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Sommaire Art et Culture Automne 2002 - Tishri 5763

Éditorial – Septembre 2002
    • Éditorial

Roch Hachanah 5763
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Politique
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Interview
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Art et Culture
    • Le coeur perse

Éthique et Judaïsme
    • L'obligation de solidarité

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Le coeur perse

Par Pierre Abensur *
Au Musée d'art et d'histoire du Judaïsme de Paris se tient jusqu'au 15 septembre 2002 une exposition passionnante de photographies de Juifs d'Iran. Vivant dans le pays depuis quelque deux mille cinq cents ans, la communauté juive d'Iran se résout difficilement à l'exil malgré les incertitudes qui pèsent sur elle. Fiers de leurs origines, les Juifs d'Iran revendiquent leur enracinement dans la terre perse, comme en témoigne chacun des groupes rencontrés.
Le reporter raconte: "Ce sont ces gens d'Ispahan qui, chaque samedi matin, traversent la moitié de la ville à pied pour se rendre à Jamborey, l'ancien ghetto juif, pour célébrer le Shabbat dans de vieilles synagogues familiales décaties, mais si belles dans leur modestie. C'est cet homme, tenant d'une main le drapeau iranien et de l'autre un iris, fleur symbolique du pays, qui pose d'un air contrit devant le mausolée de l'Ayatollah Khomeyni, entouré de portraits de l'imam défunt, alors que treize de ses coreligionnaires sont accusés d'espionnage et passibles de la peine de mort. Ou ce directeur de maison de repos qui, dans un impeccable français, vous assure que n'ayant pas encore vécu "sa renaissance culturelle", l'Iran reste une grande nation pleine d'avenir, y compris pour les Juifs."
Septembre 1999, la communauté juive d'Iran est toujours bouleversée par l'arrestation en juin de treize Juifs accusés d'espionnage. La peine de mort plusieurs fois évoquée par le ministre de la Justice, un dur du régime, pose la question du devenir de ces vingt-cinq mille personnes dont les ancêtres ont vécu dans le pays depuis deux millénaires et demi. L'accueil des dirigeants de la communauté est plutôt froid, et son président considère d'un mauvais ?il toute la publicité faite autour de cette affaire. D'après lui, les actions menées de l'étranger vont pousser le gouvernement à durcir sa position pour affirmer sa souveraineté, ce qui va nuire au sort des prisonniers.
Pour Roch Hachanah, la synagogue Yussef Abad est comble. Le régime islamique a ressoudé la communauté autour de ses lieux de culte, qui constituent les principaux points de rencontre. D'ailleurs, l'incessant brouhaha qui accompagne l'office en dit long sur l'envie qu'ont les fidèles de communiquer. Le docteur Elyassi, député juif au parlement iranien, souhaite la bonne année à ses coreligionnaires mais son discours n'est accueilli que par quelques applaudissements froids. "Il doit dire du mal d'Israël et des États-Unis, alors que nous avons tous des frères ou des enfants là-bas", souffle un assistant qui s'interroge sur la nécessité d'une représentation politique juive à ce point inféodée au pouvoir.
La célébration se poursuit au domicile d'une famille de commerçants, au nord de Téhéran. La télévision (antenne satellite oblige) est branchée sur une chaîne israélienne qui diffuse un programme de variétés. La mère parle des Bassidjis (milices populaires islamiques) d'un air apeuré et zappe sur un programme iranien. Entre la fille aînée et son mari, les relations semblent tendues. Le couple veut émigrer mais ne parvient pas à se mettre d'accord sur la destination finale. Elle veut rejoindre son frère aux USA, et lui ses s?urs qui vivent en Israël. "Elle allait partir quand il l'a suppliée de l'épouser...", confie le père d'un ton réprobateur. Il reconnaît aussitôt que beaucoup d'autres décisions importantes ont été prises mal à propos. "C'était en 1978, se souvient-il, je venais de vendre ma boutique à un très bon prix et nous avions décidé d'émigrer en Israël. Pendant les dernières semaines précédant notre départ, ma femme pleurait tous les jours, jurant que l'Iran était notre pays et que nous serions malheureux ailleurs. J'ai cédé et réinvesti mon argent dans une affaire au nord de la ville, et quelques mois plus tard, la révolution éclatait... Aujourd'hui, je n'arrive même pas à vendre mon magasin au tiers de la somme que je l'avais payé (300'000 dollars)."
Deux jours plus tard, l'ambiance est à la fête pour l'espace d'une soirée. Dans la salle de mariage, le vestiaire est le théâtre de spectaculaires métamorphoses parmi les femmes qui se libèrent de leurs tchadors et apparaissent dans des tenues bien peu islamiques. À l'intérieur, les invités se trémoussent sur des airs populaires iraniens et des morceaux de techno diffusés à pleins décibels. Nasser n'en croit pas ses yeux. "Pour mon mariage, en 1988, j'avais organisé une petite soirée à la maison avec ma famille et quelques amis. La musique était en sourdine et personne n'aurait songé à danser. Pourtant, vers onze heures, des Bassidjis ont débarqué chez moi et m'ont emmené au commissariat où j'ai passé la nuit. C'est cela qui nous a décidés à quitter le pays." Nasser vit maintenant en Californie et ses affaires marchent plutôt bien, mais l'Iran lui manque et il n'exclut pas d'y revenir un jour, si le pays devient une véritable démocratie.
Dans l'ancien quartier juif, au sud de la ville, l'hôpital Docteur Sappir appartient encore à la communauté mais la plupart de ses patients et employés sont musulmans. Depuis quelques décennies, les Juifs ont quitté cette partie ancienne et délabrée de la ville pour des quartiers plus récents et moins pollués, au nord. Parmi les praticiens juifs encore en exercice, se trouve le docteur Mohaber, chirurgien et général en retraite de l'armée iranienne. Alors que dans les années soixante-dix, sa carrière suivait son cours entre Israël et les États-Unis, on lui proposa de faire partie de l'équipe de chirurgiens qui allaient opérer le Shah d'Iran à Vienne. Quelques années plus tard, lors d'une visite à sa famille, il était convoqué au palais par l'Impératrice qui lui demandait de prendre la direction du nouvel hôpital militaire. Demeuré à son poste malgré la révolution, il a réalisé plus de mille deux cents opérations lors de la guerre contre l'Irak, et reste à ce jour le seul officier supérieur juif de la République islamique d'Iran.
Dans la synagogue Ketter David à Ispahan, je suis introduit auprès du père de l'adolescent incarcéré à Shiraz, qui raconte: "Les soldats sont entrés chez nous à trois heures du matin. Après avoir fouillé toute la maison, ils ont emmené Navi en assurant qu'il serait de retour dans la matinée. Depuis, ma femme ne dort plus."
À Shiraz, le chef du Département du ministère de la Guidance islamique souhaite m'assurer de l'entière collaboration de ses services en me fournissant quelques guides pour m'assister dans mes recherches. Ne pouvant me dégager d'une si embarrassante compagnie, je décide d'écourter mon séjour.
Le retour à Téhéran marque la semaine de célébration du centenaire de l'Ayatollah Khomeyni. Après avoir reçu plusieurs chefs de gouvernements étrangers, le président Khatami consacre aux minorités religieuses le dernier jour de ces festivités. Afin de prouver leur fidélité à la patrie, les Juifs ont affrété des cars de tout le pays et sont venus en grand nombre au Mausolée Khomeyni. Profitant du moment de silence qui précède les premiers discours, une femme se lève au-devant de la foule et adresse au président une longue plainte entrecoupée de sanglots. Sentant la présence d'un journaliste étranger, elle termine par une phrase en anglais où il est question de son fils emprisonné.
J'apprendrai lors de mon second voyage, en 2002, qu'elle est en fait la mère de l'un des "disparus de Zaedan". En 1994-95, onze Juifs qui tentaient illégalement de quitter le pays en passant par la frontière pakistanaise ont disparu corps et biens. Sans aucune nouvelle pendant plusieurs années, cette femme reçut un jour un appel téléphonique d'une personne bien renseignée, lui affirmant que son fils était retenu dans une geôle iranienne.
"Toutes nos démarches pour tenter d'élucider cette affaire sont restées vaines", affirme le nouveau député juif. Élu en 2000 par la communauté juive avec une forte majorité de voix, Maurice Motamed garde une réputation d'efficacité malgré sa faible marge de man?uvre. "L'année dernière, avec les députés chrétiens et zoroastriens, nous avons fait adopter une loi au parlement pour l'attribution de subventions aux minorités religieuses. Malheureusement, le décret n'a pas été ratifié par le Conseil de la Révolution, mais nous le représenterons cette année" assure-t-il. Évoquant la question de l'émigration, le député évalue à près de quatre mille le nombre de Juifs ayant quitté l'Iran durant les trois dernières années, et reconnaît que loin de s'inverser, le phénomène prend de l'ampleur. Quatre-vingt-dix pour cent des jeunes interrogés disent vouloir quitter le pays dès qu'ils en auront la possibilité. Les parents hésitent entre le déchirement d'une séparation et leurs propres difficultés d'adaptation dans un pays étranger. Le choix de la destination reste problématique. Au regard de la situation au Proche-Orient, rares sont ceux qui veulent aller en Israël et depuis les attentats du 11 septembre, les États-Unis ne délivrent plus de visas d'émigration aux hommes de moins de cinquante ans. Plusieurs centaines de Juifs iraniens sont en attente à Vienne depuis des mois.
Les Juifs sont unanimes sur un point: les événements actuels n'ont pas déclenché de vague antisémite parmi la population iranienne. Le phénomène s'explique par la distinction entre Israéliens et Juifs, que savent bien opérer les Iraniens, ainsi que par un sentiment de solidarité très limité à l'égard des Arabes, considérés comme les ennemis héréditaires des Perses.

Pierre Abensur est photographe-reporter. Ses photos sont publiées en Europe et aux États-Unis. Celles présentées dans l'exposition sont le fruit de plusieurs séjours parmi la communauté juive iranienne qui, aujourd'hui, se trouve principalement dans les villes de Téhéran, Shiraz, Ispahan et Kemansha. Pour la réalisation de ce travail, Pierre Abensur a bénéficié du soutien de l'Association européenne pour la culture juive.

Musée d'art et d'histoire du Judaïsme
71 rue du Temple
75003 Paris
Tel. 00331 53 01 86 60
Heures d'ouverture
du lundi au vendredi: 11h-18h
dimanche: 10h-18h

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