Puissance et Détermination | ||
|
||
Par Roland S. Süssmann | ||
Depuis l'arrivée au pouvoir de Barack Hussein Obama, la question des constructions en Judée et en Samarie est devenue le point central des relations américano-israéliennes. De ce fait, les problèmes essentiels auxquels la région est confrontée ont perdu leur caractère prioritaire, à savoir: l'établissement d'un dialogue indispensable afin que le monde arabe et Israël puissent normaliser leurs relations, empêcher l'Iran de se doter de l'arme atomique, éliminer le terrorisme islamique et promouvoir une solution pour mettre un terme au conflit. La situation sur le terrain tant sur le plan stratégique que politique est donc extrêmement complexe et difficile à comprendre. Afin de nous guider dans notre réflexion, nous avons été à la rencontre de MOSHÉ YA'ALON, Vice-Premier ministre de l'État d'Israël et ministre des Affaires stratégiques, mieux connu sous le nom de «Bouggy». Dans un entretien exclusif de plus d'une heure avec le Rédacteur en chef de SHALOM, le Vice-Premier ministre s'est livré à une analyse approfondie de la situation, dont l'essentiel est résumé ici. Pendant la Seconde Guerre du Liban, nous avons vu qu'avec un barrage de roquettes, pratiquement un tiers de la population d'Israël a été confinée dans les abris et a dû vivre sous terre pendant une longue période. Or l'une des raisons qui justifient la présence juive en Judée et en Samarie, outre les considérations religieuses et historiques, est d'ordre stratégique. A l'époque des roquettes et des missiles, cette démarche est-elle encore justifiée ? La question de la Judée et de la Samarie n'est pas seulement un problème stratégique-tactique mais stratégique que nous devons évaluer en fonction des leçons tirées ces seize dernières années, depuis qu'a commencé le processus d'Oslo. Ce que j'ai appris à travers ma carrière de Chef des renseignements militaires, de Commandant de la Judée-Samarie et de la vallée du Jourdain, de Vice-Chef d'état-major, de Chef d'état-major et finalement de mon travail actuel, c'est que du côté des Arabes palestiniens, il n'y a aucun leadership qui souhaite mettre un terme au conflit uniquement sur la base de la division d'Israël selon les frontières du 4 juin 1967. Ce qu'ils considèrent être une occupation remonte en fait à 1948. Pour moi, il est clair que si de l'autre côté il y a avait eu un dirigeant qui avait reconnu les droits du peuple juif à établir un État, ne serait-ce que sur une partie du territoire, la paix aurait vu le jour depuis longtemps. Or depuis la renaissance du sionisme, ceci n'a simplement jamais été le cas. Il est absolument évident que les Arabes palestiniens n'ont pas la moindre intention d'établir leur État à l'est des frontières d'avant 1967. D'ailleurs, l'expérience de Gaza nous a démontré ce qui se passe lorsque nous répondons positivement aux exigences territoriales des Arabes et que nous croyons ainsi gagner un peu de calme et de tranquillité dans le sud et en provenance de Gaza. Nous nous sommes lourdement trompés, car c'est exactement le contraire qui s'est passé. Le résultat de notre retrait a été l'établissement immédiat du Hamastan (région dominée de tout point de vue par le Hamas). En d'autres termes, pour ceux qui croient encore que le débat se situe autour de la taille de l'État d'Israël ou de l'emplacement de ses frontières, le temps est venu de comprendre que ce qui est en jeu, c'est le droit à l'existence même de l'État juif. C'est dans cet esprit, celui des enseignements d'Oslo et des années qui ont suivi, qu'il faut aborder la question stratégique relative à la Judée-Samarie et c'est ce qui nous permet de comprendre qu'un retrait de ces terres ou l'établissement d'un État palestinien dans les frontières d'avant 1967 ne règlera pas le conflit et ne mettra certainement pas fin aux exigences des Arabes. Un autre aspect du problème est la question sécuritaire et militaire. Là aussi, nous devons tirer les conclusions des expériences passées. Dans le cadre des Accords d'Oslo, nous avions transféré la responsabilité totale aussi bien sur le plan sécuritaire que civil à l'Autorité palestinienne (AP) pour toutes les villes arabes de Judée-Samarie; Jenin, Shekhem, Ramallah, Hébron, Jéricho, Bethlehem, Kalkilia et aussi Gaza. C'est ce que l'on appelle communément la zone A. Mais que s'est-il passé ? Toutes ces régions se sont retrouvées sous la responsabilité globale de l'AP et ont été transformées en une grande base terroriste. Nous pensions troquer des territoires contre la paix et ce que nous avons obtenu, c'est un échange de territoires contre du terrorisme avec à la clé plus de mille personnes assassinées. Ceci a commencé avant 2000, mais depuis l'an 2000, le terrorisme en général et les attentats suicides perpétrés par des terroristes en provenance des villes que nous avions quittées se sont multipliés de façon effroyable. Le cycle de la terreur n'a été brisé que lorsque nous sommes retournés dans ces villes dans le cadre de l'opération «Mur de protection» que nous avons déclenchée en 2002 après l'attentat de l'hôtel du Park à Netanya le soir de Pessah. Nous sommes donc passés de la défensive à l'offensive et progressivement, nous avons réduit pour ainsi dire à néant le nombre d'attentats terroristes. Il faut se souvenir qu'au mois de mars 2002, il y a eu 17 attentats qui ont fait 135 morts et des centaines de blessés. Nous avons vécu la même expérience à Gaza où, en échange de territoires, nous avons reçu des roquettes. Dans ces conditions, comment pouvons-nous envisager d'abandonner des territoires en Judée-Samarie, même si la sagesse populaire dit que «LA SOLUTION» du conflit réside dans un retrait unilatéral de notre part de ces terres ou du moins que nous y cessions toute activité militaire bien que celle-ci nous permette d'agir de manière préventive et d'éviter des attentats en Israël ? De plus, il est évident que si nous quittons les lieux, la Cisjordanie sera transformée en un clin d'?il en Hamastan. En effet, nous savons que là où nous ne contrôlons pas la situation sécuritaire, en raison des divisions internes de la société palestinienne, le Hamas prend immédiatement le pouvoir. En fait, pourquoi cela vous dérange-t-il que la société arabe qui vit en Judée-Samarie soit dirigée par le Hamas ? L'installation du Hamas sur ces terres signifie simplement que nous serons attaqués par des tireurs embusqués et à la roquette à Jérusalem, Petach Tiqva, Kfar Saba et aux missiles à Tel-Aviv, Afula, Beit Shean ainsi qu'à l'aéroport Ben-Gourion. Or il faut se souvenir de ce qui s'est passé après la guerre des Six-Jours: nous avons dit que bien que nous ne voulions pas diriger la vie de ces populations et que nous ne désirions pas les intégrer afin qu'elles n'aient pas de droit de vote à la Knesset, il ne saurait être question de retourner aux frontières de 1967 ou d'établir un État palestinien sur ces régions. A l'époque, le Hamas n'avait pas encore pris le pouvoir à Gaza. Même ceux qui gardaient ces terres comme monnaie d'échange contre une paix véritable n'ont jamais considéré qu'un retrait total de notre part soit envisageable. A cet égard, je rappellerai un discours qu'Yitzhak Rabin szl a tenu à la Knesset bien après Oslo, le 5 octobre 1995, où il a clairement défini le genre d'accord final qu'il prévoyait de conclure avec l'AP. Dans ce cadre, les Arabes auraient pu établir de leur côté une entité, évidemment démilitarisée, qui n'aurait pas le statut d'État. Jérusalem serait restée unie. Y. Rabin n'a jamais évoqué la possibilité d'une partition de la capitale. Afin d'éviter une continuité territoriale entre la Judée-Samarie et la Jordanie (en cas de changement de régime dans ce pays), la vallée du Jourdain serait restée, au sens le plus large du terme, entre nos mains. Un retour aux frontières du 4 juin 1967 n'est donc en aucun cas envisageable, car il s'agit simplement de démarcations qui ne peuvent pas être défendues. Pour toutes ces raisons qui fondamentalement sont donc d'ordre sécuritaire et militaire, l'idée de voir un Hamastan s'installer aux portes de nos villes est simplement impensable. A ceux qui pensent que le conflit a débuté en 1967, qu'il est le résultat de notre «occupation de la Judée-Samarie» et que le seul moyen d'y mettre un terme est que nous abandonnions ces terres, je rappellerai les éléments suivants. Outre le fait que nous devons tirer les leçons de l'après-Oslo, quelques points d'histoire doivent être pris en considération. Le rejet du droit à l'existence de l'État juif dans cette région du monde ne date pas de 1993. L'OLP (Organisation de la Libération de la Palestine) a été fondée le 1er janvier 1964, l'opposition de l'ensemble des pays arabes à l'établissement d'un État juif date de la création d'Israël, des pogromes et des massacres de Juifs ont eu lieu à Jérusalem en 1920 et à Hébron en 1936 et 1939. Je rappellerai aussi les attaques terroristes contre des villages juifs qui se sont déroulées immédiatement après le vote du plan de partage à l'ONU le 29 novembre 1947, sans parler du fait qu'un grand nombre de Juifs ont été tués par des Arabes avant 1967. Tout ceci pour dire que l'idée qu'un retrait de notre part de Judée-Samarie et de Gaza (dont nous sommes déjà sortis) nous amènera la paix et le calme est totalement fausse et illusoire. De plus, le fait est que de l'autre côté il n'y a jamais eu un dirigeant ou une direction politique qui a déclaré que si nous nous retirions de Judée-Samarie, cela mettrait un terme au conflit. Jamais. Les Arabes palestiniens n'ont pas non plus affirmé qu'en contrepartie d'un tel retrait, ils seraient disposés à renoncer au fameux «droit de retour» des réfugiés de 1948 et, comme je vous l'ai dit, ils n'ont jamais reconnu qu'Israël est l'État du peuple juif. Selon certaines informations, l'armée serait sur le point de quitter les villes arabes de Judée et de Samarie. Qu'en est-il en réalité ? Dans ces régions, depuis 2002, l'armée a une totale liberté d'action partout où elle le juge nécessaire. Toutefois, elle n'est pas installée de manière permanente dans les agglomérations arabes et n'y entretient pas de bases. Cela dit, si nous savons qu'il y a un terroriste ou un attentat en préparation, nous entrons et arrêtons ces gens. Cette liberté d'action est très importante car sans elle, nous serions encore et toujours victimes du terrorisme. De plus, en agissant de la sorte, nous empêchons que l'Autorité palestinienne ne soit renversée au bénéfice du Hamas. Aussi bien les barrages de sécurité que les interventions dans les villes sont conditionnés par les besoins dictés par les circonstances. A un moment donné, il y avait une grande activité terroriste à Shekhem. Nous n'avions pas d'autre choix que de bloquer la ville avec des barrages et d'y établir un couvre-feu. Celui-ci a été assez rapidement levé. D'autre part, il y a aussi la présence de la police de l'AP, qui est chargée de maintenir la loi et l'ordre. En ce moment, elle est très occupée à combattre le Hamas, non pas parce que celui-ci nous attaque et tue des Juifs, mais parce qu'il est en conflit ouvert avec le Fatah. Lorsque nous voyons que la situation sécuritaire se stabilise, nous nous permettons de lever des barrages et de faciliter la vie des habitants. Vous pensez bien que l'établissement de barrages ne constitue pas notre activité préférée et que nous ne le faisons que lorsque la situation l'impose. Après tout ce que vous nous avez expliqué, pouvez-vous nous dire si le peuplement juif de la Judée-Samarie constitue véritablement une nécessité sécuritaire ou si une simple présence militaire pourrait suffire ? Notre expérience nous a appris qu'une présence militaire sans peuplement n'est pas viable. La présence d'une population juive en Judée-Samarie permet à l'armée d'être présente là où il y a des agglomérations juives et proche des endroits où elle doit intervenir. Par exemple, nous ne sommes pas installés à Shekhem mais dans les villages juifs des alentours. Il ne fait aucun doute que la multiplication du peuplement juif de la Judée-Samarie augmente le degré sécuritaire de la région même et d'Israël en général. Sur un plan plus large, concernant la situation stratégique du Moyen-Orient, l'Amérique a annoncé son retrait progressif d'Irak. Quelles seront les conséquences directes pour Israël ? Ceci dépend énormément de quand et comment ce retrait se fera. A premier vue, il ne s'agit que d'un repli partiel prévu pour 2012, date à laquelle il y aura encore et toujours des milliers de soldats américains en Irak. La question est de savoir ce qui va se passer dans le pays même: quel sera le gouvernement en place, sera-t-il à même de faire régner l'ordre, y aura-t-il des guerres internes ou le pays sera-t-il déstabilisé par le terrorisme ? Il faut savoir que l'Irak ne se retrouvera pas uniquement confronté à des problèmes internes, car l'enjeu est énorme et aujourd'hui déjà, la Syrie dépêche régulièrement des terroristes afin de déstabiliser le gouvernement en place. Cette tactique s'avère d'ailleurs payante puisque la nouvelle administration américaine est non seulement disposée à traiter avec la Syrie, ce qui n'était pas le cas de celle de Bush, mais de lui offrir des compensations importantes afin qu'elle cesse son activité néfaste en Irak. Toutes les questions relatives aux conséquences du retrait américain sont encore ouvertes. Il est un peu tôt pour dire quelles seront les implications pour Israël, bien que nous envisagions plusieurs scenarii et que nous prévoyions comment y réagir le moment venu. La grande question du moment, le sujet dont tout le monde parle, c'est l'Iran. Quelle est votre évaluation du rôle joué au Moyen-Orient et dans le monde par ce pays ? Aujourd'hui, l'Iran est l'acteur le plus important de la région, la clé du règlement de pratiquement tous les problèmes. Son influence est omniprésente en Irak, en Afghanistan, au Liban (Hezbollah), dans les territoires soumis à l'Autorité palestinienne (Hamas, Djihad palestinien), etc. L'Iran finance et arme les milices et les organisations terroristes afin d'agir contre Israël mais aussi contre l'Amérique en Irak et en Afghanistan. Mais l'activité s'étend aussi vers d'autres pays de la région. Il y a une année, l'Égypte a arrêté des membres du Hezbollah envoyés par les services de renseignements iraniens pour créer des émeutes dans le pays. Il y a aussi des minorités chiites en Arabie saoudite et à Bahreïn qui travaillent pour sous-miner les régimes en place en faveur de l'Iran. La question de l'évolution de la situation générale dans la région dépend beaucoup de combien l'Iran pourra user de son influence et promouvoir ses méfaits. Le centre de gravité se trouve aujourd'hui à Téhéran entre les mains du pouvoir en place. C'est lui qui promeut la révolution islamique, c'est lui qui finance, entraîne et arme les milices de tous genres qui agissent contre les intérêts occidentaux. Si dans un avenir proche le régime iranien est affaibli ou même tombe en raison de sanctions économiques ou autres, les choses peuvent changer de manière fondamentale, car il aura beaucoup de difficultés à poursuivre la promotion de la révolution islamique. Nous venons d'assister à deux événements très importants: le premier s'est déroulé au Liban, où les élections ont souligné un renforcement des éléments pragmatiques contre les djihadistes; le second s'est passé en Iran même, où les jeunes, les femmes et le peuple en général ont manifesté leur mécontentement suite au déroulement des élections. Ils n'ont pas hésité à affronter les matraques des sbires du pouvoir. Ce sont donc là deux signes très forts en direction de l'Occident. La question qui se pose donc aujourd'hui est de savoir ce que le monde libre en fera. Se lancera-t-il dans un dialogue avec le régime iranien dont la légitimité est plus que douteuse ou l'isolera-t-il et renforcera-t-il les sanctions économiques dans le but de l'affaiblir et éventuellement de permettre à ceux qui pensent qu'ils ont gagné les élections de jouer un rôle plus important ? En définitive, ces questions s'adressent au gouvernement américain qui, je l'espère, saura prendre les bonnes décisions? Si l'on veut stopper l'Iran et renforcer (solidifier) l'Afghanistan, le Liban et même l'AP, il faut s'occuper correctement du régime en place à Téhéran car je le répète, c'est lui qui est derrière les forces du Hamas à Gaza, celles du Hezbollah au Liban, les milices armées en Irak et une partie des forces qui agissent en Afghanistan. Qu'en est-il de l'Égypte ? En observant la région, on constate un certain nombre de divisions. Il ne fait aucun doute que le conflit dominant aujourd'hui est celui qui oppose l'islam djihadiste à l'Occident. Mais le deuxième antagonisme de taille de notre époque est celui qui oppose les Sunnites aux Chiites. De ce point de vue l'Égypte, la Jordanie, l'Arabie saoudite, Bahreïn, les autres pays du Golfe et l'Afrique du Nord sont des pays sunnites. Ces États sont très préoccupés par l'avancée de l'hégémonie chiite iranienne. Ils voient d'un très mauvais ?il le soutien de l'Iran aux milices armées dont je vous ai parlé à Gaza et au Liban et surtout l'axe Syrie-Iran. Or, dans le monde sunnite, l'Égypte et l'Arabie saoudite sont des États dominants. Il se trouve que dans le conflit qui oppose les Sunnites aux Chiites, Israël a des intérêts communs avec les Sunnites. De plus, lorsque l'on demande, à titre privé, à l'un ou l'autre de ces dirigeants arabes quelle est leur préoccupation majeure, tous répondent que c'est la question iranienne. Devant les caméras, ils disent que c'est la question palestinienne. Pour nous, il s'agit là d'une opportunité à saisir pour coopérer avec ces États et j'ai de bonnes raisons de penser que dans un certain nombre de domaines, une telle forme de collaboration entre Israël et ses voisins sunnites a des chances de réussir. Malgré tout, dans le cadre des organisations internationales, c'est l'Égypte qui est en tête du combat politique contre Israël. Pensez-vous que du côté arabe, il y a une prise de conscience de «l'opportunité de coopération et des intérêts communs» dont vous parlez ? Si oui, avez-vous pu constater un changement d'attitude des gouvernements sunnites ? Je pense que les pays arabes seraient très heureux si l'État d'Israël n'existait pas. Toutes les possibilités qui s'offrent à eux pour l'affaiblir sont les bienvenues et exploitées. Mais Israël est un fait vibrant et florissant. A plusieurs reprises, le président égyptien Moubarak a répété qu'une guerre contre Israël ne fait pas partie des options envisageables. La paix entre nos deux États est stable et ceci n'est certainement pas dû au fait que nous sommes aimés, mais uniquement parce que nous sommes forts. Sans vouloir élaborer ce point précis, je peux vous dire que notre puissance comporte aussi un certain nombre d'avantages pour nos voisins arabes. Tout cela n'empêche pas que si Israël disparaissait de la carte, cela ne serait pas fait pour déplaire au monde arabe, y compris les pays avec lesquels nous avons des traités de paix. Ce que vous nous expliquez là fait penser que nous sommes au seuil d'un Moyen-Orient qui sera plus dur, plus difficile à vivre et à gérer et ce surtout en raison de la faiblesse du discours et peut-être de la politique de l'administration Obama. Pensez-vous que certains pays comme les États du Golfe persique, vont progressivement quitter le giron occidental, estimant qu'il est dans leur intérêt de se rapprocher de l'Iran ? La question clé des années à venir réside dans la politique américaine au Moyen-Orient et en particulier face à l'Iran, son gouvernement et son programme nucléaire. Comme je vous l'ai dit, le conflit le plus important de notre temps est celui qui oppose l'islam djihadiste à l'Occident. Or ce type d'islam a ses racines dans la révolution iranienne qui met tout en ?uvre pour se propager et prendre pied dans le plus d'endroits possible. L'un de ses premiers buts est de transformer le Liban, où elle a déjà malgré tout remporté un certain succès, en une république islamique chiite. Elle a réussi à s'imposer dans le monde djihadiste sunnite, comme à Gaza où le Hamas instaure progressivement la loi islamique. A ce sujet, nous disons qu'il s'agit du «Hamastan», mais en fait c'est là la seconde république islamique djihadiste au monde. La première se trouve en Iran, la seconde à Gaza et ils veulent établir la troisième au Liban. D'autre part, nous voyons une tendance divergente qui commence à voir le jour. Il s'agit d'une sorte de troisième voie qui prend progressivement de l'ampleur dans le monde arabe islamique et qui se situe entre les djihadistes et les pragmatistes. Nous l'avons vue à l'?uvre après les élections aussi bien en Iran qu'au Liban. Dans ce pays, il y a aujourd'hui une coalition issue des urnes constituée d'une part de pragmatistes, de nationalistes et de laïques et d'autre part des chiites djihadistes du Hezbollah et du Fatah djihadiste sunnite. Cette forme de collaboration politique interne est certes minoritaire pour l'instant, mais a malgré tout pris pied en Algérie, à l'intérieur même de l'Autorité palestinienne où une certaine forme d'entente existe aussi entre le Hamas et le Fatah ainsi qu'en Jordanie et en Égypte, où les Frères Musulmans ont trouvé un terrain d'entente avec les gouvernements en place. Une telle formation peut aussi progressivement voir le jour en Irak. Dans ce contexte, la politique que mènera l'Amérique au Moyen-Orient sera déterminante pour l'avenir et a donc une importance colossale. Le discours du président Obama au Caire contenait certes un certain nombre d'éléments non négligeables qui encouragent et renforcent les pragmatistes dans notre région. Mais parallèlement, il n'a pas équilibré sa politique ni agité de «grand bâton» face aux djihadistes. Dans le cadre de mes contacts avec des Arabes de la région, j'ai entendu dire très clairement que cette démarche politique a été perçue par les islamistes radicaux ainsi que par certains autres milieux au Moyen-Orient comme un aveu de faiblesse. Or une Amérique faible est totalement contraire aux intérêts du monde arabe sunnite qui se retrouve seul face à l'Iran et ne sait pas comment s'y opposer. Bien entendu, une Amérique qui donne des signes de faiblesse est aussi mauvaise pour l'État d'Israël. Toutefois, nous sommes assez forts pour faire face aux défis qui se présentent à nous. Mais au Moyen-Orient, il vaut mieux que l'Occident soit perçu comme étant fort et puissant. Dans cet esprit, si les États-Unis ne mènent pas une politique de force et de détermination face à l'Iran en lui faisant clairement comprendre qu'elle n'a pas avantage à développer l'arme nucléaire, qu'elle doit mettre un terme à son soutien au terrorisme international et se conduire de manière responsable envers ses propres citoyens, ceci pourra faire une grande différence au Moyen-Orient. En effet, une telle politique de faiblesse incitera des États arabes sunnites à être tentés de se rapprocher de l'Iran. Aujourd'hui déjà, le Qatar, estimant qu'en définitive l'Amérique s'affaiblira et que l'Iran se renforcera, ménage la chèvre et le chou en autorisant une présence militaire américaine sur son territoire tout en se liant progressivement à l'Iran. Ce genre de développement risque de faire tâche d'huile au Moyen-Orient, car tous les pays qui n'ont pas la force de faire face à la puissance iranienne ainsi renforcée choisiront en définitive de s'allier à cette république islamique. J'espère que nous n'en arriverons pas là et que l'Amérique, aidée par l'Europe, notamment la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et l'Italie qui comprennent très bien ces enjeux, finira par faire preuve de fermeté à l'égard de Téhéran et ce tant sur le plan politique que militaire. Je vous rappellerai que, face à la politique de fermeté de l'administration Bush, la Lybie a renoncé à son programme nucléaire. J'ai de bonnes raisons de croire que le régime iranien, qui se veut «messianique, apocalyptique et non conventionnel», saura, lorsque qu'il verra que ses intérêts vitaux sont en jeu, prendre les bonnes décisions simplement rationnelles, bref, celles qui lui seront le plus bénéfiques. L'Occident a les moyens de stopper l'Iran qui, en définitive, n'aura que deux choix: abandonner son programme nucléaire militaire ou le maintenir et en assumer les conséquences. La grande question qui se pose donc est de savoir: que fera Israël ? Soit l'Occident fera ce qu'il doit faire, soit ? et là, je citerai simplement la fameuse phrase de notre grand maître du Talmud Hillel: «Si je ne pense pas à moi, qui le fera ?». (Pirké Avoth, Maximes des pères 1-14) Pensez-vous qu'une nouvelle révolution, cette fois-ci démocratique ou pour le moins pragmatique, est véritablement en marche en Iran ? Quelques jours avant les élections, j'étais à Washington où l'on m'a demandé mon avis sur l'issue des élections en Iran. J'ai répondu que le dirigeant suprême Khamenei voulait absolument qu'Ahmadinejad soit au pouvoir et ceci quel que soit le résultat des élections. Il en était déjà de même en 2005, où le choix du peuple n'avait absolument pas été pris en compte. Toutefois, à l'époque, la participation au scrutin était très faible. Cette fois-ci, le peuple a voté en masse, il voyait en Moussaoui et son épouse une véritable chance d'effectuer des réformes. Depuis que j'étais chef des renseignements militaires, je sais que pratiquement 70% de la population iranienne sont opposés au régime des Ayatollahs. D'ailleurs, au cours des 30 dernières années, il n'a pu se maintenir au pouvoir que grâce à la répression. Ce que nous avons vu après les élections, c'est le déclenchement d'un mouvement populaire venu de l'intérieur, bien que non dirigé par une direction politique clairement établie et organisée. Malgré le fait que ce mouvement ait été réprimandé dans le sang et réduit au silence, pour l'instant il ne fait aucun doute qu'il se relèvera de ses cendres. La question est de savoir quand. C'est là que l'Occident a un rôle essentiel à jouer. S'il accorde la légitimité au régime en place et négocie avec lui après toutes les exactions qu'il vient de commettre, la nouvelle révolution, qui à moyen ou long terme est inévitable, mettra du temps à se réaliser. Si l'Occident applique les sanctions économiques qui s'imposent, il y a toutes les chances que le régime tombe. Tout indique que le mouvement populaire qui a été déclenché après les dernières élections a d'ores et déjà atteint son point de non-retour. Tout le monde parle de l'activité nucléaire militaire en Iran. Parallèlement, depuis la chute de Mousharaf au Pakistan qui est un État nucléaire, il y a une forte chance que les facilités atomiques militaires tombent entre les mains des Talibans, qui prennent de plus en plus de pouvoir dans le pays. Pensez-vous qu'à ce niveau, il puisse y avoir une coopération entre l'Iran et le Pakistan ? Quelles sont les conséquences directes de la situation actuelle pour Israël ? Dans la doctrine des Talibans, d'Al-Qaïda et du Jihad mondial, Israël est considéré être le «petit Satan» et l'Amérique le «grand Satan». Lorsqu' Al-Qaïda a décidé de frapper en Occident, elle ne s'est pas attaquée à Israël, mais aux États-Unis. C'est pourquoi je pense que si l'équipement atomique militaire tombe effectivement entre les mains du Djihad mondial, ce qui n'est pas encore le cas, ce sera un cauchemar pour l'ensemble du monde libre, mais particulièrement pour Washington. En ce qui concerne Israël, nous sommes alertes, sur nos gardes et prêts à faire face, mais le terrorisme mondial ne constitue pas, pour l'instant, notre première préoccupation. Au vu de tous les problèmes que nous venons d'évoquer, comment expliquez-vous que la question de la présence juive en Judée et en Samarie ait pris une importance centrale dans la politique américaine au Moyen-Orient ? Vous devriez poser la question directement à la Maison Blanche. En ce qui nous concerne, il est évident que le peuplement juif de ces régions n'a jamais constitué un obstacle à la paix. Jamais.D'ailleurs, lorsque Menahem Begin a signé la paix avec l'Égypte, il a liquidé une ville comme Yamit, et lorsqu'Ariel Sharon a cru qu'il pouvait arriver à établir le calme, du moins au sud, il a évacué Goush Katif. Cela signifie-t-il que vous estimez qu'en échange d'un traité de paix, il faut expulser des Juifs de leurs foyers en Judée ou en Samarie ? Absolument pas. La question se pose de savoir pourquoi les Arabes ont toute liberté de choix de résidence partout en Israël et en Cisjordanie et qu'il est tout à fait accepté par la sagesse populaire qu'il puisse exister des zones «Judenrein» en Israël, au c?ur de l'État juif, où il serait interdit à des Juifs de s'installer. Cette interdiction serait même valable si ces régions étaient placées sous une administration autre que la nôtre. Pourquoi un Juif n'aurait-il pas le droit de vivre à Ramallah ou à Bethlehem et encore moins à Beth-El ou à Eïlon Moréh ? Comment le monde libre, libéral et si éclairé peut-il accepter l'idée qu'un transfert de Juifs soit opéré ? Ceci ne fait que confirmer la suspicion que nous n'avons pas à faire à un partenaire qui souhaite que les Juifs et les Arabes vivent en paix sur cette terre, mais veulent faire disparaître Israël étape par étape. C'est la politique du salami coupé - hier nous avons réussi à vous expulser de Gaza, demain de Judée-Samarie et après-demain de Tel-Aviv et de Haïfa ! C'est là toute la doctrine de l'Autorité palestinienne. Pensez-vous que seize ans après la poignée de mains de Washington et la conclusion des Accords d'Oslo, cette attitude soit toujours valable ? La grande faiblesse des Accords d'Oslo réside dans le fait que ceux-ci n'exigent pas la fin du conflit, pas la fin des revendications arabes et qu'ils n'impliquent même pas la reconnaissance de l'État d'Israël comme État juif. Toute l'histoire disant que le peuplement juif de la Cisjordanie constitue un obstacle à la paix, est en fait contreproductif puisqu'il apporte son soutien à la politique du salami coupé des Arabes palestiniens. D'ailleurs, aussi bien le Hamas que le Fatah tiennent le même discours. Le Hamas dit ouvertement qu'il est disposé à négocier une trêve, mais que son but est de faire disparaître Israël. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que regretter que la question du peuplement juif de la Judée-Samarie ait été placée au centre du processus politique. La vérité est que nous n'avons pas de partenaire qui voit en l'établissement d'un État palestinien à l'est des frontières du 4 juin 1967 la fin du conflit et des exigences. C'est là le fond du problème. Dans son fameux discours du 14 juin 2009 prononcé à l'Université de Bar Ilan, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a clairement parlé d'un État palestinien démilitarisé. S'agit-il là de l'expression du souhait de son électorat ou simplement d'un geste dicté par la realpolitik ? Comme je vous l'ai dit, je ne vois pas de leadership palestinien prêt à accepter un État qui serait limité aux frontières du 4 juin 1967. Parallèlement, je ne vois pas non plus comment Abou Mazen pourrait diriger à Gaza. De quoi parlons-nous donc actuellement ? D'ne autorité palestinienne, installée en Judée-Samarie, sur laquelle nous ne voulons pas régner, mais dont nous ne voulons pas non plus qu'elle nous menace ou nous agresse. Ce que le Premier ministre a dit, c'est: «si cette direction politique reconnaît Israël en tant qu'État juif; si elle est démilitarisée; si elle accepte que la question des réfugiés soit réglée en dehors des frontières d'Israël et finalement si elle accepte que l'accord signé constitue la fin du conflit et des revendications, alors elle pourra donner à cette entité territoriale le nom qu'elle voudra, y compris celui d'«État».» Mais ce n'est pas ce que le monde a retenu. Pour lui, le gouvernement nationaliste d'Israël, sous la direction de Benjamin Netanyahou, a accepté la création d'un État palestinien. Qu'en est-il en réalité ? Le monde peut comprendre ce qui lui plaît et nous agissons en fonction de ce que nous avons effectivement déclaré et pas autrement. Si les Arabes palestiniens avaient vraiment voulu un État, Arafat l'aurait obtenu à Oslo ou à Camp David et Abou Mazen l'aurait reçu à Annapolis. Or ils n'en veulent pas. Ce qui les intéresse, c'est de nous combattre et de promouvoir l'image du «résistant» contre «l'occupant». Ce que Benjamin Netanyahou a fait dans son discours, c'est simplement passer le ballon dans l'autre camp en le mettant au défi. Historiquement, ceux qui ont toujours refusé la division de ce pays sont les Arabes: ils ont rejeté les recommandations de la commission Peel en 1937, le plan de partage de l'ONU du 29 novembre 1947, l'offre de partage d'Ehud Barak en 2000 et finalement l'offre d'Ehud Olmert à Annapolis. Il faut savoir que cette offre comprenait un retrait israélien de 97% de la Judée-Samarie (après la sortie de Gaza), la division de Jérusalem et l'installation en Israël même, sur base humanitaire, de certaines familles arabes maintenues dans les camps de réfugiés. Interrogé par le Washington Post à ce sujet et sur son refus de signer un tel accord, Abou Mazen a simplement répondu: «nos positions étaient trop éloignées». Comment voyez-vous l'avenir ? Je pense que le temps travaille pour ceux qui savent le gérer. Je regarde dans quel état le peuple juif se trouvait il y a 70 ans et quelle est notre situation aujourd'hui. Parallèlement, je constate qu'au début des années 90, il y avait une chance de conclure la paix avec les Arabes palestiniens. En 2000, ils ont lancé une guerre contre nous. Il suffit d'observer où nous en sommes à l'issue de ce conflit et quelle est leur situation. Quel que soit le domaine, nous nous sommes développés de manière fabuleuse, que ce soit dans l'agriculture, la technologie, la science, la médecine et même dans l'économie. Nous nous renforçons de jour en jour et également sur le plan militaire. Si nous continuons à savoir gérer et bien utiliser notre temps, l'avenir d'Israël est prometteur. Toutefois, au cours des dernières années, l'idéologie et la force intérieure ont laissé à désirer. J'ai entendu un membre important du dernier gouvernement dire en public que «le but est de créer un État où c'est chouette de vivre». Notre idéal est nettement supérieur. L'un des défis de notre temps est de remotiver la jeunesse. Mais cela commence par se départir des illusions dont nous avons été nourris depuis seize ans disant qu'un accord est à portée de main et qu'il suffit de se débarrasser des «territoires occupés» pour que la paix et le calme s'installent définitivement. Le temps est venu de mettre un terme aux discours de ceux qui veulent délégitimer l'État d'Israël (Arabes, antisémites, Juifs antisionistes, etc.). Il faut expliquer à la jeunesse que l'État d'Israël n'est pas une évidence, pourquoi nous sommes revenus ici après deux mille ans de Diaspora et que nous sommes ici pour y rester car notre cause est juste. C'est là le seul moyen que nous avons pour préparer l'avenir d'un Israël puissant, solide et couronné de succès. |