Les arbres et la forêt | ||
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Par Emmanuel Halperin, notre correspondant à Jérusalem | ||
Ni Sparte - ni Athènes: la société israélienne se relève de l’épreuve douloureuse de l’été 2006 en cherchant ses marques. Elle comprend que les deux modèles, quelque peu mythiques, de l’antiquité grecque ne sauraient s’appliquer à elle: elle est, fort heureusement, devenue libre, ouverte et prospère, fort loin de l’idéal spartiate; elle reste, malheureusement, fragile et menacée, plus en butte aux mauvaises qu’aux bonnes surprises, et donc loin encore de la tranquille assurance athénienne. Il y a donc eu la guerre. Il n’y en a pas de bonne ni de propre. Et tout a été dit, et sera cent fois redit, sur les échecs, les insuffisances, les fautes de l’armée israélienne, sur les dysfonctionnements dans la prise de décisions, aussi bien au niveau gouvernemental que sur le terrain des opérations. Sans parler des interrogations de fond, non point sur le bien-fondé de la réaction israélienne aux provocations de l’Iran et de la Syrie par le truchement du Hezbollah – car il est entendu que cette action était parfaitement légitime – mais bien sur sa pertinence, au lieu et au moment choisis. Il faut cependant du recul, parfois des années de recul, pour juger les conséquences à propos, pour peser les éventuels acquis d’une campagne militaire. L’échec apparent – mais en vérité la victoire écrasante – d’Israël face à l’agression conjuguée de l’Égypte et de la Syrie en 1973 n’a-t-il pas débouché sur un traité de paix avec les Égyptiens, qui tient toujours ? Les arbres trop souvent cachent la forêt. Lorsque l’équipe dirigeante israélienne sort fragilisée de l’aventure libanaise et que l’opinion s’interroge avec inquiétude sur les capacités de l’armée, il est bien sûr prématuré de dresser un bilan raisonné. On peut cependant dégager quelques enseignements utiles et à bien des égards positifs. On n’a pas suffisamment noté qu’au-delà des condamnations automatiques, des images accusatrices, des anathèmes haineux, Israël, pour la première fois depuis les années 60, ne s’est pas trouvé sur le banc des accusés, mais bien dans le camp des accusateurs. Lorsqu’une institution aussi hostile à Israël que les Nations Unies, par son organe le plus important et le plus efficace, le Conseil de Sécurité, adopte à l’unanimité une résolution qui justifie toutes ou presque toutes les thèses défendues par Jérusalem, c’est là un résultat que nul n’osait espérer avant le déclenchement des hostilités. On peut faire la fine bouche devant telle ou telle formulation de la résolution 1701, destinée à ménager les susceptibilités du monde arabo-musulman. Il n’en demeure pas moins que l’Europe, la Russie, la Chine, les États sunnites qui sont l’essentiel du monde arabe, ont clairement montré du doigt les coupables, les semeurs de troubles, les fauteurs de guerre. Israël se trouve aujourd’hui au sein de cette coalition d’intérêts, aux premières loges, en première ligne certes, mais loin de cette quasi solitude qui était la sienne sur la scène internationale jusqu’en 2006. La menace iranienne, depuis longtemps connue des États, est désormais au premier plan des préoccupations de l’opinion dans le monde, et la réprobation médiatique d’Israël est essentiellement de l’ordre du réflexe conditionné. On n’a peut-être pas insisté non plus sur la formidable démonstration de force de l’armée israélienne. Apparemment une petite organisation terroriste a su tenir tête pendant plus d’un mois à une puissante machine militaire, réputée invincible. Certains ont cru pouvoir affirmer que ce semi échec avait fait perdre à l’armée du peuple juif sa force de dissuasion. Il n’en est rien. Les États voisins savent parfaitement qu’une petite partie de la puissance de feu a été déployée; que l’aviation, qui n’a perdu aucun avion de combat, n’aurait été utilisée qu’au dixième de ses capacités; que la mobilisation des réservistes est restée très limitée et que leur engagement l’a été encore plus. Les pertes énormes essuyées par le Hezbollah, en infrastructures, en matériel, en hommes sont un coup extrêmement dur pour ses commanditaires et donnent enfin au Liban l’occasion – mais la saisira-t-il ? – de rétablir sa souveraineté. Il faut particulièrement noter la destruction massive des fusées à longue portée, véritable tour de force de l’aviation israélienne et exploit sans précédent dans les annales militaires. Non, la guerre a été, pour ceux qui savent voir et dont c’est le métier, une preuve supplémentaire de la supériorité manifeste de l’armée israélienne. Sans doute, il y a tout le reste, tout ce qui n’a pas fonctionné: les renseignements, insuffisants en temps réel; l’extrême difficulté à trouver une parade aux roquettes de faible et de moyenne portée, dont près de 4000 ont touché le territoire israélien avec des conséquences désastreuses; la vulnérabilité des chars d’assaut Merkavah, disposant pourtant d’un blindage considéré comme le meilleur au monde, face aux fusées antitank du Hezbollah; les problèmes de coordination et d’approvisionnement. Tout cela est désormais connu, dans le détail, jusqu’au niveau du simple soldat, et sera analysé par les diverses commissions d’enquête. Il va de soi que l’armée n’était pas suffisamment préparée, mobilisée qu’elle était depuis des années dans la lutte contre le terrorisme palestinien. Mais y a-t-il eu une seule armée au monde, à l’exception sans doute de celle de Sparte et de l’armée prussienne, deux machines de conquête, qui se soit engagée dans une campagne déclenchée du jour au lendemain dans un état de parfaite préparation ? Les exemples contraires sont légion, des deux guerres mondiales à tous les conflits des cinquante dernières années. Paradoxalement c’est dans une certaine mesure une chance que d’avoir pu prendre conscience des défauts et des défaillances dans le cadre d’un conflit limité, c’est une chance que d’avoir désormais le temps de se préparer en toute connaissance de cause au round suivant. Car c’est le sentiment général, au lendemain de cette épreuve: il faudra une fois de plus, d’une manière ou d’une autre, recourir un jour prochain à la force, à la suite de nouvelles provocations. Nul ne se fie en Israël à un désarmement du Hezbollah réalisé par l’armée libanaise, en grande partie chiite, et par la FINUL, qui annonce d’avance que ce n’est là ni sa mission ni son intention. Nul ne doute non plus de la volonté de l’Iran de maintenir coûte que coûte ce front contre l’Occident, pour le jour où… pour le grand jour. Le but de tout gouvernement israélien désormais, quelle que soit sa composition, sera de préserver autant que possible les acquis de cette guerre: maintenir l’unité d’intérêt avec les États-Unis, l’Europe et l’essentiel du monde arabe, et faire en sorte que l’avant-garde iranienne au Liban demeure considérablement affaiblie. Ce qui permet de regarder l’avenir immédiat avec confiance, c’est la remarquable tenue de la société et de l’économie israéliennes, cette capacité, dont très peu de pays disposent, de débattre de tout sur la place publique, de faire la part des responsabilités, de panser rapidement les plaies et d’aller de l’avant. |