Des chiens et des hommes

Avidgdor Schatz. (Photo: Bethsabée Süssmann)
Par Roland S. Süssmann
La relation entre le chien et l’homme a de tout temps été celle d’une histoire d’amour et de fidélité. S’il est vrai que le chien a souvent été abusé par l’homme et utilisé pour faire du mal, dans l’ensemble ce quadrupède a malgré tout l’image et la réputation justifiée d’être une aide précieuse et fiable qui mérite bien son titre de meilleur ami de l’homme. Tel est le cas en Judée et en Samarie, où de nombreuses agglomérations juives, qui vivent sous la menace permanente d’une attaque terroriste arabe, sont gardées par des chiens spécialement entraînés à cet effet. Certes le chien de garde ne constitue pas une nouveauté, mais dans le cas présent, il subit une formation tout à fait particulière que nous avons suivie dans la ville de Shilo, où nous avons été reçus par AVIGDOR SCHATZ, responsable des questions de sécurité dans la région de Benjamin, contrée située au nord de Jérusalem.

La première question qui se pose est de savoir pourquoi vous avez décidé de créer un élevage spécifiquement destiné à la garde des villages juifs de Judée-Samarie, alors que cette tâche est en général assurée par des volontaires ou par l’armée ?

Les deux activités sont en fait complémentaires, mais les chiens jouent un rôle tout à fait particulier dans la défense de l’individu. Pour ce faire, nous poussons l’entraînement très loin, certains de nos chiens savent évidemment s’attaquer à l’agresseur de leur maître, mais ils sont également capables de se défendre contre une personne dotée d’une arme à feu. Par exemple, si un terroriste est embusqué dans une maison et que trois personnes armées s’attaquent à lui, nos chiens savent que ces hommes sont de son côté et ira s’en prendre directement au terroriste même, s’il tire sur nos hommes. Le chien saura faire la différence entre les détenteurs d’armes. Il s’agit là d’un niveau de dressage très élevé. Parallèlement, nos chiens savent se tenir tranquilles quand il le faut. Ainsi, lors d’une opération pour déloger un terroriste, les chiens suivent les hommes mais n’interviennent qu’à leur commandement.

Lorsque vous parlez d’intervention du chien, à quoi pensez-vous exactement ?

Je vais vous donner deux exemples pratiques. Admettons qu’un terroriste se soit introduit dans une maison familiale. Toute intervention humaine est très risquée, car l’homme pourchassé n’a rien à perdre et ne pense qu’à faire du mal. Souvent, il tire à l’aveuglette et une balle perdue est vite attrapée. Nos chiens savent entrer dans une telle maison aussi bien par le rez-de-chaussée que par le premier ou le deuxième étage, repérer le terroriste, l’attaquer et le mettre à terre. Si le terroriste arrive à s’échapper, le chien sait exactement où le poursuivre, l’agripper, l’immobiliser et l’inspecter à la recherche d’armes ou d’explosifs. Le deuxième exemple provient d’une situation dans laquelle un terroriste s’est rendu maître de l’un de nos bus scolaires blindés rempli d’enfants. L’une des spécificités de ces autocars réside justement dans le fait qu’une fois fermés, ils sont inviolables. Nous avons toutefois aménagé certains accès réservés aux chiens que nous avons spécialement dressés pour se rendre dans les bus et s’attaquer directement aux terroristes. Non seulement ils savent comment et par où entrer dans les cars, mais ils arrivent immédiatement à différencier le terroriste du chauffeur du bus.

Comment les dressez-vous ?

Nous les identifions dès leur plus jeune âge. Ils sont encore tout petits et mignons et à première vue, personne ne peut croire qu’en deux ans, ils seront transformés en chiens antiterroristes et de défense. Au début, ils sont intégrés dans une famille et progressivement nous les entraînons, souvent en coopération directe avec la famille en question. Il faut compter environ deux ans de dressage jusqu’à ce qu’un chien soit totalement prêt à intervenir. Comme vous le savez, l’armée a un secteur très spécial réservé au dressage des chiens, aussi bien contre le terrorisme que pour le sauvetage en cas de catastrophe naturelle, lors d’effondrements d’immeubles ou d’actes terroristes majeurs. Nous coopérons directement avec l’armée. De plus, notre dresseur-chef est un ancien commandant de cette section de l’IDF. Pour ma part, j’ai toujours vécu avec des chiens et été impliqué dans leur élevage dès mon plus jeune âge. En ce qui concerne l’entraînement des chiens pour la défense individuelle, j’ai suivi une formation au Wingate Institute en Israël et un cours de 6 semaines de master-training particulier en Suisse dans l’une des meilleures écoles au monde, celle de Hans Schlegel, maître internationalement reconnu pour les entraînements de chiens dans les domaines les plus variés, y compris le sauvetage en montagne et bien entendu la défense personnelle. J’ai pu suivre le stage avec mon chien personnel. M. Schlegel a également mis au point un certain nombre de méthodes qui permettent de maîtriser des relations difficiles ou particulières entre l’homme et le chien, ce qui est extrêmement important dans le domaine de la défense individuelle. Outre les stages qu’il organise en Suisse, il est instructeur en Amérique, en Afrique du Sud, au Japon et en Australie, dans ce que l’on appelle le K9, qui est le sigle international des unités canines de la police et de l’armée (jeu de mots en anglais pour dire Canine: Key-Nine). Le dressage total d’un chien revient à environ US$.12'000, -- pour deux ans, ce qui comprend la nourriture, le logement spécial, tous les frais de dressage, etc.

Comment et à quel moment avez-vous décidé de vous lancer dans ce projet ?

A une époque, il y a eu un certain nombre d’attentats dans la localité d’Itamar, en Samarie. Ce village a reçu un budget pour sa défense, dont une partie a été affectée à l’achat de chiens. Malheureusement, les chiens qui étaient entraînés en Europe n’ont pas fait l’affaire et se sont retrouvés simplement installés dans des familles. Nous avons alors contacté le responsable de la sécurité, Shlomo Miler, qui a malheureusement été assassiné par un terroriste arabe six mois plus tard, le 13 août 2004, à qui nous avons dit: «Tes chiens ne sont pas correctement dressés. Lorsque tu suspectes une présence terroriste dans ton village ou aux alentours, tu te précipites dans ta voiture, certes blindée, et une fois sur place tu commences ta vérification. S’il y a effectivement un terroriste, il risque de te tirer dessus et alors sa présence sera confirmée. Ne serait-il pas plus utile de former des chiens qui savent dénicher des terroristes et, si jamais on leur tire dessus et qu’ils sont blessés ou tués, c’est certes grave, mais de loin pas aussi dramatique que la perte de l’un des nôtres ?». Il a immédiatement adhéré à notre idée avec enthousiasme. Depuis lors, nous avons mis en place ce projet et aujourd’hui, aucun responsable sécuritaire ne sort sans son chien, ne serait-ce que pour la plus petite vérification, comme celle d’un trou dans un grillage de protection électronique ou non, l’inspection d’un véhicule suspect, etc. Récemment, un gardien volontaire faisait une ronde dans son village avec son chien. Le chien a repéré un terroriste bien avant son maître, l’a attaqué et blessé suffisamment pour qu’il soit hospitalisé. Il y a quelque temps, une femme arabe, dont il s’est avéré par la suite qu’elle était mentalement dérangée et non pas une terroriste, s’est approchée d’un village juif vêtue d’un énorme manteau alors qu’il faisait une chaleur étouffante. Un chien l’a immédiatement repérée, stoppée et s’est placé devant elle de manière à ce qu’elle ne bouge plus. A chaque mouvement qu’elle faisait pour tenter de partir, le chien la menaçait. Elle est restée ainsi figée jusqu’à l’arrivée des forces de sécurité qui ont constaté qu’en fait, elle n’était pas armée et ne cachait pas d’explosifs sous son manteau.

Les chiens dont vous nous parlez sont véritablement très entraînés. Comment dressez-vous les chiens de garde ?

Nous avons établi dans plusieurs villages ce que j’appellerai «un mur de chiens». Ce sont des chiens simples qui ne peuvent pas suivre l’entraînement des autres, mais qui sont d’excellents gardiens. Ces chiens sont installés dans des niches espacées de 20 à 30 mètres. Dès qu’un inconnu s’approche du village, ils se mettent à aboyer fort et l’entourent. Ils peuvent sentir les gens d’assez loin, entre 100 et 400 mètres. Un terroriste peut évidemment tuer un chien, mais alors il se découvre. La présence d’un grand nombre de chiens est très dissuasive et efficace. Pour ce travail, pratiquement toutes les races de chiens que nous recevons d’un peu partout dans le pays sont compatibles.

De combien de chiens disposez-vous actuellement ?

Nous avons au total 400 chiens, mais seulement 10 ont terminé le dressage complet dont je vous ai parlé.

Admettons que quelqu’un lance aux chiens un morceau de viande empoisonné. Sont-ils à même de le détecter ?

Pas les chiens de garde, mais la présence du terroriste sera immédiatement révélée, car toute la chaîne du «mur de chiens» se mettra à aboyer. Le chien qui aura mangé cette viande y laissera malheureusement sa peau.

Vous nous avez dit qu’au début, les chiens vivent dans un cadre familial. En quoi celui-ci permet-il de faire avancer la formation d’un chien dans la lutte antiterroriste ?

Avant de répondre directement à votre question, je dois vous dire que vous touchez là un sujet très vaste, celui de la formation des habitants à la lutte antiterroriste. Certes ceci est directement lié à l’activité des chiens, mais de loin pas exclusivement. Depuis douze ans, en coopération directe avec l’armée, nous avons mis en place un programme qui permet aux habitants des agglomérations de Judée et de Samarie de savoir exactement comment réagir lors d’une attaque. Au début, il s’agissait simplement de former des volontaires pour venir en aide aux responsables locaux de la sécurité. Mais la formation a évolué en fonction du type d’agressions. Il y a quelques années, les villages juifs étaient attaqués à l’arme à feu de l’extérieur; puis nous avons dû faire face à des terroristes qui, une fois qu’ils avaient réussi à s’infiltrer dans des villages, tiraient sur les gens; aujourd’hui, nous devons former les habitants afin qu’ils sachent exactement quoi faire lorsqu’un agresseur s’infiltre dans une maison et prend une famille en otage.

Comment se passe cette formation et disposez-vous d’un centre d’entraînement spécialement aménagé pour cela ?

Tous les exercices sont filmés, discutés et commentés, ce qui permet aux participants de voir et de revoir ce qu’ils ont fait, comment ils ont réagi, quelles sont leurs erreurs et ce qu’ils doivent améliorer. Depuis sept ans, nous avons un centre de formation, mis à disposition par la municipalité de Shilo, où nous avons reconstitué des maisons (en fait, il s’agit de containers superposés) et des intérieurs qui, pour l’instant, sont dans une tente où, grâce à des murs mobiles, nous pouvons simuler un salon, une salle de bains, une cuisine, etc. Cette infrastructure, somme toute assez rudimentaire, nous donne la possibilité de mener des exercices comme sur un terrain réel. De plus, le système des caméras est extrêmement utile pour le dressage des chiens, car il permet aux maîtres de mieux observer les réactions et la manière d’intervenir des chiens. En ce qui concerne l’utilisation d’armes, nous nous entraînons avec des fusils de paint-ball qui ont l’avantage de marquer la personne touchée et de lui faire mal, ce qui enseigne aux gens comment utiliser correctement leurs armes. C’est une chose d’apprendre à tirer à l’armée, dans un stand de tir ou dans un entraînement général, c’en est une autre de savoir comment réagir lorsqu’un terroriste armé se trouve à deux mètres de distance face à vous.

Comment choisissez-vous les personnes à même de suivre la formation que vous offrez et capables d’appliquer tout ce qu’elles ont appris en cas d’attaque réelle ?

Dans le temps, la conception de travail et d’intervention de l’armée voulait que lors d’une attaque, l’armée dépêchait sur place une unité d’élite ou de commando avec la mission de régler le problème. L’expérience nous a malheureusement appris qu’en cas d’agression, nous n’avons pas le temps d’attendre que l’armée arrive. Dans chaque agglomération, nous avons donc dû trouver une quinzaine de personnes pouvant être prêtes et disponibles en un clin d’œil. Dès qu’elles reçoivent un message par biper les avertissant qu’une attaque est en cours, elles savent comment intervenir car elles connaissent par cœur la topographie du village et l’intérieur de chaque maison. De plus, elles ont suivi une formation d’intervention égale à celle d’un commando et savent exactement quoi faire et comment agir, selon le foyer familial dans lequel le terroriste s’est introduit. Il faut bien comprendre que nous n’avons pas à faire à des jeunes gens de 19 ans, mais à des pères de famille professionnellement bien établis. Ces hommes sont en permanence disponibles, armés et savent comment un citoyen doit agir si un terroriste entre dans un village. Nous avons donc dû former des instructeurs capables d’entraîner les hommes qui auront cette responsabilité dans leur agglomération. Nous devons leur apprendre tout d’abord à ne pas commettre d’erreurs, celles-ci pouvant s’avérer fatales pour eux-mêmes ou pour les familles prises en otages. Puis il y a toute l’instruction d’intervention, ce qui n’est pas une mince affaire. Quant au choix des personnes, il se passe de la manière suivante. Dans chaque localité, le responsable de la sécurité repère les personnes qu’il estime capables d’assumer cette responsabilité. Nous les faisons venir pour un entretien et un premier ou éventuellement un deuxième entraînement, ce qui nous permet de les évaluer et de voir si elles peuvent convenir. Il ne faut pas oublier que la majorité de ces hommes ont fait l’armée et savent ce qu’est une arme à feu, mais nous avons aussi des gens qui n’ont pas suivi d’entraînement militaire. Chaque personne choisie est évaluée en fonction de ses capacités physiques, de combat, de ses connaissances des armes, de son équilibre psychologique, etc. Nous avons un dossier d’évaluation précis sur chaque classe et sur chaque personne, ce qui nous permet aussi d’ajuster la formation en fonction des hommes qui acceptent ce genre de responsabilités.

Toutes ces personnes travaillent et ont des familles. Comment leur engagement dans cette forme de défense civile est-il compatible avec ces deux éléments ?

En ce qui concerne la question du travail, les choses sont assez simples puisque nous devons établir un roulement entre les personnes présentes la journée dans les agglomérations et celles disponibles le soir et la nuit. Il est vrai que certains villages sont des cités dortoirs où les hommes travaillent à Jérusalem ou ailleurs et là, nous sommes face à un problème, bien qu’un service de sécurité permanent soit présent. Quant à la question des familles, celles-ci sont intégrées dans la formation. Il faut bien comprendre que les maris, les pères de familles, sont appelés à abandonner leurs proches au moment le plus dangereux, à l’instant même où un terroriste s’est infiltré dans leur village. Il est évident que l’épouse dira «je t’interdis de sortir» et que les enfants s’agripperont au bas du pantalon du père sur le point de quitter le foyer familial.
Nous entraînons actuellement 40 classes. Aussi bien l’entraînement avec les chiens que la formation de la défense civile exigent de chacun une disponibilité et une discipline de tout premier plan. Cela provient tout d’abord du fait que l’entraînement a lieu une fois par semaine de midi à minuit et qu’il est très éprouvant sur le plan physique et psychologique. Sur ce point précis, il faut savoir aussi que le travail avec les chiens exige une rigueur permanente et absolue qui ne varie pas d’un pouce. Tout manquement, tout changement, mènent directement à la catastrophe et peuvent déstabiliser un chien, ce qui signifie que des années de formation sont réduites à zéro en un clin d’œil. De plus, le fait de s’engager dans le programme de défense civile demande un effort, une disponibilité et une vigilance de tout moment et ce sans répit. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous tenons absolument à ce que nos formateurs soient issus de nos rangs, des hommes qui connaissent la mentalité et la région à fond, et qui ont une formation militaire exceptionnelle. Nous avons aussi des gens qui, après quelques années, n’ont plus la force de rester dans le programme et nous quittent.
En conclusion, je dirai que notre mission première est de savoir nous battre à l’intérieur des villages juifs et ce en coopération directe avec les citoyens et l’armée.