Le Musée du Palmach | |
Par Roland S. Süssmann | |
Israël regorge de musées, il en existe cinquante-quatre à travers le pays et chacun mérite qu'on lui consacre un ou plusieurs articles. Aujourd'hui, nous avons décidé de visiter un endroit qui, bien qu'il porte le nom de «musée», constitue avant tout un lieu de mémoire et d'information, le Musée du Palmach de Tel-Aviv, qui dépend du Ministère de la Défense. Mais afin de nous préparer à la visite du musée et sans nous lancer dans un cours d'histoire, un petit rappel sur ce qu'était le Palmach s'impose. Yigal Allon, Moshé Dayan, Rehavam Ze'evi (Ghandi), Itzhak Rabin, Haim Bar Lev et Ezer Weizman symbolisent chacun individuellement l'héroïsme juif de l'histoire de la renaissance de l'État d'Israël. Tous étaient des membres dirigeants de ce groupe et tous ont par la suite joué un rôle de premier plan dans la création et le développement de l'armée de défense d'Israël, Tsahal, sans parler de leurs actes de bravoure dans le cadre des activités de la Haganah et pendant la Guerre d'Indépendance. Mais qu'était exactement le Palmach ? Abréviation pour «Pelougoth Makahaz» (groupes d'assaut), le Palmach a été créé par la Haganah à la demande de la Grande-Bretagne le 19 mai 1941, alors que les forces de l'Axe étaient sur le point de se rapprocher de manière dangereuse de la Palestine. Sous le commandement d'Itzhak Sadeh et de son second, Yigal Allon, cette unité spéciale était subdivisée en 12 brigades qui déployaient leurs activités dans l'artillerie (missions de commandos, sabotages, infiltrations, etc.), dans la marine (Palyam) et même, dans une certaine mesure, dans l'aviation. En effet, sous le couvert d'un club aéronautique civil, des pilotes étaient entraînés pour participer à de nombreuses opérations militaires. Devant le danger imminent d'une invasion allemande, cette unité spéciale a bénéficié au début de son existence du soutien logistique et financier de la Grande-Bretagne, qui pensait ainsi établir une sorte de front intérieur au cas où les forces de l'Axe réussiraient à entrer en Palestine. A cet égard, il est intéressant de rappeler que les membres du Palmach sont intervenus pour des missions de commandos contre les forces allemandes, italiennes et françaises de Vichy, en Syrie, au Liban et en Palestine même. Mais dès le danger passé et en raison de sa sympathie pro-arabe, la Grande-Bretagne n'avait plus aucun intérêt à voir des Juifs armés et bien entraînés dans une région où, sous son mandat, les relations entre les populations locales étaient des plus tendues. Elle a donc mis un terme à son soutien et demandé à ce que le Palmach soit dissout. Mais les hommes et les femmes qui constituaient cette unité d'élite étaient très conscients de la nécessité pour les Juifs de disposer d'une force d'autodéfense aguerrie aux techniques des commandos. Ils se sont alors intégrés dans la Haganah afin de participer à la lutte clandestine contre les forces britanniques. En raison du manque de fonds, les membres du Palmach avaient décidé de travailler deux semaines par mois dans des kibboutzim afin de financer l'entraînement et de s'adonner aux autres activités requises le reste du temps. Les membres de cette unité spéciale ont joué un rôle primordial dans la libération du pays en général et celle de Jérusalem en particulier. Mais revenons au Musée du Palmach. En fait de musée, à première vue, le visiteur risque d'être assez déçu car il n'y a pas de salles d'expositions, pas de vitrines, pas de documents bref, aucun objet d'époque. Toutefois, il est invité à vivre une expérience de 90 minutes au cours de laquelle il est totalement immergé dans une action historique relatée en trois dimensions, dont il devient partie active et intégrante. La première salle est consacrée au souvenir des 1'135 soldats du Palmach morts au combat pour la création de l'État d'Israël. Cette salle sombre aux murs couverts de plaques rappelant les noms de ces héros donne le ton de la visite. Puis «l'aventure» commence. Le visiteur se retrouve dans une forêt où un commandant reçoit les jeunes volontaires qui, progressivement, deviendront des soldats. Chacun se présente, raconte sa vie, ses aspirations, ses rêves et écoute les instructions de «Amnon», leur commandant à peine plus âgé qu'eux. Dès ce moment-là, nous suivons cette petite unité à travers son entraînement militaire, dans sa première grande mission, une opération entrée dans l'histoire comme «la nuit des ponts». Le 17 juin 1946, le Palmach a fait sauter 11 ponts qui reliaient la Palestine aux pays avoisinants. Personne n'a été fait prisonnier, mais 14 volontaires y ont perdu la vie. Le spectateur est ensuite intégré, avec un membre du groupuscule formé dans la forêt, dans une unité spéciale chargée d'écumer les camps d'Europe pour ramener illégalement des survivants en Israël. Là, il se retrouve dans le ventre d'un bateau d'immigrants illégaux attaqué par la flotte et l'aviation britanniques. La visite se termine dans un amphithéâtre rond aux sièges tournants, où le spectateur est emmené à travers un film historique en noir et blanc de la Guerre d'Indépendance vers la constitution de l'État. Le moment le plus fort du spectacle ne dure en fait qu'une petite seconde, lors du passage de la fin de la guerre en noir et blanc à une photo aérienne de Tel-Aviv et de Jérusalem d'aujourd'hui, en couleurs, sur laquelle se déroulent les 1'135 noms des Palmachnikim tombés au combat. En un clin d'½il, le visiteur mesure le chemin parcouru par l'État juif depuis sa création à ce jour. L'histoire de l'héroïsme juif des membres du Palmach est relatée de manière extraordinairement émouvante. Les techniques les plus modernes du son et de l'image sont alliées à la mise en scène interactive et informatisée en trois dimensions. Autant pour le côté technique de la visite. Mais nous avons voulu en savoir un peu plus sur la dimension intellectuelle, historique et sentimentale de cette institution qui mérite vraiment d'être visitée. Pour ce faire, nous avons été à la rencontre de son directeur, ZEEV LACHISCH, qui nous a très chaleureusement reçus. Comment l'idée d'un tel musée est-elle venue ? Ce sont les vétérans du Palmach qui ont décidé il y a très longtemps qu'il était nécessaire de créer un lieu de mémoire qui ne soit pas un musée statique constitué d'objets muets chargés d'histoire, mais un endroit où l'identification avec le passé puisse se faire de manière interactive. Ils estimaient que cette démarche renforcerait l'identité nationale de notre jeunesse. Les vétérans encore vivants viennent-ils parler de leur expérience aux écoliers qui visitent le musée ? Ils en ont fait l'une de leurs missions. Il faut savoir que nous ne pouvons accueillir que des groupes de 25 personnes à la fois et que le calendrier des réservations du musée pour les écoles est complet une année à l'avance. L'une des motivations de la création de ce musée est le renforcement l'identité nationale et sioniste de la jeunesse. Estimez-vous qu'en général, celle-ci n'est pas assez promue par le système éducatif ? Chaque visite scolaire ou d'un groupe de soldats (et nous en recevons beaucoup) se termine par un entretien avec ces jeunes. Chaque fois, les mêmes commentaires reviennent: ils sont fiers de ce que leurs ancêtres ont fait, de la manière dont ils se sont battus pour un idéal et combien ils se sentent renforcés dans leurs convictions. Avant cette visite, de nombreux jeunes prenaient tout ce qui existe aujourd'hui en Israël pour une évidence. Ils ne se rendaient pas compte que d'aller de Tel-Aviv à Jérusalem représentait il n'y a pas si longtemps encore une énorme difficulté, chaque passage d'un bus ou d'un convoi étant le résultat d'une somme d'efforts extraordinaires. Aujourd'hui, grâce à la nouvelle autoroute, on ne met plus que 45 minutes, les seuls risques étant les accidents de la circulation ! Comptez-vous développer le musée ? Nous ne pensons pas rajouter une section muséographique à proprement parler. Toutefois, nous disposons d'archives très importantes ainsi que d'une salle pour des expositions temporaires, où nous présentons régulièrement différents aspects de l'histoire du Palmach. Actuellement, nous préparons une exposition sur le rôle des nouveaux immigrants dans la Guerre d'Indépendance et au sein du Palmach. A cet égard, il est intéressant de noter que pendant cette époque, une grande partie des ordres se faisait en yiddish, en allemand, en russe, en roumain ou en polonais, les nouveaux immigrants ne comprenant pas l'hébreu. D'ailleurs, vers la fin de la guerre, pratiquement 50% des combattants étaient des survivants de la Shoa. Votre musée est très orienté vers la jeunesse et le public israélien. Ne pensez-vous pas qu'à une époque où l'identification avec Israël s'amenuise de plus en plus dans la diaspora, un musée comme le vôtre a son rôle à jouer et devrait être plus visité par des Juifs du monde entier ? Comme vous avez pu le constater, la visite se déroule en hébreu mais peut être suivie en anglais grâce à un système d'écouteurs. Nous allons étendre le choix des langues au français, à l'espagnol et au russe. Cela dit, pendant les mois d'été, la majorité de nos visiteurs vient de l'étranger, en particulier les groupes de jeunes. Il n'y a pas de visites individuelles, uniquement en groupe et sur inscription préalable. Le Musée photographique Il est bien connu que lorsqu'une personne doit fuir son pays, il y a une chose qu'elle prend toujours avec soi: ses photos. Ces souvenirs à la fois muets et si parlants révèlent parfois des secrets surprenants. La section photographique du Musée du Palmach constitue un véritable trésor de l'histoire de la création de l'État et des années de combats souvent clandestins qui l'ont précédée. L'âme de toute cette entreprise est DITA PERACH, ancienne combattante du Palmach qui n'était rien de moins que pilote de Piper. Mais comment la constitution d'un tel trésor s'est elle effectuée ? Lors d'une réunion d'anciens combattants où tous parlaient de l'idée de créer un musée, elle a par hasard dit: «et qui va s'occuper des photos ?». C'est naturellement elle qui a été chargée de cette tâche qui s'est très rapidement avérée bien plus compliquée que prévu. Il a d'abord fallu trouver des photos. Or en 1943, la Haganah avait donné l'ordre à tous ses membres, et en particulier à ceux du Palmach, de détruire toutes les photos au cas où elles tomberaient entre les mains des Anglais. Si un grand nombre de photos ont alors été détruites, beaucoup ont été cachées. Le jour avant l'établissement officiel du Palmach, un bateau contenant 23 combattants et un officier de liaison anglais est parti vers Tripoli au Liban pour y saboter les raffineries. On n'a jamais su ce qui leur était arrivé, personne n'a plus entendu parler d'eux. Or un jour, Dita s'est retrouvée en possession d'une photo sans aucune indication, sur laquelle figurait un groupe d'hommes. Elle a demandé à un ancien combattant, l'un des dirigeants du Palmach, s'il les connaissait. En voyant la photo, il s'est écrié: «ce sont les 23» ! Encouragée par cette découverte extraordinaire, Dita s'est lancée dans la constitution de ce qu'elle appelle les archives vivantes. Elle voulait à tout prix éviter de créer un «cimetière de photos» dont personne ne saurait ce qu'elles représentent. Il fallait impérativement que les personnages qui y figurent portent des noms et que les détails des événements soient décrits. Consciente du fait que les anciens combattants font partie d'une génération en voie de disparition ou ont une mémoire vacillante, elle a lancé un appel pour qu'on lui apporte des photos. Chaque fois qu'elle reçoit une photo, elle demande à celui qui la lui donne de lui écrire un petit rapport sur son historique: la date, l'environnement, les événements du moment, etc. Elle crée ensuite des albums par sujet, par région, par brigades, etc. Aujourd'hui, le département photographique du Musée du Palmach est une véritable encyclopédie vivante de la lutte pour la renaissance d'Israël. On y trouve aussi des photos de projets et d'entraînements secrets du Palmach. Par exemple, un groupe s'entraînant pour se rendre derrière les lignes allemandes. Les hommes prévus pour cette mission s'étaient installés dans une base secrète du Néguev, parlaient allemand, portaient des uniformes nazis et apprenaient à se conduire comme eux. Malheureusement, cette unité n'a jamais eu l'occasion d'entrer en action. On peut se poser la question de savoir à qui un tel département s'adresse. Tout d'abord, aux anciens combattants qui viennent avec leurs enfants et leurs petits-enfants. Nombreux sont également ceux qui cherchent la photo de leurs parents. Pour terminer, écoutons Dita nous résumer son temps passé dans les rangs du Palmach: «J'étais une fille du Kibboutz Danya, dont mes parents étaient parmi les premiers fondateurs. Mon père était l'un des pionniers de l'aviation civile et militaire en Israël. C'est pourquoi je me suis engagée dans un cours de pilotage dès que j'en ai eu la possibilité. M'étant mariée et étant devenue mère, je n'ai pas eu la possibilité de participer à la Guerre d'Indépendance. Pour nous, les jeunes de l'époque, le fait d'entrer au Palmach et d'être placés en première ligne du front constituait la réalisation d'un rêve. A cette époque, les filles étaient assignées aux mêmes tâches que les garçons, elles conduisaient des camions, portaient de lourdes charges, participaient à des opérations de sabotages, de renseignements, de passages des frontières ou encore, pour celles qui parlaient l'arabe, infiltraient la Syrie ou le Liban. C'était notre pain quotidien, en définitive, nous ne faisions que notre devoir. Aujourd'hui, je mets tout en ½uvre pour que notre action ne soit pas oubliée et puisse servir d'exemple à la jeune génération. En visitant nos archives photographiques, notre histoire et nos témoignages s'enrichissent d'une dimension supplémentaire: la réalité.» |