Espoir

Elie Wiesel. (Photo: Bethsabée Süssmann)
Par Roland S. Süssmann
Une rencontre avec ÉLIE WIESEL ne laisse évidemment personne indifférent et passer une heure dans un dialogue intense avec lui constitue un moment privilégié, surtout lorsque celui-ci se déroule à Jérusalem. Au moment où le peuple juif se trouve à la croisée des chemins, où l’antisémitisme relève la tête en Europe et où, après la disparition de la scène politique d’Ariel Sharon une nouvelle ère historique s’ouvre en Israël à nouveau en guerre, nous avons pensé qu’il serait utile d’être guidés dans nos réflexions par un témoin de notre temps et du siècle qui a connu le plus grand crime commis contre le peuple juif et la renaissance de l’État hébreu.

Pouvez-vous en quelques mots nous donner votre sentiment et procéder à une rapide évaluation de l’état dans lequel se trouve le peuple juif aujourd’hui ?

Tout commence par l’espoir… et aboutit dans l’espoir. L’on peut facilement dire, et à juste titre, que notre génération est la plus privilégiée de l’histoire. Il n’y a jamais eu une génération telle que la nôtre. Quelques années après la pire des catastrophes, nous voilà dans un pays souverain. La souveraineté dans l’histoire juive n’a jamais été très longue, elle n’a jamais dépassé 80 ans, toujours en état d’urgence, menacée de toutes parts par les Babyloniens, les Romains, les Perses, etc. Aujourd’hui, nous avons un État fort et même riche. Lorsque l’un des plus grands financiers du monde décide d’investir quatre milliards de dollars en Israël, cela constitue une preuve de confiance indéniable. Psychologiquement, nous aurions dû être une génération morbide, il y avait assez de raisons pour cela. Après la destruction du Temple, nous l’étions. Or aujourd’hui, ce n’est absolument pas le cas. Il y a beaucoup de grandes choses qui se passent dans de nombreux domaines. Sur le plan militaire, Israël a fait des découvertes qui suscitent l’envie des grandes puissances. Sur le plan économique, scientifique et politique, aujourd’hui, en particulier en Amérique, les Juifs ont atteint des positions au plus haut niveau. Finalement, en Israël, nous avons connu l’attribution de quatre Prix Nobel d’affilée. De plus, tout le centre de la vie intellectuelle juive est à Jérusalem. Il y a beaucoup plus de yeshivoth aujourd’hui en Israël qu’il n’y en a jamais eu dans toute l’histoire. Bien entendu, il existe un autre côté, l’assimilation, qui, selon moi, ne représente pas un vrai danger pour nous. La question des mariages mixtes est très loin de constituer la majorité des couples juifs. Chaque Juif qui nous quitte nous fait mal, mais je peux vous dire que des milliers et des milliers de personnes viennent écouter mes conférences (n.d.l.r. et avec un petit sourire malicieux Élie Wiesel ajoute : «je me demande bien pourquoi ?»), et que je n’y ai jamais rencontré de Juif véritablement assimilé. Il faut bien comprendre qu’il existe une énergie dans le peuple juif et un élan vital dans l’histoire juive.
Si j’observe la place qu’occupe le peuple juif parmi les nations aujourd’hui, je constate que jamais dans l’histoire nos rapports avec les chrétiens n’ont été aussi féconds. Un rapide coup d’œil à l’histoire me fait penser à ce que les chrétiens ont fait aux Juifs pendant les Croisades, durant l’Inquisition et finalement les conséquences du silence de Pie XII durant la Shoa. Or aujourd’hui, grâce à l’action de Jean XXIII qui a été suivie par Jean-Paul II, le mouvement œcuménique est florissant. Rabbins et prêtres se rencontrent tout le temps, le dialogue est continu et les déclarations communes contre l’antisémitisme et pour Israël se multiplient. Les relations avec les chrétiens sont donc bonnes. Notre erreur a été d’oublier le troisième partenaire: l’islam. Nous aurions dû inviter ses représentants chaque fois qu’il y avait une conférence œcuménique. Cela étant dit, il ne fait aucun doute que l’islamisation constitue un véritable danger pour le monde entier et pas seulement pour Israël.

Vous nous parlez de l’excellence des relations entre le monde chrétien et les Juifs. Toutefois, lors de son voyage en Pologne, le pape Benoît XVI ne s’est pas arrêté au ghetto de Varsovie et à Auschwitz, il s’est contenté d’un certain nombre de déclarations pour le moins surprenantes, pour ne pas dire scandaleuses par rapport à la Shoa. Comment expliquez-vous cela ?

Tout d’abord, ceci n’enlève rien à la grandeur de Jean XXIII ni à la personnalité déplorable qu’était Pie XII. Je ne crois pas que ce voyage en Pologne affectera directement l’état actuel des relations judéo-chrétiennes. Il ne faut pas oublier que le Vatican est aussi une entité politique et que chaque geste est calculé et mesuré d’avance. Je ne sais pas qui sont les conseillers du nouveau pape. Le fait qu’il ne se soit pas arrêté au ghetto de Varsovie ne constitue pas un lapsus, mais bien un geste délibéré. Tout comme il a parlé de «six millions de Polonais» et si peu des Juifs, il a dit qu’Hitler «a voulu tuer tout le monde qui n’était pas pour lui… et aussi les Juifs». Or je pense que la spécificité de la Shoa existe et que l’on ne peut pas la nier, mais il l’a fait. De plus, il a parlé du «silence de D’»… Et le silence de Pie XII ? Pourquoi s’en prend-il à D’ ?

Vous venez d’évoquer les rapports des Juifs avec les chrétiens et les musulmans. Mais que pensez-vous des relations entre Juifs ?

Là encore, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Il est toujours utile de relire la Bible pour se rendre compte que les relations entre nous ne sont vraiment pas en notre honneur. Chaque peuple, lorsqu’il parle de ses ancêtres, le fait avec fierté. Nous non. Prenez par exemple ce que les enfants d’Israël ont fait subir à Moïse qui, pourtant, a tout fait pour leur bien. Depuis de nombreuses années, je suis persuadé qu’en interdisant à Moïse d’entrer en Terre sainte, l’Éternel ne lui a pas infligé un châtiment, mais lui a donné une récompense. De tout temps, nous avons été un peuple excité, exalté. Nous ne sommes pas neutres et depuis quatre mille ans, nous bougeons et bougeons en permanence. Heureusement, nos conflits internes sont en général de caractère idéologique et des débats d’idées. Par exemple, à l’époque du Talmud, il y avait Beith Shamaï et Beith Hillel, deux grands courants de pensées et d’études qui n’ont jamais été d’accord entre eux, sauf sur 18 points. Il n’en reste pas moins que ces deux maîtres s’aimaient et se respectaient énormément. Finalement, malgré les divergences de vues très profondes, ils savaient passer la main.

Et aujourd’hui ?

Ce qui est essentiel aujourd’hui, c’est en fait l’état des rapports qui existent entre Israël et la Diaspora. Je pense qu’au cours des années, ceux-ci ont quelque peu évolué. Au début, il y avait en Israël une profonde déception et une grande incompréhension face au fait que les Juifs de la Diaspora ne venaient pas tous s’y installer. Il est vrai qu’après 1948, il y a eu des grandes vagues d’alyah mais dans l’ensemble, les Juifs des États-Unis, d’Australie et même d’Europe ne sont pas vraiment arrivés. Un climat de «mépris», certes modéré, s’est installé entre les deux communautés. Le Juif israélien était un bon juif, alors qu’un Juif de la Diaspora qui donnait de l’argent était certes apprécié, mais la Diaspora dans son ensemble n’était pas respectée. Je me souviens que partout où il allait, Ben Gourion posait toujours la même question: «mais que faites-vous là ?». Pour ma part, j’ai toujours estimé qu’il était de mon devoir de ne pas répondre. Je n’ai jamais critiqué Israël en dehors du pays. Lorsque j’estime que quelque chose ne va pas, je viens à Jérusalem rencontrer le Premier ministre entre quatre yeux et lui dis le fond de ma pensée. Je ne ferai jamais un article dans un grand quotidien américain ou français dans lequel je critiquerai Israël. J’imagine trop bien la joie de nos ennemis, si je le faisais. Je sais qu’aujourd’hui, il y a des querelles, et des jalousies, mais je pense que toute forme de division constitue un danger pour nous tous. Il est vrai que je ne vis pas en Israël, mais je ne pourrais plus vivre sans Israël qui, non seulement fait partie de ma vie, mais en constitue la centralité. Cela étant dit, nous vivons à une époque où, hormis pendant la guerre des Six Jours, il n’y a jamais eu un tel rapprochement entre Israël et la Diaspora. Même pendant la guerre du Sinaï en 1956, les Juifs de la Diaspora ont gardé une certaine «neutralité». En fait, le peuple juif n’a simplement pas réagi. Ben Gourion était en colère, car aucun dirigeant juif ne s’était élevé pour défendre Israël. D’ailleurs, Ben Gourion voulait supprimer le mouvement sioniste et le remplacer par une association des amis d’Israël.

Pensez-vous que nous assistons aujourd’hui à un certain désintéressement de la jeunesse juive de la Diaspora par rapport à Israël et que celui-ci se traduit par une réduction du soutien financier ?

Je ne le pense pas, bien au contraire. Savez-vous que Théodore Herzl, après avoir vu le Sultan, aurait pu acheter toute la Palestine pour sept millions de dollars, qu’il n’a pas pu réunir bien qu’il ait été frapper aux portes des Juifs les plus riches du monde ? Puis, au début de l’État, il existait une passivité surprenante des Juifs du monde à l’égard d’Israël. Lorsque le pays obtenait un crédit d’un million de dollars, c’était la joie pour Jérusalem. Aujourd’hui, nous parlons de milliards, et d’énormes investissements se font dans le pays. Au début, les Juifs ne se rendaient presque pas en Israël, même pas en visite. Aujourd’hui, les hôtels sont pleins, bien que le nombre de touristes reste dans l’ensemble insuffisant. Mais l’histoire juive est longue, il faut un peu de patience. Je sais bien qu’en tant que Juifs, nous voulons vivre quarante huit heures par jour, mais il faut regarder la réalité en face et je pense que dans l’ensemble, nous sommes sur la bonne voie. Avant 1989, qui aurait pu imaginer qu’un million de Juifs en provenance d’URSS viendrait s’installer en Israël ?
Cela étant dit, je pense que nous sommes aujourd’hui face à un autre danger qui réside dans une certaine cristallisation. Les bons sont les meilleurs, mais les mauvais sont les pires. Par «mauvais», j’entends ceux parmi nous qui sont à l’extrême gauche et qui mènent la campagne contre Israël, contre le sionisme, en fait contre tout ce qui est juif. Malheureusement, dans tous les camps anti-israéliens, il y a toujours des Juifs qui détiennent des positions dominantes. Les non-juifs ont tout intérêt à les mettre en avant en disant: «même eux, qui sont juifs…». En général, ces gens-là sont très vocaux, écoutés et présents à toutes les tribunes. Ils sont invités parce qu’ils sont juifs et qu’ils osent dire du mal d’Israël. Bien entendu, je déplore leur influence. N’oublions jamais que nous devons être fiers d’Israël, fiers de l’histoire d’Israël et des réussites d’Israël dans tous les domaines.

Avec tout l’optimisme dont vous faites preuve, quel est à votre avis le plus grand danger auquel nous sommes actuellement confrontés ?

Il s’agit d’un problème international, mondial et juif: le fanatisme. Ce danger menace le monde entier et, comme toujours, nous y sommes associés. Dans nos rangs, il y a un fanatisme de gauche et de droite et même religieux.

Que peut-on faire pour le combattre ?

Il n’y a qu’un seul antidote: l’éducation à grande échelle. Nous devons créer des tribunes, des colloques, des journaux, et cela à tous les niveaux, y compris gouvernemental. L’autre danger, qui est parallèle, réside dans le fait que dans la Diaspora, nous manquons cruellement de dirigeants. Voyez-vous, pour former des dirigeants, il faut plusieurs générations. Or les leaders d’aujourd’hui ont été assassinés pendant la Shoa, à l’âge de 2 et 3 ans. Le monde n’a pas encore saisi les résultats et les conséquences de ce qui s’est passé. Des grands responsables comme par exemple le Gaon de Vilna ou le Besht (fondateur du hassidisme) ne se sont pas faits en un jour. Ils étaient le résultat d’une longue formation qui s’est étendue sur au moins une génération. Nous commençons à ressentir l’absence, l’absence due à la mort parce que l’on a tué ces enfants.

Comment voyez-vous l’évolution ?

Tout d’abord, il faut qu’il y ait une prise de conscience de la situation et des carences. Dans le monde de l’art, la faiblesse est transformée en force. Nous sommes un peuple qui a une imagination folle et extraordinaire. C’est notre histoire elle-même qui a hérité de cette imagination. Nous devons donc imaginer des remplaçants et trouver des solutions.

Que pensez-vous du développement de l’antisémitisme en Europe, où il est aujourd’hui politiquement correct de «pleurer avec un œil» sur la Shoa, en multipliant les commémorations, et de «pleurer avec l’autre œil» sur le sort des palestiniens, en fustigeant Israël ?

Il ne fait aucun doute qu’il y a un danger à court terme. A long terme, je suis plus optimiste puisque nous avons survécu à toutes les attaques subies au cours des millénaires depuis notre existence. Bien que le problème de l’antisémitisme soit grave en soi, il faut savoir que lorsque l’antisionisme déborde, il devient antisémitisme. A ce propos, je reviens sur la problématique des Juifs qui mènent campagne contre Israël et qui, en agissant de la sorte, donnent bonne conscience aux antisémites. D’ailleurs, je dois vous dire que le fait que l’antisémitisme existe encore constitue l’une de mes grandes déceptions. En 1945, j’étais profondément persuadé que ce fléau avait disparu à tout jamais. Combien j’avais tort. Car en fait, qui est antisémite ? Celui qui me hait avant ma naissance, qui déteste le Juif avant qu’il soit né et même le Juif mort. Les Allemands ne se sont pas attaqués aux morts, car ils haïssaient les Juifs vivants. Mais ce qui caractérise l’antisémitisme, ce ne sont pas les attaques contre les cimetières, mais la haine violente du Juif pour ce qu’il est.
D’ailleurs, à cet égard, je ne cesse de répéter combien il faut prendre au sérieux le président iranien qui répète à qui veut l’entendre «qu’il n’y a pas eu de Shoa… mais qu’il y en aura une».

Après tout ce que vous avez vécu, en particulier pendant la Shoa, d’où prenez-vous cet optimisme débordant et communicatif qui vous caractérise ?

Si je ne suis pas optimiste, je risque de tomber dans un pessimisme noir. C’est parce que je refuse cet abîme que je m’accroche à l’espérance. Je dois aussi agir de la sorte pour la jeunesse. Une étude m’a appris que la majorité de mes lecteurs est avant tout jeune. Je n’ai pas le droit de les désespérer. Je n’ai jamais remis un manuscrit à un éditeur avant d’y avoir trouvé une étincelle d’espoir. Le plus noir de mes romans est «L’Oublié», que j’ai gardé dans mes tiroirs pendant très longtemps: il s’agit de la maladie d’Alzheimer. Finalement, j’ai trouvé le moyen d’y introduire un message d’espoir en parlant de cette transfusion de mémoire. Je pourrais si facilement évoquer le désespoir. Il y a beaucoup de raisons d’être pessimiste, mais il y en a tellement d’autres d’être confiant, surtout pour Israël. Voyez-vous, je suis beaucoup plus pessimiste au sujet du monde qu’en ce qui concerne Israël. Le monde est malade, la violence continue, au Darfour, en Somalie, etc. Un jour, l’Iran et d’autres régimes dangereux auront la bombe atomique. N’oublions pas que dans l’ancienne URSS, il y a des bases atomiques qui sont gardées par des personnes qui pourraient être achetées. Dans le cadre de ma fondation, nous organisons régulièrement des colloques. Cette année encore, nous avons eu une conférence à Pétra, ensemble avec le roi Abdallah et la reine, qui a réuni 25 lauréats du Prix Nobel. L’un de mes «collègues» m’a demandé autrefois quelle était ma plus grande préoccupation du moment et je lui ai répondu: «le terrorisme nucléaire». Il m’a expliqué que j’avais tort car tout ce qui est nucléaire est détectable, alors que les armes biologiques, elles, ne le sont pas. La question qui se pose donc aujourd’hui est de savoir comment sauver le monde de sa propre destruction. Je n’ai pas de réponse directe, mais je crois fermement que ce qui se passe aujourd’hui est directement lié à la Shoa. Le fait est que le monde n’a pas été puni pour la Shoa. Il a toutefois été puni en laissant assassiner un million et demi d’enfants. Parmi eux se trouvaient des futurs Prix Nobel de médecine, de chimie etc. qui, par exemple, auraient pu inventer un médicament contre le cancer ou des armes adéquates pour contrer les armes chimiques ou biologiques qui nous menacent aujourd’hui. Tout ce qui se passe maintenant dans le monde, inconsciemment et mystérieusement, est le châtiment de la Shoa.

Au sujet de la Shoa, il y a une question que beaucoup de personnes se posent: pourquoi les Juifs ne se sont-ils jamais vengés physiquement ?

Cela aurait été trop facile. On ne liquide pas un tel problème en tuant les coupables. Cela aurait permis de tourner la page, cela aurait été la porte ouverte à l’oubli. Le châtiment du coupable, c’est notre mémoire, et la création de l’État d’Israël, c’est aussi un produit de la mémoire.

Pendant notre entretien, vous avez rappelé que fin juin 2006, vous avez organisé, ensemble avec le roi Abdallah et la reine, une conférence à Pétra qui a réuni 25 lauréats du Prix Nobel. Au cours de celle-ci, un petit déjeuner mondialement médiatisé entre le Premier ministre israélien Éhoud Olmert et Mahmoud Abbas, s’est déroulé dans une atmosphère constructive et prometteuse. Or, moins d’un mois plus tard, le 12 juillet, une agression arabe contre Israël a à nouveau été déclenchée. Que pensez-vous de ce renversement radical de la situation ?

J’accuse le Hamas et le Hizbollah, les deux mouvements totalitaires et terroristes les pires du monde aujourd’hui, d’avoir gâché toutes les promesses. Quelque temps après le début de la guerre, une grande manifestation officielle de soutien à Israël s’est tenue à New York, à laquelle un grand nombre de personnalités du monde juif et non-juif de tous les horizons ont participé, dont Hillary Clinton. Quelques jours après, un journaliste du Times m’a téléphoné et m’a demandé pourquoi, au cours de cette manifestation, le mot «paix» n’avait pas été mentionné une seule fois. Il était d’autant plus étonné de ce fait qu’en ma qualité de lauréat du Prix Nobel de la Paix, je n’avais pas non plus prononcé ce terme. Je lui ai dit qu’il fallait bien se rendre compte que jamais la paix ne m’a semblé aussi éloignée qu’aujourd’hui.

Dans ces conditions, la question qui se pose est: où est l’espoir ?

Je pense qu’il est important de rappeler que l’hymne national d’Israël s’appelle justement «Hatikva» - l’espoir, dont la phrase essentielle, «notre espoir n’est pas encore perdu» (Od Loh Avdah Tikvaténou), est en opposition totale avec un verset du livre d’Ézéchiel disant que les anciens d’Israël estimaient que notre espoir était perdu. Or 2500 ans plus tard, nous venons contredire cette affirmation. L’espoir, c’est l’air que nous respirons, c’est le rêve que nous faisons, c’est le pain que nous mangeons. Pour l’instant, la situation est très grave, car nous voyons qu’un petit groupe d’assassins influence l’histoire pour la rendre meurtrière. Leur première victime est le Liban qui, bien que n’ayant pas de paix signée avec Israël, a toujours vécu en bonne entente avec l’État hébreu. Le Hezbollah s’est emparé du Liban et en a provoqué la destruction.

Dans cette situation, quel est notre devoir à nous, Juifs de la Diaspora ?

Notre première responsabilité est de nous assurer qu’Israël ne se sente ou ne soit jamais seul. Nous devons en permanence manifester notre solidarité avec Israël et, malgré tout, garder un peu d’imagination pour que, finalement, la paix soit.

Pensez-vous que nous payons aujourd’hui les illusions engendrées par les Accords d’Oslo, le retrait précipité du Liban en 2000 et le désengagement de Gaza qui, en fait, s’est résumé à la liquidation des villes et des villages juifs de cette région ?

Je ne voudrais pas m’ériger en juge par rapport aux actions passées des gouvernants d’Israël. Je ne suis pas Israélien et par conséquent j’accepte ce que font le pays, le peuple et le gouvernement d’Israël. Cela étant dit, je dois constater les faits suivants: après Oslo, Israël a subi l’Intifada et les attaques des bombes humaines; après l’évacuation du Sud-Liban, Israël a récolté la situation actuelle, avec les attaques aux roquettes; finalement, après l’évacuation de Gaza, il y a eu l’élection du Hamas et la pluie de fusées Kassam sur le sud d’Israël. Alors la question qui se pose est de savoir si chaque fois qu’Israël fait un geste généreux, vraiment très généreux, il récolte la violence. Je rappellerai ici qu’Ariel Sharon voulait que deux pays puissent vivre côte à côte sur cette terre et que cette idée a été reprise dans les mêmes termes par Éhoud Olmert. Or pour toute réponse, Israël a eu droit à l’enlèvement de soldats. Il faut bien comprendre que cet acte lâche et sans héroïsme constitue une atteinte à la dignité de la nation. Comment un pays pourrait-il encore prétendre à un minimum de dignité s’il acceptait sans réagir que ses soldats, qui sont sensés le protéger, soient enlevés ? Ces kidnappings sont une provocation et Israël a réagi comme il le devait.

Quel est votre message à la jeunesse ?

Elle doit se sensibiliser en particulier au destin juif. Il n’appartient pas à tout le monde de faire l’histoire, mais il nous incombe d’y participer. N’oublions jamais que nous sommes Juifs parce que nous sommes humains et humains parce que Juifs.

Pour terminer, avez-vous un message spécial de Roch Hachanah pour les lecteurs de SHALOM ?

Je souhaite que toutes nos prières soient reçues. Celles qui nous concernent personnellement, celles qui concernent ceux que nous aimons et qui nous aiment. Et que ceux parmi lesquels nous vivons nous respectent plus et mieux. Au vu des événements tragiques que nous vivons, la question peut donc se poser de savoir dans quel esprit nous pouvons aborder la nouvelle année. Je crois que la réponse se trouve dans cette phrase magnifique: «Que l’année qui s’en va emporte ses malédictions – et que l’année nouvelle commence avec ses bénédictions.»