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Sommaire Mémoire Décembre 1994 - Hanoucah 5754

Éditorial - Décembre 1994
    • Éditorial

Hanoucah 5755
    • Vivre avec son temps

Politique
    • L'union des faibles

Interview
    • La diaspora doit s'inquiéter !
    • Ouverture et stricte observance

Jérusalem-Judée-Samarie-Gaza
    • Jérusalem privée de sa souveraineté juive ?

Mémoire
    • Liberation

Art et Culture
    • Trésors sauvés
    • Eugène Zak (1884-1926)

Économie
    • Quelle croissance économique ?

Israël - Japon
    • A l'écoute du consommateur japonais

Israël - Chine
    • Israel à Shanghaï

Éducation
    • Un 'Kulturkampf' mal placé

Reportage
    • Israël à Goma

Analyse
    • Les Juifs d'Afrique du Sud et l'ANC

Éthique et Judaïsme
    • Quelle est sa religion ?

Shalom Tsedaka
    • Un calvaire inutile

Un nom; une rue; qui est-ce ?
    • Saül Tchernikowsky (1875-1943)

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Liberation

Par Roland S. Süssmann
Le 8 mai 1995, le monde entier célébrera ou commémorera le cinquantenaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et la défaite de l'emprise nazie sur l'Europe. Comme pour les Cinquante ans du débarquement en Normandie, un effort éducatif particulier sera fait afin de graver à tout jamais le souvenir de ces événements historiques dans les mémoires des générations à venir. Bien entendu, celui-ci portera principalement sur les actes d'héroïsme des Alliés victorieux. La Shoa, pour sa part, sera probablement représentée de manière succincte, par l'image du Général Eisenhower, chef suprême des forces alliées et grand stratège de l'opération "Overlord", inspectant un ou plusieurs camps de concentrations libérés qui rappelleront les crimes commis à l'encontre du peuple juif par les Allemands et leurs complices actifs, passifs ou simplement tacites.
A Los Angeles, la société de production cinématographique du Simon Wiesenthal Center, Moriah Films, vient de sortir un documentaire intitulé "Liberation", qui démontre avec force et clarté que, pendant que les Alliés envahissaient l'Europe et combattaient les forces nazies, les Allemands continuaient leur ýuvre de mort, poursuivant impunément l'assassinat industrialisé d'hommes, de femmes et d'enfants juifs. Le débarquement en Normandie n'a en aucun cas mis fin à la guerre d'extermination menée par Hitler contre les populations civiles juives. Le film, écrit par le rabbin Marvin Hier, fondateur et doyen du Simon Wiesenthal Center, et par l'historien britannique Martin Gilbert, est une juxtaposition des événements historiques tels qu'ils se sont déroulés depuis la funeste Conférence de Wannsee et le moment où les Alliés ont pris la décision d'envahir l'Europe. Bien qu'il s'agisse d'une production américaine, met l'accent sur la passivité des dirigeants juifs américains face au drame que vivaient leurs frères européens. Le film a également été présenté en avant-première au Festival du Film américain de Deauville de 1994.
Afin de mieux comprendre les motivations qui ont mené à la production de "Liberation", nous avons rencontré à Los Angeles, au lendemain de la grande première mondiale, le rabbin MARVIN HIER, seul rabbin au monde titulaire d'un Oscar pour son premier film "Genocide", et co-producteur avec Arnold Schwartzman de ce nouveau documentaire de qualité, véritable anthologie réunissant pour la première fois dans une même ýuvre audiovisuelle l'Axe, les Alliés et les victimes.

"Liberation" est riche et fort intéressant à plus d'un titre, toutefois on peut se poser la question de savoir quelle est l'utilité d'un film qui ne sert qu'à rappeler un fait connu de tous, la continuation de l'assassinat des Juifs alors que les Alliés étaient déjà en marche en Europe ?

Il ne fait aucun doute que l'historique de la victoire des Alliés sur Hitler sera enseigné dans toutes les écoles du monde pendant de nombreuses générations à venir. Lorsque l'on analyse de plus près le matériel éducatif disponible relatif à cet événement, et nous avons visionné tous les films concernant la période 1939-1945, on constate que ces documents ont tous un dénominateur commun: ils racontent l'histoire de la libération de l'Europe par les Alliés en occultant souvent totalement la Shoa comme, par exemple, dans "Le jour le plus long". Il existe quelques cas bien précis où l'on voit, à la fin du film, pendant 30 secondes, les troupes alliées découvrant les horreurs d'un camp de concentration libéré. Les films présentés aujourd'hui dans les écoles sont tous de ce genre, l'information sur la Shoa étant généralement laissée à l'appréciation des enseignants. Le matériel audiovisuel disponible, qui traite de la Shoa, a d'une certaine manière une connotation "juive", que ce soit le film "Shoa", qui dure plus de huit heures, ou "Genocide", que nous avons produit. Notre but a été de faire un film qui, contrairement à tous les autres, met les choses en parallèle. La particularité de "Liberation" réside dans le fait qu'il s'agit d'un documentaire constitué uniquement de films réalisés à l'époque, parlant à la fois des hauts faits des Alliés et traitant de façon parallèle et inextricable de l'extermination des Juifs d'Europe.

Dans "Liberation", vous présentez un passage particulièrement émouvant où l'on voit une délégation de rabbins européens manifester à Washington. Les membres de cette mission étaient venus plaider pour la survie des victimes du nazisme. Le président Roosevelt, sur intervention des organismes juifs officiels des Etats-Unis, a refusé de les recevoir. Vous démontrez ainsi ouvertement la passivité, pour ne pas dire plus, du judaïsme américain pendant la Shoa. Ne craignez-vous pas que, suite à ce passage, le film soit boycotté par les instances officielles juives américaines ?

Je ne crois pas que nous ayons à faire face à ce genre de difficultés. Ce film doit dire la vérité sur ce qui s'est véritablement passé. Dans "Liberation", nous rappelons que dans ses mémoires, la plus proche confidente du Pape Pie XII, Sýur Pasqualina, déclare que lorsque le Pape a appris que l'Allemagne avait attaqué l'URSS, il s'est mis à prier Novinis pour "une victoire rapide des troupes d'Hitler". Il s'agit là d'une accusation grave, mais qui implique aussi que, pour être pris au sérieux, le film ne cache pas nos propres manquements et faiblesses. Ce documentaire perdrait sa crédibilité s'il en était autrement.


Votre film est très courageux, car vous soulignez un point souvent oublié, le fait que des civils japonais, citoyens américains, ont été emprisonnés dans des camps en Amérique, pendant que leurs fils étaient intégrés dans l'armée des Etats-Unis et se battaient en Europe. Pourquoi avez-vous estimé utile de mettre l'accent sur cette réalité ?

Cela fait partie d'une problématique bien plus vaste, celle de la discrimination en Amérique, qui continuait alors que de nombreux bataillons comptaient d'importants effectifs de soldats noirs. Certes, en temps de guerre, les gouvernements peuvent parfois prendre des décisions qui ne sauraient être acceptables en temps normal, mais il est inadmissible que des Américains, politiquement actifs ou non, soient arrêtés uniquement en raison de leur origine japonaise. Le gouvernement américain a reconnu ses torts par la suite, s'est officiellement excusé et a même indemnisé des Japonais-américains ayant été incarcérés. Il nous est paru important de démontrer un historique aussi complet que possible de la discrimination raciale en Amérique pendant la guerre. Bien qu'il ne s'agisse pas du sujet principal du film, cette réalité fait partie de l'époque et du thème traité, et nous n'avions pas le droit de l'ignorer. Dans la même optique, nous avons tenu à rendre hommage au travail extraordinaire des femmes dans leur participation à l'effort de guerre, appelé le "home front".


On peut aisément imaginer que vous avez disposé d'une masse de matériel documentaire fort impressionnante. De quelle manière avez-vous fait votre choix ? Quel a été votre fil conducteur ?

Une idée maîtresse occupait en permanence notre esprit et a guidé tous nos choix. Je suis absolument persuadé que dans cinquante ans, ou même avant, dans l'ensemble du monde occidental, on enseignera aux enfants la manière dont les Alliés ont gagné la Seconde Guerre mondiale, mais je ne suis pas du tout certain que la Shoa sera au programme, car elle ne s'est pas déroulée aux Etats-Unis ou en Angleterre. D'ailleurs, chaque pays aura avant tout à cýur de démontrer et de rappeler son rôle dans ce conflit mondial, et la guerre menée par Hitler contre les Juifs sera, dans le meilleur des cas, en étant optimiste, évoquée en marge... En produisant "Liberation", nous avons voulu créer un document qui rend indissociables la guerre de 1939-1945, la victoire des Alliés et la Shoa, car tels étaient les faits. De plus, dorénavant, lorsque quelqu'un voudra présenter un film sur cette époque, il ne pourra plus éviter le sujet de la Shoa qui est une partie intégrante du film. Mais comme son nom l'indique, c'est un documentaire sur la libération de l'Europe, dont 55% sont consacrés à la victoire des Alliés, tout en apportant une large information sur la Shoa.
Il était aussi très important pour nous de ne pas répéter ce que nous avions déjà dit dans d'autres films ou de reprendre des sujets trop connus. Dans "Genocide", nous avons très largement couvert la question de savoir pourquoi les Alliés n'avaient pas bombardé Auschwitz. Nous n'en avons pas reparlé dans "Liberation", notre préoccupation principale étant de raconter tout ce qui s'était passé de manière aussi globale et succincte que possible. Etant donné qu'il s'agit d'un documentaire, il fallait un mouvement rapide, sans pour autant s'éterniser sur un seul aspect. C'est la raison pour laquelle le film passe d'un front à l'autre, d'une ville à l'autre, le but étant de donner une image aussi complète que possible ainsi qu'une couverture très large de tous les aspects de la période noire de l'Europe. Nous rappelons par exemple qu'à Paris, certains grands noms du monde des arts et des variétés étaient d'authentiques collabos. La majorité des films documentaires relatant cette époque ne couvrent qu'un seul angle, en général celui du pays où le film est réalisé. C'est ainsi qu'un film américain parlera peut-être du débarquement en Normandie, mais n'évoquera aucun événement se déroulant pendant ce temps-là à Berlin, Paris, Londres, Rome ou en Afrique du Nord.


Les narrateurs de "Liberation" sont des vedettes de tout premier plan. Ben Kingsley (Ghandi, Wiesenthal, Schindlers List, etc.), Miriam Margolyes, Patrick Stewart (Star Treck), Jean Both et Whoopi Goldberg ont gracieusement offert leurs voix et leur participation. Comment s'est passée la collaboration avec toutes ces personnalités ?

Toutes y ont mis leur cýur. Mais je crois que c'est Ben Kingsley qui, à l'issue de la première, a le mieux résumé les sentiments de tous. Il m'a dit: "Je n'ai jamais rien vu de la sorte. Si vous avez d'autres projets de ce calibre, venez me trouver, où que je sois, car je souhaiterais vraiment y participer." En raison de la nature particulière du film, il fallait que nous disposions de narrateurs dont les voix avaient les intonations justes et pouvant particulièrement bien exprimer les émotions que nous voulions transmettre. La musique, interprétée par l'Orchestre symphonique de la Radiotélévision de Slovénie, dirigé par Carl Davis, joue également un rôle de tout premier ordre. De plus, la participation de Patrick Stewart, en raison de son rôle dans Star Treck, constitue un pôle d'attraction pour la jeunesse, ce qui est très important, car nous voulons que ce film soit diffusé dans les écoles et vu par un large public d'adolescents. Le film est déjà sorti en anglais sur cassette vidéo et nous envisageons de le traduire dans de nombreuses langues à destination des écoles du monde entier. Des soirées officielles de lancement sont d'ailleurs prévues très prochainement à Londres, Marseille, Paris et Moscou.

"Liberation" a été réalisé dans les studios de votre société de production Moriah Films. De nombreux coreligionnaires jouent un rôle primordial dans l'industrie du cinéma à Hollywood. N'auriez-vous pas pu obtenir la coopération de l'un d'eux et produire "Liberation" et les films à venir dans une structure existante ?

Une telle solution aurait été concevable, mais l'attrait de films purement commerciaux, les grandes productions violentes pour ne pas dire amorales sont, en raison des énormes bénéfices qu'elles génèrent, bien plus attrayantes qu'un film documentaire réalisé de surplus par un organisme à but non lucratif, tel le Wiesenthal Center. Nous espérions qu'un membre de l'industrie cinématographique israélienne se chargerait de cette mission. Nous avons malheureusement constaté que non seulement tel n'était pas le cas, mais que les nombreux Israéliens ayant une activité importante dans le monde du cinéma à Hollywood ne sont pas intéressés par les sujets que nous désirons traiter, ni par la production de films éducatifs. Nous avons donc fait ce que préconisait un grand maître du judaïsme, le fameux Shamaï, qui disait notamment: "Parle peu et agis". Nous avons pris les choses en mains, trouvé des sponsors et nous sommes lancés dans cette nouvelle expérience. Nous avons d'ores et déjà d'autres projets de films que nous comptons réaliser avec le nouveau matériel ultramoderne dont nous disposons à présent.




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