1967 - 2007
Quo Vadis Israël?

Major Général Jacob Amidror. Photo: Bethsabée Süssmann
Par Roland S. Süssmann
La victoire fulgurante d'Israël contre l'agression arabe du mois de juin 1967, la fameuse guerre des Six-Jours, est entrée dans les chroniques de l'histoire militaire comme un exploit unique en son genre. La stratégie et la tactique exemplaires déployées alors par Tsahal sont aujourd'hui enseignées dans les académies militaires du monde entier. Quarante ans après cette guerre, nous avons voulu comprendre dans quel contexte historique et militaire elle s'inscrit et surtout dans quelle mesure son issue a totalement transformé la situation sécuritaire d'Israël. Pour ce faire, nous avons demandé au Major Général JACOB AMIDROR, ancien Chef des renseignements militaires de Tsahal, de bien vouloir analyser ce sujet pour nous.

La première question qui se pose est en fait de savoir pourquoi cette guerre a eu lieu ?

La guerre des Six-Jours est un événement qui a été imposé par l'histoire. Après 1948, les États arabes rêvaient de détruire l'État d'Israël. En tant qu'État juif, nous étions obligés de passer par un certain nombre de guerres, par le biais desquelles nous devions démontrer clairement au monde arabe que leur rêve ne serait jamais concrétisé. Il était inévitable que nous soyons confrontés à des guerres dans lesquelles les Arabes tenteraient d'obtenir une victoire telle qu'elle permettrait l'anéantissement total de l'État d'Israël. Nous étions contraints de mener ces guerres de telle sorte qu'à leur issue, le monde arabe comprendrait de manière absolument limpide que la victoire qu'il souhaitait atteindre était simplement du domaine de l'impossible. Au lendemain des guerres de 1967 et du Kippour en 1973, chaque dirigeant au Moyen-Orient savait que les chances d'exterminer l'État juif en utilisant la force militaire étaient totalement nulles et inexistantes. Lorsque je dis que ces guerres nous étaient imposées par l'histoire, j'entends que celles-ci étaient la conséquence directe de la guerre d'Indépendance de 1948 à l'issue de laquelle il n'était pas clairement établi que l'État d'Israël avait été fondé pour exister et perdurer.

Pensez-vous que les résultats de la guerre des Six-Jours, surtout sur le plan territorial, ont aujourd'hui encore l'importance qu'ils avaient au lendemain du conflit ?

Non, car du fait que nous avons signé des accords de paix avec les Égyptiens et les Jordaniens, nous n'avons pas besoin, pour l'instant, d'être préoccupés par l'établissement éventuel d'une coalition militaire entre ces deux pays destinée à nous attaquer. Nous pouvons compter sur une certaine tranquillité, que je qualifierais même de stable pour le moment, sur nos frontières orientales et occidentales. Le monde arabe n'est plus le même qu'il y a 40 ans. L'une des conséquences de la guerre de juin 1967 est la disparition de Nasser et à ce jour, il n'y a plus de leader arabe qui à lui seul serait suivi par l'ensemble des autres nations arabes pour se lancer dans une aventure militaire contre nous. A cela s'ajoute le fait qu'actuellement, ce ne sont plus nos voisins directs qui jouent un rôle déterminant au Moyen-Orient, mais des pays plus éloignés, comme l'Iran. La situation actuelle ne doit donc pas être mesurée avec l'appréciation du lendemain de la guerre des Six-Jours, mais il faut bien comprendre l'importance de ce conflit à l'époque. En 1967, nous sommes partis en guerre alors que la situation territoriale nous était des plus défavorables; en 1973, nous avons engagé les combats en étant désavantagés militairement et dans les deux cas, nous avons remporté une victoire fulgurante. N'oublions pas qu'après la guerre de 1967, aussi incompréhensible que ce soit, certains dirigeants arabes avaient encore l'illusion de pouvoir nous détruire militairement. Or le fait que nous ayons eu un territoire exigu et que nous ayons subi l'attaque surprise massive de 1973 ne nous a pas empêchés de remporter des victoires importantes. Quitte à me répéter, je dirai que l'acquis principal de ces deux guerres réside dans le fait que nous avons apporté la preuve que malgré deux handicaps très sévères et contre toute attente, Israël est et sera à même de continuer à exister quelles que soient les coalitions arabes qui pourront être formées pour nous annihiler.

Telle était la situation au lendemain de la guerre en 1967. Mais aujourd'hui, la réalité sur le terrain est bien différente. Comment l'analysez-vous ?

Effectivement, il y a plusieurs éléments à prendre en compte: l'Iran, le Hezbollah et le fait qu'avec les Accords d'Oslo, Israël a commis une erreur majeure en amenant les capacités militaires de l'OLP sur notre territoire même. Souvenons-nous qu'après la guerre du Liban de 1982, nous avions réussi à les bannir de la région et à les exiler en Tunisie. De plus, nous avons abandonné volontairement un certain nombre d'avantages territoriaux. Nous avons estimé qu'il était plus important d'avoir un accord de paix avec l'Égypte que de contrôler la péninsule du Sinaï. Dans le cadre de ce traité, nous avons conclu des arrangements militaires qui, si les accords ne sont pas tenus par l'Égypte, risquent de rendre notre situation de défense plus difficile. Pour un accord politique, nous avons pris le risque de perdre la zone tampon entre Israël et l'Égypte. Aujourd'hui, le Sinaï est artificiellement démilitarisé et une force de paix sous l'égide des États-Unis y est stationnée, bien que cette région reste totalement sous la souveraineté de l'Égypte. Cet accord avec les Égyptiens a constitué un premier pas vers une amélioration des relations avec d'autres pays arabes au Moyen-Orient et dans cet esprit, cet accord semble être positif en soi. D'ailleurs, il est intéressant de constater que les Égyptiens mettent un point d'honneur à remplir la majorité des conditions de l'accord dans ses plus petits détails. Ce traité a ouvert les portes vers des négociations avec la Jordanie, qui ont abouti à un traité de paix, et nos relations avec certains pays du Golfe se sont améliorées. Il s'agit là de deux points qui ne se seraient jamais matérialisés si nous n'avions pas pu concrétiser cet accord avec l'Égypte. Je pense même que tant que ce pays se tiendra aux termes conclus comme il le fait aujourd'hui, nous pouvons envisager une évolution positive à moyen et à long terme.

Pensez-vous que l'islamisation rampante qui ronge l'Égypte puisse avec le temps remettre en question les accords signés avec Israël ?

Je vous répondrai en citant le président Moubarak qui a récemment déclaré que les Frères musulmans et les mouvements extrémistes constituent un danger tant pour les intérêts de l'Égypte que pour ceux d'Israël. Nous espérons que les Égyptiens trouveront le moyen d'endiguer cette menace. Lorsque les circonstances changent complètement, l'on est toujours obligé de réévaluer la situation. Si une révolution devait avoir lieu en Égypte, tout le Moyen-Orient serait confronté à une nouvelle donne et nous serions contraints de réagir en fonction. Cela étant dit, il est vrai que l'Égypte reçoit un armement important, moderne et sophistiqué des Américains. Or comme vous le savez, l'un des prix que nous avons payé pour signer les accords de Camp David était justement que nous acceptions l'armement de l'Égypte. Le financement de ce dernier est directement lié à l'aide américaine à Israël et les budgets pour les deux pays sont votés en même temps par le Congrès. Je pense qu'aujourd'hui Israël pourrait facilement renoncer à une partie de l'aide économique américaine, ce qui entraînerait une réduction de l'aide militaire égyptienne. Nous partageons la crainte du président Moubarak qui estime que si les Frères musulmans venaient au pouvoir et devenaient maîtres de tout cet important arsenal, nous nous retrouvions tous dans une situation très dangereuse.

Vous nous avez parlé de l'évolution positive des relations avec certains pays du Golfe, mais existe-t-elle aussi avec l'Arabie saoudite ?

Nos relations avec ce pays ne sont pas bonnes, toutefois les Saoudiens comprennent que la stabilité au Moyen-Orient peut exiger parfois qu'Israël entreprenne certaines actions. Ainsi, lorsque la Syrie et l'Iran ont condamné la guerre contre le Hezbollah, qui n'avait pas été initiée par Israël, l'Arabie saoudite n'a pas autorisé que la Ligue Arabe condamne l'État d'Israël. Les Saoudiens ont très bien compris qu'il est également dans leur intérêt de s'opposer aux mouvements radicaux, ils ne participent d'ailleurs pas au financement du Hezbollah. Mais le régime saoudien n'est pas à une contradiction près et, bien qu'il soit totalement opposé au radicalisme chiite, il encourage le radicalisme sunnite, le finance et lui apporte différentes formes de soutien dans l'ombre. Cela dit, nous n'entretenons pas de relations amicales avec l'Arabie saoudite mais dans certains domaines, nous avons des intérêts communs. Toutefois, à ce jour, aucune action commune n'a été entreprise.

Comment évaluez-vous la situation par rapport à la Syrie ?

En ce qui concerne ce pays, je constate que la situation qui prévalait en 1967, où la Syrie était l'une des forces motrices qui poussait à la destruction de l'État juif, n'a pas changé. Rien n'indique que Damas soit disposée à accepter des arrangements militaires et sécuritaires du type de ceux que nous avons conclus avec l'Égypte. Pour moi, il est donc clair que nous ne pouvons pas nous engager avec la Syrie dans des négociations dans le même esprit que nous l'avons fait avec les Égyptiens. D'ailleurs, les conditions sont totalement différentes. Nous ne pouvons en aucun cas envisager d'abandonner notre contrôle sur le Golan sans conclure des arrangements sécuritaires extrêmement significatifs, ce que les Syriens ne sont en aucun cas disposés à accepter.

Pensez-vous qu'il existe une perspective de paix avec la Syrie sans qu'Israël abandonne le Golan ?

Je ne pense pas. Mais le jour où les Syriens seront disposés à prendre des mesures sérieuses, à savoir l'abandon total de soutien aux organisations terroristes et l'acceptation d'arrangements sécuritaires qui nous permettront d'avoir la possibilité de nous défendre, nous pourrions être plus flexibles en ce qui concerne certaines zones du plateau du Golan. En définitive, afin de pouvoir se défendre correctement, Israël doit absolument garder le contrôle de la partie occidentale du Golan. Si des négociations s'engagent, elles doivent aboutir avec des arrangements sécuritaires qui ne laissent à la Syrie aucune chance d'attaquer Israël. Ceci implique la réduction des forces syriennes, un contrôle de leur système d'armement, une présence militaire israélienne sur le Hermon et beaucoup d'autres choses. Je ne crois pas que ce genre d'accord soit envisageable à court ou à moyen terme et par conséquent, Israël n'a aucune raison d'abandonner les hauteurs du Golan sans avoir obtenu des garanties fiables à cent pour cent qui lui permettront de se défendre si l'accord devait être violé.

Parler de la Syrie implique d'évoquer le problème du Liban. Comment pensez-vous que la situation va évoluer au pays des Cèdres ?

Les Libanais doivent décider s'ils veulent devenir un petit Iran ou s'ils souhaitent être partie intégrante du monde libre. S'ils veulent être un petit Iran, c'est assez simple, il suffit de laisser Nassrallah prendre le pouvoir. Si toutefois ils veulent faire partie du monde occidental, il faut que les Sunnites, les Druzes et les Chrétiens gagnent définitivement le pouvoir car ensemble, ils peuvent conduire le Liban vers un pays ouvert et prospère. Ce n'est pas à Israël de décider. Toutefois, il faut savoir que la situation actuelle est le résultat d'un grave échec de la communauté internationale. Elle a refusé le maintien de la présence israélienne au Liban et la destruction du Hezbollah. C'est vrai que nous avons lancé l'offensive terrestre avec beaucoup de retard, mais nous l'avons fait et nous étions en bonne voie pour en finir avec le Hezbollah. Malheureusement, nous avons été stoppés et le monde nous a promis de désarmer Nassrallah. Or, comme les services de renseignements israéliens l'avaient prévu, rien de tout cela n'a été fait. Les promesses de la communauté internationale sont simplement restées lettre morte. Le flux des armes à destination du Hezbollah en provenance d'Iran est ininterrompu et des Katiouchas, des roquettes et des missiles de tous genres continuent d'être importés en masse via la Syrie. En fin de course, le Hezbollah sera un État dans l'État, comme c'était le cas avant la Seconde guerre du Liban. Ce pays est un État indépendant et nous ne pouvons pas l'empêcher de se suicider. Mais bien entendu, en cas d'attaque, nous réagirons avec la plus grande fermeté. Il ne fait aucun doute qu'à court ou à moyen terme, le Hezbollah voudra utiliser l'armement dont il dispose.


Comment considérez-vous la situation d'Israël par rapport aux Arabes palestiniens qui vivent en Judée et en Samarie ?

Avant de vous répondre de manière précise, je voudrais vous proposer de m'accompagner pour un court instant dans une réflexion hypothétique. Admettons que la guerre des Six-Jours n'ait pas eu lieu. Que se serait-il passé à Gaza et en Cisjordanie ? Je pense que les Égyptiens n'auraient jamais accordé les moindres droits aux palestiniens. En Jordanie, nous aurions assisté à une détérioration de la situation dans le cadre de laquelle la population palestinienne, qui constitue la vaste majorité de ce pays, y compris celle qui vit en Cisjordanie, aurait pris le pouvoir et le royaume Hachémite n'aurait probablement plus existé car il aurait été incapable de combattre efficacement la pression interne. D'une certaine manière, la guerre de 1967 a sauvé ce royaume et évité l'établissement d'un État palestinien. Nous ne pouvons pas savoir si la situation aurait été meilleure ou pire pour Israël. Mais envisageons pour une minute l'existence d'un État palestinien entretenant d'excellentes relations avec la Syrie et l'Irak, dont la frontière commune se trouverait, comme c'était le cas avec la Jordanie jusqu'au 4 juin 1967, à ? Kfar Saba. Je ne suis pas persuadé que la situation militaire pour Israël aurait été tellement plus simple.
Pour en revenir à l'actualité, il ne fait aucun doute que la réalité sur le terrain s'est détériorée après les Accords d'Oslo, puisque nous avons invité les capacités militaires des Arabes palestiniens à s'installer dans les territoires. Par conséquent, nous n'avons pas de partenaire et l'OLP déclare à qui veut l'entendre que sa «modération» pendant les négociations n'avait qu'un seul but: obtenir par le dialogue ce qu'elle n'avait pu gagner par la force. D'ailleurs, cette réalité est bien démontrée par la situation à Gaza. Nous avons complètement vidé les lieux et les autorités locales ont donc eu tout pouvoir pour construire quelque chose de viable. Or ils se sont contentés de tout détruire et ce simplement en raison de la corruption interne, de l'absence totale de volonté de construire un État qui devrait coexister aux côtés d'Israël. De plus aujourd'hui, ils construisent à Gaza un mini-Liban et il ne fait aucun doute qu'à un moment donné, ils utiliseront les armes dont ils disposent. Je pense qu'une intervention de Tsahal à Gaza est inévitable. Pour l'instant, il est plus sage de notre part de ne pas intervenir dans les combats inter-palestiniens. Il faut bien comprendre que si Israël doit retourner à Gaza, il ne reconstruira pas Goush Katif, mais n'aura d'autre choix que de s'y installer militairement pour une très longue période afin de démolir sur le terrain même toute la force militaire du Hamas. Afin d'illustrer mes propos, je vous poserai la question de savoir pourquoi nous n'avons pas d'attaques aux roquettes Kassam sur Kfar Saba, situé à 700m de Kalkyliah, dont le maire est un élu du Hamas ? La réponse est très simple: nous contrôlons le terrain, nous combattons les terroristes dans cette région et nous ne leur laissons aucune possibilité de s'organiser pour avoir accès à des Kassam. Il n'y a aucune différence entre les Arabes palestiniens qui vivent à Kalkyliah et ceux qui sont à Gaza. Toutefois, les circonstances sont totalement différentes d'un endroit à l'autre puisqu'à Gaza, nous n'avons aucun contrôle sur le terrain même.
Je rappellerai ici qu'en 2002, nous avions 132 attaques terroristes par mois et en 2006, il y en a eu 11 pour toute l'année ! Nous avons donc remporté une victoire contre les organisations terroristes opérant en Judée et en Samarie. Toutefois, il s'agit d'une victoire qui, pour être permanente, exige une action constante de l'armée. Nous n'avons pas résolu le problème du terrorisme arabe, mais nous avons réussi à le réduire considérablement et à le contrôler. En fait, nous sommes dans une guerre continue et je ne le répéterai jamais assez, il n'existe qu'un seul moyen de la gagner: par le contrôle sur le terrain. N'oublions pas que la mauvaise situation actuelle, tant sur le plan politique que militaire, est la conséquence directe de la grave erreur qu'a été la signature des Accords d'Oslo.

En définitive, que veulent les Arabes palestiniens ?

Cela tient en un seul mot: «plus, plus et toujours plus». Quoiqu'on leur propose, la réponse et la tactique se résument ainsi: «c'est insuffisant, il faut nous donner plus». Le but final est clairement établi: le refus de l'existence d'un État juif souverain au Moyen-Orient.