et le chaos sera total. Ne croyez surtout pas que ce soit une bonne nouvelle, bien au contraire. Il faut comprendre l'ampleur du drame bien que, sur le terrain même, Israël n'ait pour l'instant rien cédé sauf la reconnaissance de l'OLP, ce qui est déjà énorme en soi. Le geste que je qualifierai de "criminel" dans toute cette affaire est le fait d'avoir donné de faux espoirs considérables aux populations juives et arabes. Si le projet échoue, les Juifs qui y ont cru seront déçus, mais survivront tant bien que mal. Par contre, les Arabes réagiront très mal et auront beaucoup de difficultés à accepter cette nouvelle réalité. Le désordre qui en suivra coûtera de nombreuses vies juives et, comme en 1948, les deux communautés civiles se retrouveront face à face, l'arme à la main. Les habitants juifs des territoires seront au front, mais les populations s'affronteront partout dans le pays. Ces prédictions peuvent vous paraître bien sombres, mais je ne vois pas d'autre issue. Toute cette tragédie est basée sur cette illusion qui veut que la paix, quelle qu'elle soit, constitue une garantie de sécurité. De plus, la fuite en avant à laquelle le gouvernement actuel s'est condamné exigera en définitive de la population israélienne un prix très élevé en sang et en souffrances. La démarche et ses conséquences sont strictement les mêmes en ce qui concerne le reste des territoires et le Golan.
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