Solitude et Solidarité | ||
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Par Emmanuel Halperin, | ||
notre correspondant à Jérusalem Israël n'est pas seul. Les liens avec les États-Unis sont «indestructibles», M. Obama dixit. L'Europe est, dans l'ensemble, solidaire de la politique américaine au Proche-Orient. Les pays arabes sunnites, dits modérés, sont terrorisés par la perspective d'une bombe islamique shiite et sont donc objectivement sur la même ligne qu'Israël dans l'appréciation du danger nucléaire iranien. Tout serait donc pour le mieux. Eh bien non. Le discours du Caire du Président des États-Unis, en avril dernier, était préoccupant, moins par les exigences politiques immédiates - gel des implantations - présentées à Israël, que par l'adoption d'une perception de l'Histoire plus ou moins conforme, pour la première fois, aux thèses du monde arabe. La création d'Israël y était présentée comme une conséquence de la Shoah et les souffrances des Palestiniens en seraient le pendant. Or le discours arabe, martelé depuis toujours, affirme que si les Juifs ont souffert de persécutions en Europe ce n'est pas aux peuples du Proche-Orient, et en particulier aux Arabes de Palestine, de faire les frais d'un crime auquel ils n'ont aucune part. Où sont passés, pour M. Obama, les siècles d'espérance en un retour à Sion, et le sionisme politique couronné, dès 1922, par la création d'un foyer national pour le peuple juif ? Adopter implicitement la perception arabe du conflit, c'est ouvrir la voie à la thèse du «péché originel», rendant Israël, quoi qu'il fasse, et quelle que soit sa politique, responsable sinon coupable, par son existence même, du malheur de ses voisins. Dans cette perspective les refus arabes, les agressions multiples, la volonté destructrice proclamée tant de fois, ne sont plus à prendre en compte puisqu'ils deviennent le résultat d'une injustice flagrante. C'est ainsi faire le lit de la fameuse idéologie du désespoir. Jamais les responsables américains n'avaient tenu un tel discours. Où donc est passé pour eux le «droit naturel et historique du peuple juif», dans quelle trappe a-t-il soudain disparu ? Ce n'est pas, bien évidemment, l'oubli passager d'un nouveau président sans grande expérience, c'est la teneur d'un texte concocté par des fonctionnaires de la Maison Blanche et du Département d'État et dont chaque mot a été soigneusement pesé, les mots employés comme ceux qui ne l'ont pas été. On peut comprendre et même soutenir la tentative de Washington de rééquilibrer sa politique afin de regagner le soutien d'une partie du monde arabo-musulman. Qui sait si cette approche nouvelle, que certains jugent plus réaliste que celle de l'administration précédente, ne portera pas ses fruits, en permettant aux Américains de jouer enfin un rôle d'intermédiaire efficace ? C'est malheureusement peu vraisemblable, à en juger par les résultats quasiment nuls de cette politique dans les mois qui ont suivi le discours du Caire. Tous les efforts de Washington pour obtenir du monde arabe des signes de bonne volonté, des gages infimes d'une volonté de normalisation avec Israël, se sont heurtés jusqu'à présent à un non franc et massif. En revanche on a pu enregistrer, aux États-Unis même, quelques symptômes inquiétants. Tout d'abord le Congrès, que les diplomates israéliens considèrent comme un allié majeur et solide, et qui a adopté dans le passé un grand nombre de résolutions pro-israéliennes (comme celles reconnaissant Jérusalem comme capitale et demandant que l'ambassade des États-Unis y soit installée - résolutions restées sans suite) n'a quasiment pas réagi à la nouvelle froideur manifestée par l'administration Obama à l'égard d'Israël. Les sénateurs et les représentants sont restés dans une prudente expectative, à l'exception de quelques députés juifs qui ont, très modestement, exprimé quelques pâles doléances. On ne s'attaque pas à un président si populaire, même si sa popularité est en train de fléchir. Mais n'est-ce pas le signe que le soutien tant vanté des élus américains au Capitole n'est pas aussi inconditionnel ni même aussi ferme qu'on voulait le croire ? Il ne s'agit pas d'un lâchage et rien de grave ni de définitif n'a été tranché, mais où sont donc passés les grands ténors de l'amitié indéfectible ? On peut supposer que la réserve des élus américains est en partie le fruit de l'influence délétère qu'a eue sur les médias la vaste diffusion de l'ouvrage de deux universitaires américains, John Mearsheimer et Stephen Walt, «Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine». Cette étude tendancieuse et ouvertement hostile à Israël, publiée il y a deux ans, affirme qu'Israël n'est nullement un atout stratégique pour Washington et qu'il manipule de facto la Maison Blanche au point d'avoir poussé les États-Unis dans l'aventure iraquienne (ce qui est totalement faux). Les responsables du lobby AIPAC n'ont pas eu de mal à réfuter la thèse développée par ce livre, mais il semble bien que le mal soit fait, et pour assez longtemps. C'est ainsi que lors de leur rencontre avec M. Obama les dirigeants du judaïsme américain ont fait preuve d'une frilosité étonnante, écoutant respectueusement les propos du président sans se permettre la moindre objection sérieuse. La puissante communauté, qui a tant contribué à l'élection de M. Obama, serait-elle saisie d'une paralysie qui rappelle douloureusement celle des Juifs américains avant et pendant la Seconde Guerre mondiale ? Il faut bien constater que la solidarité avec Israël n'est plus tout à fait ce qu'elle était. On peut faire un autre constat de la solitude actuelle d'Israël en considérant le manque total de réactions négatives aux résolutions adoptées par la conférence du Fatah qui s'est tenue à Bethlehem à la mi-août. Ce texte réaffirme la nécessité stratégique de la «lutte armée» - dont on connaît la nature - et souligne l'importance de la transmission, aux nouvelles générations, de l'éthique du combat et du sacrifice. Le Fatah réaffirme la revendication d'un retour de tous les réfugiés, auxquels il faudrait en outre verser des indemnités, proclame que Jérusalem est la «capitale éternelle» de la Palestine et affirme «le refus absolu, sur lequel on ne saurait revenir, de reconnaître Israël en tant qu'État juif». Au lieu de voir dans ces résolutions un durcissement - sinon une fin de non-recevoir - du leadership palestinien de Cisjordanie, les Occidentaux se sont au contraire félicités d'une prétendue «relève des modérés». Et les pressions sur Israël, pour qu'il consente à manifester sa bonne volonté en gelant les implantations, ne se sont pas relâchées. La solitude d'Israël n'est sans doute pas une expérience nouvelle, certains la considèrent comme une malédiction millénaire, d'autres comme un destin à assumer. Le sionisme politique est né de ce constat, ainsi que de l'espoir, à partir de la conquête de la souveraineté nationale, d'accéder à la normalité et de s'insérer harmonieusement dans le concert des nations. C'est à quoi Israël s'emploie, souvent avec succès, depuis plus de 60 ans, en partie grâce à la solidarité d'hommes et de femmes de bonne volonté dans le monde, juifs et non-juifs. Mais le mal, pour un temps, refait parfois surface. Il faut agir, et il y a fort à faire, pour que ce temps soit de courte durée. |