Responsabilité individuelle | ||
|
||
Par Roland S. Süssmann | ||
Depuis quelques années, un phénomène intéressant se fait jour dans la société israélienne en général et dans l'armée en particulier: le fait qu'une proportion très élevée de l'élite nationale est issue de familles qui habitent en Judée et en Samarie. Dans le cadre de l'armée, ceci se remarque notamment lors de la publication des noms et des lieux de résidence des soldats tombés au combat. Dans la vie quotidienne, cette réalité est plus discrète, surtout en ce qui concerne les femmes qui exercent différentes professions, souvent libérales. Afin de nous permettre de comprendre ce phénomène, nous nous sommes rendus dans une école de filles, à l'Oulpenah d'Ofrah, fondée il y a un peu plus de 20 ans, qui accueille quotidiennement 850 jeunes filles âgées de 13 à 18 ans, pour la plupart habitant la région. Une centaine d'étudiantes sont de nouvelles immigrantes: 70 viennent d'Éthiopie (envoyées à Ofrah depuis leur centre d'intégration de Beer Sheva), les autres sont pour la majorité originaires de France. Le taux de réussite à la maturité se situe entre 88% et 92%. Toutes les filles entrent ensuite au service de la nation soit dans le cadre de l'armée, soit dans le service civil. Pendant leurs études à l'école même, elles sont régulièrement mises en contact avec les différentes classes de la société et participent à titre de volontaires à toutes sortes d'activités, notamment à des rencontres entre religieux et non religieux. Ces réunions sont extrêmement importantes, car elles permettent à ces deux pans de la jeunesse israélienne de se découvrir: ceux élevés dans une logique de gauche, pour ne pas dire antireligieuse et d'extrême gauche, s'aperçoivent ainsi que les enfants des habitants de Judée-Samarie ne sont pas des sauvages qui ne pensent qu'à déraciner les oliviers des Arabes; quant à nos élèves, elles se rendent compte de la manière dont elles sont perçues et souvent, cela leur permet de se découvrir elles-mêmes. Par contre, les rencontres avec les milieux ultra-orthodoxes sont nettement plus compliquées car, dans la plupart des cas, les parents n'autorisent pas les jeunes filles à entrer en contact avec leurs adolescents. Nos étudiantes vont malgré tout à la rencontre de ces familles, cela leur permet d'évaluer si elles ont des points communs avec cette société et de quelle manière elles diffèrent. La direction de l'école met un accent particulier sur le volontariat et l'aide au prochain. Dans cet esprit, l'école a ouvert dans ses locaux une section pour des enfants nécessitant une éducation particulière (autistes, etc.). Dans le but de soulager les parents, chaque après-midi, une fois l'école terminée, des autobus de la région de Benjamin les amènent à l'école où un repas chaud leur est servi avant d'être pris en charge par des jeunes filles de l'école, volontaires, qui leur font faire toutes sortes d'activités ludiques et éducatives. Chaque jour, un autre groupe d'enfants est ainsi accueilli et chaque semaine, environ 200 enfants bénéficient de cette structure. De plus, deux à trois fois par an, ces enfants sont invités à venir passer un Shabbat complet à l'école et deux fois par an, c'est toute la famille qui est conviée. Un groupe de jeunes filles de l'école s'occupe des enfants difficiles et un autre des frères et s?urs, ce qui permet aux parents de se retrouver et d'échanger des idées et leurs expériences avec d'autres parents qui sont dans le même cas qu'eux. Nous avons voulu en savoir un peu plus sur cette école si particulière et avons été à la rencontre de son directeur, AVIAH SHASHAR. En quoi votre système éducatif se distingue-t-il des autres institutions scolaires en Israël ? A l'âge où nos étudiantes viennent chez nous, elles se trouvent un peu à la croisée des chemins. En effet, elles ont encore grand besoin de la maison, car le foyer familial leur apporte beaucoup d'éléments qui façonnent leur personnalité, mais c'est aussi le moment où elles commencent à vouloir vivre leur propre vie et développent leur caractère et leur individualité. Dans cet esprit, nous avons créé un internat partiel. Dès l'âge de 15 ans, toutes les filles, y compris celles dont le domicile des parents n'est qu'à une rue de notre école, habitent et dorment ici tous les mercredis et jeudis soirs. Chaque fille a son coin, son lit et son armoire. Ceci implique qu'elles apprennent à vivre en communauté et à développer le sens des responsabilités à l'égard de leur voisinage immédiat. Ceci se reflète dans de petites choses, comme le fait de rentrer silencieusement dans sa chambre alors que les autres filles dorment déjà, etc. De plus, ce genre de dépaysement, sommes toutes assez léger, leur permet de ne pas se retrouver trop perdues lorsqu'elles entrent à l'armée ou dans le service civil. A quoi cela sert-il ? Notre programme d'études est très chargé. Ces soirées passées en commun en dehors des heures de classes permettent de participer à des activités communes intellectuelles, culturelles et sportives, y compris des sports de combat. Les filles peuvent choisir à quels genres d'activités elles souhaitent participer et la palette est très vaste. Qu'en est-il des études à proprement parler ? Nous suivons les programmes du ministère de l'Éducation et offrons un certain nombre d'options supplémentaires dans différentes disciplines. Aux élèves qui estiment que le programme d'étude régulier est trop facile, nous proposons la possibilité d'avancer plus vite et de choisir des modules supplémentaires dans les domaines de leur choix, qui en général sont les études juives (certaines prennent des cours de Talmud) et l'histoire (Sionisme, Shoah, etc.). Dans ce cadre, nos étudiantes écrivent des petites thèses qui sont soumises à un concours national et pour lesquelles un prix très prestigieux est décerné. L'année dernière, l'Université de Haïfa, qui a une chaire spécialisée dans la Shoah, a couronné 70 dossiers en provenance de tout le pays, dont 7 venaient de notre école. Cette année, cette même université a distribué un certain nombre de prix d'excellence dont deux étaient réservés à la jeunesse et les deux lauréates sont de chez nous. Quant à la constitution des études mêmes, il faut savoir que nous avons pratiquement 50 heures de classe par semaine, dont environ 18 à 20 heures sont consacrées aux études juives. Une partie des programmes est fixée par le ministère de l'Éducation, mais un large éventail de matières est laissé au libre choix des élèves (littérature, histoire, etc.) et compte pour la maturité. Les options ainsi sélectionnées sont extrêmement importantes et peuvent influencer l'avenir académique de nos jeunes filles et même dans certains cas le choix du futur époux. Pour nous, cette partie du programme d'études est primordiale, car nous estimons qu'il est essentiel que nos jeunes filles apprennent à faire les bons choix par rapport à elles-mêmes et non en fonction de leur environnement direct. Votre école existe depuis un peu plus de vingt ans. Que sont devenues vos anciennes élèves ? La majorité a choisi une profession libérale, bien qu'une grande partie soit devenue assistante sociale ou enseignante. Plus de 90% sont restées pratiquantes et environ 80% vivent en Judée-Samarie. Vous nous avez parlé de l'excellence de vos élèves. Qu'en est-il des étudiantes moins brillantes ? Nous avons une section pour des jeunes filles ayant des difficultés dans les études. Nos enseignants spécialisés aident ces élèves à passer la maturité. Les filles qui sont incapables de passer la maturité sont dirigées vers une formation qui leur permettra d'accéder à une vie professionnelle décente, comme par exemple l'esthétique, la couture, l'art dramatique, etc. Votre école est certes intéressante à plus d'un titre, mais existe-t-il le pendant pour garçons et si ce n'est pas le cas, pourquoi ? Vous soulevez là une question qui n'est pas simple. En effet, la majorité des garçons de nos régions vont à la yéshivah ou dans des écoles qui ne suivent que le cursus normal du ministère de l'Éducation, ce qui, comme vous avez pu l'entendre, n'est de loin pas le cas de notre institution. Or il est intéressant de constater que de nombreux jeunes gens évitent les jeunes filles de notre Oulpenah, car ils se sentent très rapidement inférieurs. Le fait est que la société nationale-religieuse n'a pas encore admis l'idée que l'on puisse faire une école du genre de la nôtre pour garçons. La tradition veut que les fils aillent dans les yéshivoth fréquentées par leur père. Ils n'en sortent pas incultes, mais il ne fait aucun doute qu'ils n'ont pas le niveau de nos jeunes filles. Malgré tout, des couples se forment? et vivent heureux. Comment voyez-vous l'avenir de votre école ? Raisonnablement, comme notre population va en croissant, nous serons appelés à agrandir notre école. L'esprit restera le même, former des citoyens préoccupés par le sort de leurs prochains. Dans le cadre de votre école, vous avez une assistante sociale engagée à plein temps. Pourquoi ? Afin que nos étudiantes puissent suivre les programmes sans problèmes, il faut qu'elles soient libérées des ennuis familiaux qui peuvent les préoccuper de manière sérieuse. Nous avons des élèves en provenance de familles faibles, violentes et de ménages déchirés. De plus, nous avons des enfants dont les familles ont été frappées par le terrorisme et d'autres qui sont traumatisées par la situation sécuritaire, bien que ces temps-ci celle-ci soit relativement calme. Il n'est pas évident de se rendre à l'école en bus blindé précédé d'un véhicule de l'armée lourdement équipé. De plus, les filles issues de familles de nouveaux immigrants sont confrontées à des problèmes particuliers. En ce qui concerne les Éthiopiennes, nous avons deux groupes de filles: les unes dont les familles vivent en Israël depuis environ 5 ans et les autres qui sont arrivées ici il y a environ 18 mois. Elles ont un point commun: passer la maturité et être considérées comme Israéliennes à part entière. Pour ce faire, elles sont prêtes à faire tous les efforts nécessaires à leur intégration, mais il s'agit d'un processus très difficile. Afin d'illustrer mes propos, je vous citerai le cas d'une jeune Éthiopienne qui, il y a cinq ans encore, était bergère et qui a passé sa maturité avec une spécialisation en littérature hébraïque. Ceci vous donne une idée du chemin que nous faisons parcourir à nos élèves. Elles sont très déterminées et ce malgré l'environnement familial extrêmement difficile et auquel elles restent malgré tout très liées. Souvent, les parents sont des analphabètes qui ne travaillent pas ou peu, les frères traînent dans les rues et, lorsqu'elles rentrent à la maison, elles sont confrontées à cette réalité qui peut avoir des conséquences très fâcheuses lorsqu'elles auront terminé leur scolarité chez nous. Qu'en est-il des jeunes françaises ? Elles viennent vivre ici avec leurs familles, qui s'établissent en Judée-Samarie en général et dans la région de Benjamin en particulier. L'intégration est plus facile, surtout pour les filles qui ont fréquenté des écoles juives. La majorité provient de familles sépharades. Elles ont beaucoup de difficultés à comprendre que, dans le cadre des règlements établis par l'école, nous leur accordons une grande liberté. Au début, elles ont aussi du mal à saisir que nous sommes avant tout préoccupés par leur sort, leur bien-être et leur avenir, et que notre enseignement, toute notre éducation, sont basés sur un seul principe: la responsabilisation individuelle. |