Si pas moi - qui donc ? | |
Par Roland S. Süssmann | |
«Parlementaire fédéral pour la région d'Anvers du Parti libéral flamand - le parti du Premier ministre -, conseiller communal d'Anvers et avocat», voici en quelques mots comment le député belge CLAUDE MARINOWER décrit ses activités. Ce curieux mélange d'un Juif anversois et d'un politicien belge pourrait à première vue sembler paradoxal, car il s'agit de deux mondes très différents réunis en un seul homme. La cinquantaine grisonnante, M. Marinower frappe son interlocuteur par sa simplicité naturelle et sa tranquillité, ce qui lui permet de transmettre son discours de qualité avec force, détermination et vigueur. Ancien président de l'Union des étudiants juifs européens, il a fait sa scolarité à l'école Tachkemoni à Anvers et parle couramment hébreu. Actif dès son plus jeune âge dans les mouvements de jeunesse et au niveau communautaire, Claude Marinower a été élu pour la première fois au Conseil communal d'Anvers en 1988 et au Parlement fédéral en mai 2003. Il a notamment gardé son activité d'avocat pour rester en contact avec les réalités de la vie quotidienne en dehors de la politique. Lorsque l'on rencontre un député juif en Belgique et que l'on sait que les relations entre ce pays et Israël ont été très mauvaises pendant de nombreuses années, il est évidemment indispensable de vouloir connaître son point de vue et son analyse sur le sujet. Pouvez-vous en quelques mots brosser un tableau de l'état des relations belgo-israéliennes à la fin de l'année 2004 ? Il est très important d'évoquer les conséquences en Belgique même suite à la détérioration des rapports entre les deux pays. En fait, les relations entre la Belgique et Israël ont toujours été fort bonnes, sauf au cours des dernières années, et ce en raison de certaines plaintes déposées. Après les événements du Rwanda, la Belgique a voté une loi très noble, la Loi sur la compétence universelle. Malheureusement, certaines plaintes ont démontré les limites de l'application de cette loi, notamment celles déposées contre Ariel Sharon pour sa «participation» aux faits de Sabra et Chatilah. Celles-ci ont donné lieu à un certain nombre de décisions, à une instruction et ont généré un développement extrêmement difficile dans les relations entre Israël et la Belgique. Les plaintes, qui n'étaient pas uniquement déposées contre Ariel Sharon mais également contre un certain nombre de militaires israéliens de haut rang, ont clairement provoqué dans les milieux verts et socialistes un mouvement pour la promotion des aspirations palestiniennes, perdant tout à fait de vue la réalité du conflit du côté israélien. Or c'est cet aspect des choses que nous avons tenté de rappeler. J'ai participé à cette action au point que certains disent de moi aujourd'hui que je suis le lobby juif ou un lobby pro israélien au sein de mon parti. Il ne fait aucun doute que dans ce cadre, je suis le plus ardent défenseur de l'État d'Israël en tant que tel. Je ne fais pas la promotion d'une politique ou d'une autre car j'estime que les Israéliens ont le droit et l'obligation de se prononcer eux-mêmes sur ceux et celles qu'ils veulent voir les diriger. Pour moi, il s'agit de la défense de l'État d'Israël, de son existence de manière absolument inconditionnelle, de son droit à des frontières sûres et reconnues. Dans le cadre de mes activités parlementaires, je suis aussi président de la section Belgique-Israël dans l'Union interparlementaire internationale. Notre activité réunit un certain nombre de parlementaires intéressés et proches d'Israël. Nous avons l'intention d'organiser un voyage en Israël, ce qui ne s'est pas fait depuis 13 ou 14 ans. Il s'agira d'une petite délégation de cinq ou six parlementaires de tous bords que je dirigerai et à qui nous ferons découvrir la réalité politique d'Israël. Pour en revenir à la période difficile des relations entre les deux pays, je dois tout d'abord dire que la loi a été amendée définitivement et que les poursuites contre Ariel Sharon ont dû être abandonnées suite à une décision de la Cour de cassation. Je dois souligner qu'à l'époque, il s'était installé un climat d'intolérance que j'avais dénoncé en 2001 dans le cadre du Conseil communal d'Anvers. J'avais alors dit qu'il fallait faire attention, que le conflit du Moyen-Orient était sur le point d'être importé dans les rues d'Anvers. A l'époque, des Juifs, surtout orthodoxes, se faisaient agresser par de jeunes musulmans et ce pour une seule raison: leur appartenance visible à la communauté juive. J'ai fait comprendre à mes collègues que lorsque l'on s'attaque à un Juif en raison de l'extériorisation de son appartenance à la communauté juive, c'est aux fondements mêmes de la démocratie que l'on se prend et par conséquent directement à l'État belge en tant que tel. Il y a eu un certain nombre de réactions ce qui n'a pas empêché qu'il y ait encore et toujours régulièrement des incidents regrettables et condamnables. Le gouvernement et le Premier ministre en tête condamnent ces actes, mais pour l'instant nous ne voyons pas beaucoup de changements. Des actions en justice sont en cours mais malheureusement, jusqu'à présent, aucune n'a abouti à une condamnation? Récemment d'ailleurs, un jeune homme a été poignardé à la sortie d'une yéshivah à Anvers. Tout indique que de jeunes Maghrébins ont commis cet acte mais à ce jour, ils n'ont pas été retrouvés. Nous devons faire très attention à ce que la situation ne se développe pas comme en France, où la portée des événements a été sous-estimée. En fait, il s'agit d'un ensemble qui trouve ses racines dans un certain nombre de lacunes du système éducatif. Les musulmans par exemple empêchent, par des chahuts en classe, l'enseignement de la Shoa dans les cours d'histoire. Que faites-vous, en tant que parlementaire juif, pour combattre cet état de choses ? Fin 2004, une manifestation de commémoration de la Deuxième Guerre mondiale aux Pays-Bas a été très fortement perturbée par de jeunes musulmans. Les organisateurs étaient scandalisés et l'échevin de l'Instruction à Amsterdam a ordonné une enquête. Celle-ci a démontré que 33% des musulmans étaient antisémites mais qu'à la suite des cours sur la Shoa dans les écoles, ce pourcentage était tombé à 11%. J'ai donc proposé au Conseil municipal d'Anvers d'inclure ce genre de programme dans les établissements scolaires, mais je n'ai pas reçu d'écho favorable. J'ai fait cette même proposition au Ministre fédéral, qui s'est montré intéressé et qui aimerait organiser pour certaines classes de fin d'études la visite de camps de concentration et d'extermination. Il s'agirait de démontrer où l'intolérance et la haine raciale peuvent mener. Pour l'instant, ceci n'est qu'à l'état de projet? Afin d'illustrer la gravité de la situation, je citerai le cas de la cantine d'un club de football juif à Anvers qui a été complètement saccagée par de jeunes musulmans âgés de 12 à 14 ans qui ont marqué sur les murs «Gestapo - les Juifs dans les chambres à gaz», peint des croix gammées, etc. Un autre programme a été soumis aux autorités de l'éducation pour enseigner aux jeunes musulmans la participation de soldats marocains à la Deuxième Guerre mondiale, afin qu'ils ne puissent pas dire que cette époque ne les concerne pas. Là encore, il ne s'agit pour l'instant que d'un projet à l'étude. Pensez-vous que le fait de ne pas pouvoir enseigner la Shoa dans les écoles ait été amplifié depuis le début de la seconde Intifada ? Tout a été amplifié depuis cette époque: l'opposition, l'intolérance, la violence et l'absence de dialogue. Ceci est avant tout dû au fait que de nombreux jeunes musulmans tirent une bonne partie de leurs informations non pas de la presse nationale, mais des chaînes arabes diffusées par satellite. Comment voyez-vous l'évolution de la situation ? Le gouvernement fédéral a soumis et fait voter un plan intégral contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. L'application de ce programme se fait exceptionnellement en coopération directe entre les ministres régionaux de l'éducation et le ministre fédéral en charge. Nous sommes à présent au stade concret de l'exécution de ce plan. Cela dit, les incidents antisémites se multiplient mais sont aussi réprimandés avec sévérité, ce qui est réconfortant. Dans ces conditions, comment voyez-vous l'avenir de la communauté juive en Belgique ? Il s'agit d'une communauté bien intégrée, ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait pas de danger. Je ne pense pas qu'il soit plus grand qu'ailleurs en Europe, il se manifeste par moment de manière plus ou moins aiguë. En fait, il y a un risque permanent que les choses s'enflamment et que les relations entre les communautés ne soient plus les mêmes qu'avant. Au cours des dernières années, le fait de vivre en quiétude les uns à côté des autres s'est perdu. Il y a trop d'incidents. De plus, il ne faut pas oublier que certains jeunes musulmans deviennent belges et par conséquent électeurs ce qui, selon certains dires, inciterait divers partis à ne pas condamner les actes antisémites de manière trop vigoureuse? Cela dit, lorsque des incidents sérieux surviennent, une condamnation unanime se fait, même de la part de l'extrême droite. Comment percevez-vous l'action de ces mouvements ? Ils sont extrêmement puissants et forts, en particulier en Flandre et notamment à Anvers. Après les premières manifestations assez violentes de musulmans en 2002, ces groupes d'extrême droite ont adopté une nouvelle tactique qui pourrait être définie ainsi: «l'ennemi de mon ennemi est mon ami». Pour eux, les Arabes sont par définition les ennemis des Juifs, donc les Juifs sont leurs amis. Dans l'ensemble, dans la communauté juive, personne n'a été dupé par cette démarche. Quelques individus, de manière scandaleuse, appellent à voter extrême droite sous prétexte que ces partis sont les seuls à pouvoir nous protéger contre les Arabes. Il s'agit de personnes ayant une vue à très court terme et qui n'ont aucune conscience. N'oublions pas que l'extrême droite belge est proche de Le Pen et des mouvements négationnistes et que les membres de notre communauté qui appellent à voter pour eux n'hésitent pas à se rendre trois semaines plus tard dans une synagogue ou à une commémoration en souvenir des victimes du nazisme? Pour ma part, je combats toutes les formes d'extrémisme, j'estime que cela fait partie de mes responsabilités. Je ne peux pas imaginer que quelqu'un d'autre intervienne pour nous ou défende ma communauté à ma place. Je suis le seul député juif au niveau fédéral et au parlement bruxellois, une coreligionnaire a été élue en juin dernier. Cela dit, il faut bien faire la distinction entre l'antisémitisme et la question du conflit arabo-israélien. La lutte contre l'antisémitisme fait l'unanimité alors que sur le second point, le débat est ouvert et la classe politique belge très divisée. Mais je respecte le débat démocratique tout en tentant de convaincre mes collègues de la justesse de la cause d'Israël. Pour terminer sur la question de l'extrême droite en Belgique, je dois dire qu'il existe ce que nous appelons le «cordon sanitaire»: les partis politiques ont décidé entre eux de ne conclure aucun type d'accord politique, de gouvernement d'une ville, d'une région ou de gestion avec le Flams Blok qui vient d'ailleurs d'être condamné pour racisme par les tribunaux belges. Cette condamnation est définitive, le Flams Blok est donc un parti raciste. Pour moi, le cordon sanitaire est bien plus qu'une forme de stratégie politique, il s'agit d'une question d'éthique. Malgré tout, depuis une douzaine d'élections, le Flams Blok connaît un succès grandissant et gagne de plus en plus de voix. Que l'on ne s'y trompe pas: le mouvement d'extrême droite en Flandre, où il est le plus grand parti, est le mieux structuré d'Europe et dispose de dirigeants aux qualités politiques indéniables. Si ce mouvement venait au pouvoir, il serait capable de faire beaucoup de tort. Ce qui est inquiétant, c'est qu'aujourd'hui les adhérents de ces partis sont souvent des hommes et des femmes issus des professions libérales. Votre activité ne se limite pas uniquement aux questions relatives à Israël et à la communauté juive. Pouvez-vous nous citer l'un des domaines dans lequel vous êtes particulièrement impliqué ? En tant que parlementaire, je participe bien entendu à tous les débats nationaux et je fais partie de la commission de la Justice et de la commission de l'Intérieur. Nous avons déposé un certain nombre de projets de lois ayant trait aux mariages blancs, dont nous tentons d'endiguer le flot. Ces mariages fictifs n'ont qu'un seul but, obtenir pour l'un des conjoints un permis de séjour qu'il ne pourrait jamais avoir autrement et acquérir ainsi rapidement la nationalité belge. Nous faisons face à un autre problème majeur, qui se situe au niveau des enfants ou des petits-enfants d'immigrés qui sont souvent la troisième, voire la quatrième génération. Ils sont totalement intégrés ici et font même parfois des études supérieures. Une fois leur formation terminée, ils partent pour se marier dans le village d'origine de leur famille en Afrique du Nord ou en Turquie et ramènent un conjoint ne parlant aucune des langues nationales et de culture totalement différente. C'est alors sur l'État que retombent les frais d'intégration, etc. Pour terminer, je dirai encore que nous avons un sérieux problème avec une grande population d'illégaux et de demandeurs d'asile, dont le nombre a d'ailleurs sensiblement baissé depuis le jour où le gouvernement a cessé d'accorder des avantages sociaux à chaque requérant. N'oublions pas que la Belgique est au centre d'une Europe où il n'y a plus de contrôles et qu'au départ d'Anvers, on peut se rendre sans problème en 45 minutes en Hollande, en Allemagne, en France et même au Luxembourg. Existe-t-il en Belgique des anciens nazis ou collabos qui vivent impunément en liberté ? Il y a très longtemps, un procès des responsables du nazisme en Belgique a eu lieu. Cela dit, des gens affirment que ce qui a manqué en Belgique après la guerre, c'est une véritable dénazification. En fait, les «petits» auraient payé le prix fort en étant condamnés et privés de leurs biens alors que les gros poissons ont pu profiter de leur fortune amassée pendant la guerre. Nous entendons aussi des voix disant qu'une partie de la sympathie qui existait pour les Juifs et Israël diminue en raison des images de «répression» de l'armée israélienne diffusées par la télévision. De plus, bon nombre de personnes estiment qu'au sujet des restitutions communautaires, un accord définitif ayant été trouvé entre la communauté juive et le gouvernement belge (qui pour autant n'a pas reconnu sa responsabilité en tant que gouvernement), cela clôt de manière définitive le différent qui existait entre l'État et les Juifs. Ce montant, estimé considérable par certains (env. 110 millions d'euros), est en fait relativement minime en proportion des spoliations et des expropriations mais, dans les esprits, il contribue manifestement à réduire le capital de sympathie à l'égard des Juifs et des victimes de la Shoa. |