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Sommaire Éthique et Judaïsme Automne 2001 - Tishri 5762

Éditorial - Automne 2001
    • Éditorial

Roch Hachanah 5762
    • Les sources de l’espoir

Politique
    • Israël sans stratégie politique

Interview
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    • Le véritable «nouveau Moyen-Orient»
    • Arabe pur sang !

Judée – Samarie – Gaza
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    • Un signe venu de l’au-delà
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    • Lituanie quo vadis ?
    • Ambivalences lituaniennes
    • La mémoire en images

Éthique et Judaïsme
    • Entre prudence et panique

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Entre prudence et panique

Par le Rabbin Shabtaï A. Rappoport *
P. est un homme soucieux de sa santé, d'autant plus qu'il approche la cinquantaine. Il fait régulièrement de l'exercice et se nourrit de façon équilibrée. Il consomme parfois de la viande, modérément, toujours le shabbat et les jours de fête; il a le sentiment que cela lui donne un regain d'énergie, surtout lorsqu'il se sent mentalement ou physiquement épuisé. @tn :Mais au cours des dernières années, la consommation de bœuf est devenue dangereuse puisqu'elle peut causer une dégénérescence fatale du cerveau humain, appelée variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ). De fortes présomptions portent à croire que cette maladie est liée à l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), qui affecte les bovins et est également connue sous le nom de maladie de la vache folle. Elle a été identifiée pour la première fois en 1986 en Grande-Bretagne et l'on présume que les bovins ont été contaminés par la consommation de farines enrichies en protéines, composées de déchets de moutons eux-mêmes contaminés. Le procédé de fabrication, qui exige normalement un chauffage à haute température pour détruire l'agent infectieux, n'a pas été respecté par les fabricants des dites farines.
La maladie de Creutzfeldt-Jakob originale, qui affecte l'homme, a eu jusqu'ici une incidence rare: une personne sur un million à travers le monde. Toutefois, au sein de certaines populations, comme les Juifs libyens, le taux est un peu plus élevé. La maladie affecte en général des adultes entre 40 et 70 ans. Elle se déclare par de vagues modifications psychiques ou comportementales, suivies en l'espace de quelques semaines ou de quelques mois d'une démence progressive souvent accompagnée de troubles de la vision et de mouvements involontaires. A l'heure actuelle, il n'existe pas de traitement pour la maladie, au pronostic fatal, en général dans l'année suivant l'apparition des premiers symptômes. Considérée comme héréditaire, la maladie est sans doute provoquée par une protéine appelée le prion, qui contamine les protéines normales du cerveau.
A l'époque où l'ESB s'est propagée en Grande-Bretagne, on a assisté à l'apparition d'une maladie humaine semblable à la maladie de Creutzfeldt-Jakob, qu'on a appelé «variante de la MCJ»: vingt personnes en sont mortes, sans qu'on puisse l'attribuer à une cause familiale. On a donc estimé qu'ils avaient contracté la maladie en consommant du bœuf contaminé, ingérant ainsi les prions qui ont atteint leur cerveau. L'apparition de la variante de la MCJ a déclenché la panique et malgré les mesures prises par les gouvernements pour détruire le bétail contaminé, la consommation de viande a subi une chute considérable.
P. sait parfaitement que tout homme doit préserver sa santé et n'ignore pas les commandements bibliques: «Prends bien soin de toi et veille à préserver ta vie» (Deut. IV,9), «C'est pourquoi tu dois sauvegarder ta vie» (id. 15). Compte tenu de tous ces facteurs, doit-il renoncer à manger de la viande jusqu'à ce qu'il soit absolument certain que le danger est passé ou doit-il maintenir ses habitudes alimentaires ?
Le roi David loue l'Éternel en ces termes: «Le Seigneur protège les simples» (Psaumes, CXVI, 6). Les Sages interprètent ce verset comme l'autorisation de prendre des risques «naïvement».
D'autre part, selon le Talmud (Shabbat 129,b) il est dangereux de pratiquer une saignée (considérée comme bienfaisante dans les temps anciens) un vendredi, en raison de la position de la planète Mars aux heures paires ce jour-là. Selon la croyance de l'époque, les planètes déterminaient le caractère (faste ou néfaste) des heures et des mois. La planète Mars représentait la guerre, la peste et le châtiment et les heures paires de la journée étaient considérées comme particulièrement défavorables. La combinaison de ces deux facteurs était donc très dangereuse et une saignée pratiquée à ce moment risquait d'avoir des résultats désastreux. Néanmoins, le sage talmudique Shmouel déclare que le vendredi est un jour favorable pour la saignée. En effet, on croyait qu'il était indiqué de manger du poisson après une saignée. Or la plupart des gens ne pouvaient se permettre de manger du poisson les jours de semaine et n'en consommaient que le shabbat. Par conséquent, il y avait de bonnes raisons de pratiquer la saignée le vendredi. Quant au danger émanant de la planète Mars, le Talmud s'exprime ainsi: «Puisque la multitude y est habituée, 'le Seigneur protège les simples'.»
Cette idée est étendue à d'autres cas dans le Tamud et constitue le fondement de nombreuses décisions halakhiques et responsa. Ainsi, on considérait qu'il était dangereux pour une jeune fille ainsi que pour une mère nourrissant son enfant de concevoir. Malgré cela, le Talmud (Yevamoth 12,b) stipule que ces femmes ne doivent pas recourir aux contraceptifs parce que «le Seigneur protège les simples». Rabbi Akiva Eiger, éminente autorité talmudique du XIXe siècle en déduit (Responsa vol. I,71) que même une femme ayant eu des délivrances difficiles, voire dangereuses, ne doit pas prendre de contraceptifs, décision qui a été par la suite fort contestée. On estimait encore qu'il était dangereux de circoncire un bébé «un jour nuageux ou un jour où souffle le vent du Sud»: «De nos jours, toutefois, dans la mesure où de nombreuses personnes ont pris l'habitude d'ignorer ces précautions, le Seigneur protège les simples» (id. 72,b). Il a été établi (Tour Yoreh Deah, ch. 262, Beit Yossef, section b) que même lorsqu'un père n'est pas un «naïf» mais qu'il est conscient du danger et craint de circoncire son fils un jour nuageux, il ne doit pas reporter la circoncision à un autre moment mais y procéder tout en prenant le risque.
Un commentaire de Rabbi Yossef Albo, philosophe célèbre qui vécut en Espagne au XVe siècle, explique cette façon de raisonner: le principe selon lequel «le Seigneur protège les simples» signifie que les personnes naïves - ou personnes ordinaires, dépourvues d’éducation - sont protégées par la Providence et non par leurs propres efforts (Sefer Ha'Ikarim - Livres des Principes de la foi, article IV, chap. 9). La même idée est développée dans Orkhot Tsadikim (Les Voies des Justes), ouvrage réputé du XVIe siècle (d'un auteur anonyme). Il s'ensuit que certains risques peuvent être pris parce qu'ils n'impliquent pas un danger véritable, puisque la Providence veille.
Tout ce qui précède semble être en contradiction directe avec le principe fameux (sans doute issu du Talmud Yeroushalmi Yomah, chap. A section 4) selon lequel l'homme ne doit pas se fier au miracle mais au contraire agir, que ce soit pour sauvegarder sa personne ou pour s'assurer un gagne-pain et les moyens nécessaires pour accomplir les commandements divins. Rabbi Avraham Yitzchak Ha’Kohen Kook semble résoudre le conflit en arguant (Ezrat Kohen Even Ha’ezer 35) que la décision susmentionnée de Rabbi Akiva Eiger concerne uniquement une femme dont le seul facteur de risque connu est une histoire de délivrances difficiles; son cas n'est donc pas très différent de celui de toute femme en bonne santé pour laquelle chaque accouchement comporte un certain risque. Toutefois, devant l'évidence d'une maladie ou d'un facteur de risque pour la vie de la femme lors d'une grossesse ou d'un accouchement, on doit recourir à des contraceptifs sûrs. En généralisant cet argument, on pourra dire qu'il ne faut pas prendre de risques face à un danger concret. Cependant, lorsqu'il n'y a pas de raison de suspecter un danger spécifique réel, une information générale faisant état d'un risque vague et potentiel ne devrait pas nous empêcher de mener une vie normale et d'accomplir les commandements de la Torah; en d'autres termes, le risque peut être ignoré et l'homme doit faire confiance à la Providence.
Par conséquent, dans la mesure où le lien de cause à effet entre l'ESB affectant les bovins et la terrible maladie (variante de la MCJ) qui touche les humains n'a pas été tout à fait établi, et dans la mesure où il n'y a pas lieu de suspecter que la viande à l'étal est contaminée par l'ESB (surtout si l'on prend en compte les sérieux efforts entrepris par les gouvernements pour éradiquer l'ESB), il n'y a pas de raison de s'abstenir de consommer du bœuf. Même s'il existe un faible risque d'attraper une maladie terrible, P. doit savoir qu'il est autorisé à agir «simplement» et à s'en remettre à la protection de la Providence.

* Le rabbin Shabtaï Rappoport dirige la yéshiva «Shvout Israël» à Efrat (Goush Etzion). Il a publié entre autres travaux les deux derniers volumes de «Responsa» rédigés par le rabbin Moshé Feinstein z.ts.l. Il met actuellement au point une banque de données informatisées qui englobera toutes les questions de Halakha. Adressez vos questions ou commentaires à E-mail: shrap@012.net.il.

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