La Villa de Wannsee | |
Par Roland S. Süssmann | |
Les reportages d’une manière ou d’une autre en relation avec la Shoah sont toujours très difficiles à réaliser et comportent un volet émotionnel très fort. Toutefois, il y a des moments plus choquants que d’autres. Lorsque j’ai été reçu à Wannsee par le directeur de la fameuse Villa où a eu lieu la conférence de 1942, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre ce dernier me dire en montant dans son bureau: «L’ascenseur dans lequel vous vous trouvez est d’époque… il a probablement été emprunté avant vous par Reinhard Heydrich et Adolf Eichmann.» Cette entrée en matière sympathique rappelle immédiatement l’horreur de l’endroit qui, au demeurant est superbe et où aucun Juif n’a jamais été assassiné. C’est dans cette maison que le 20 janvier 1942, sous la présidence du SS-Obergruppenführer Reinhard Heydrich, quatorze hauts fonctionnaires de la bureaucratie ministérielle et de la SS se sont réunis afin de planifier sur le plan pratique la déportation des Juifs d’Europe vers la Pologne occupée en vue de leur assassinat. Cette réunion est entrée dans l’histoire sous le nom de la «Conférence de Wannsee» et, contrairement à un mythe, ce n’est pas au cours de celle-ci que la «solution finale» a été décidée, mais bien avant, en 1941, par Hitler lui-même. Cette conférence avait avant tout pour but d’organiser le massacre des Juifs d’Europe et c’est pour cette raison qu’Heydrich avait organisé cette réunion (voir l’article de l’historien Dr Norbert Kampe, directeur de la Maison de la Conférence de Wannsee). Mais qui était Heydrich ? Né en 1904, fils d’un compositeur et directeur de conservatoire, il s’engage en 1926 dans la marine du Reich où il obtient le grade d’enseigne de vaisseau de 1ère classe, mais est relevé de ses fonctions en 1931 pour «déshonneur». Dès 1932, il adhère au NDSAP (Nazionalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei) – Parti ouvrier national-socialiste allemand - et à la SS, où il est immédiatement chargé par Himmler de surveiller les opposants politiques. En 1933, il est nommé directeur de la police de Bavière et en 1934, chef de la Gestapo à Berlin. En janvier 1936, il devient chef de la SIPO (Sicherheitspolizei) – police de sûreté - et en octobre 1939, chef du RSHA (Reichssicherheitshauptamt) – bureau principal de la sécurité du Reich. Pendant les mois d’avril et mai 1940, il est pilote de chasse. Dès le mois de juin 1941, c’est lui qui donne les instructions aux Einsatzgruppen pour l’organisation des pogromes et des exécutions en URSS. Fin juillet 1940, Göring le charge de préparer la «solution finale du problème juif». A la Conférence de Wannsee, il présente son plan de l’ensemble du massacre prévu de 11 millions de Juifs par leur déportation vers l’Est, et à cette occasion demande le soutien des ministères représentés à cette conférence. Le 4 juin 1942, il meurt des suites d’un attentat perpétré par des résistants tchécoslovaques à Prague. Il ne fait aucun doute qu’un séjour à Berlin ne serait complet sans une visite à la fameuse villa. Outre l’émoi et le frémissement qui gagnent le visiteur lorsqu’il entre dans la salle de conférence, l’exposition permanente mérite d’être vue. Dans la salle de conférence, une photo de chaque participant est affichée sur le mur, et il est inutile de faire un grand effort d’imagination pour revivre ce qui s’y est dit. C’est en ce lieu même que s’est orchestrée la mise en place scientifique et méticuleuse de la liquidation physique de tous les Juifs d’Europe, y compris celle du million et demi d’enfants. Quant à l’exposition, bien qu’elle ne traite pas que de la conférence en soi, c’est cette partie qui est la plus instructive. Très bien faite et répartie dans les pièces adjacentes à celle de la conférence, elle rappelle les événements historiques dès 1933, le processus de l’exclusion, les persécutions, la déportation et l’extermination des Juifs d’Europe par les Allemands et leurs complices. L’exposition a ceci de remarquable que dans un espace relativement restreint, l’essentiel de la Shoa est présenté de manière extrêmement claire, à l’aide de photos très fortes, choquantes et marquantes, de cartes géographiques et stratégiques et de documents officiels d’époque agrandis. En plus des expositions à proprement parler, la Villa de Wannsee dispose d’un service pédagogique ouvert aux écoles et à des séminaires spécifiques, d’une bibliothèque et d’une médiathèque très riches qui permettent de consulter sur place des livres, des bandes sonores et des vidéos d’époque. Les séminaires organisés par la Maison de la Conférence de Wannsee couvrent des sujets très variés et sont dans la plupart des cas directement liés à des professions spécifiques et au comportement de ces corporations pendant la Shoa. Ces sessions d’études sont divisées en six grands chapitres, à savoir: judaïsme et vie juive en Europe avant 1933, les Juifs sous le pouvoir totalitaire nazi, pouvoir et vie quotidienne sous les nazis, planification et organisation du génocide, répercussions du régime nazi dans la société et la politique allemandes et finalement, le débat actuel et la mémoire par rapport aux crimes des nazis. Pour ne citer que quelques thèmes, une conférence destinée à des militaires de carrière avait pour sujet: «L’implication de la Wehrmacht, le rôle de la police et des services de sécurité dans le génocide»; une autre, ouverte à des membres du corps médical et paramédical avait pour titre:«De l’euthanasie aux meurtres des Juifs»; récemment a eu lieu une conférence pour une audience de pompiers professionnels pour traiter «Le comportement des pompiers allemands pendant la Kristallnacht». A cet égard, il est intéressant de savoir que dans certaines régions, les pompiers tabassaient les pyromanes avec la pointe en acier des tuyaux d’extinction, non pas par sympathie particulière envers la population juive, mais simplement en raison d’un sens du devoir primaire. Ils disaient: «Nous sommes des pompiers dont la mission est d’éteindre le feu mais aussi de le prévenir. Si nous voyons quelqu’un qui l’attise, nous devons l’en empêcher». Au niveau national, des séminaires se tiennent régulièrement, qui peuvent durer jusqu’à une semaine, organisés par le Ministère des Finances de la République fédérale et auxquels participent des fonctionnaires issus de tous les nivaux hiérarchiques, avec pour unique thème: «Les pillages ordonnés des biens juifs par les autorités fiscales allemandes». La question qui revient dans chacune de ces sessions d’études est la suivante: «cela peut-il se répéter ?». Curieusement, les réponses sont toujours les mêmes. Les cadres dirigeants sont généralement très catégoriques, disant qu’il existe tellement de garde-fous dans la législation allemande qu’une telle horreur ne peut pas se répéter. Les simples fonctionnaires ont une toute autre approche: «je voudrais bien voir ce qui se passerait si je refusais d’effectuer le travail qui m’est demandé sous prétexte que l’une ou l’autre des décision ne me semble pas adéquate ou juste.» La Maison de la Conférence de Wannsee fait un effort particulier pour sensibiliser la jeunesse allemande à la question de la Shoa. Les écoles qui viennent à Wannsee ont naturellement dans leurs classes des éléments perturbateurs qui ne sont pas intéressés par un «autre musée». Après une brève visite de l’exposition, les classes sont subdivisées par sujets, chaque groupe choisit une photo qu’il estime être la plus frappante et fait une étude autour du cas sélectionné. Les professeurs sont exclus du processus et les élèves préparent leur présentation entre eux. Ils ont accès à la bibliothèque et à la médiathèque où du personnel de la villa est à leur disposition afin de les aider. Les travaux qui résultent de ces expériences sont non seulement très intéressants mais symptomatiques, tant par la manière dont les sujets sont développés que par certaines personnalités qui se révèlent au sein des classes même. Des programmes de préparation à des voyages en Israël, dans les camps et lieux du souvenir en Pologne et en République tchèque sont également proposés. Pour terminer, il faut souligner que, contrairement à certaines rumeurs, la villa n’a jamais appartenu à une famille juive. Elle a été achetée à des industriels allemands de manière tout à fait légale par les nazis, au prix en vigueur sur le marché de l’immobilier, soit 1,95 millions de Reichsmarks. Le choix de cette villa pour la conférence était une simple question de commodité. En effet, dès 1941, la villa a été transformée en maison d’hôtes pour des officiers supérieurs de la police et de la SS en service à l’étranger qui venaient à Berlin en mission ou pour se reposer. La maison offrait des chambres, des salles d’agréments, une excellente cuisine et une bonne cave. Il faut souligner que les travaux domestiques étaient effectués par des adolescents juifs qui, en définitive, ont été déportés. Une circulaire datant du 15 décembre 1941 recommande aux officiers de faire usage de la villa lors de leurs passages à Berlin, afin que cette maison devienne «le centre des relations de camaraderie des SS Führer, de la SIPO et du SD (Sicherheitsdienst) – service de sécurité – venus de l’extérieur». Pour terminer, il faut signaler qu’à l’entrée de la villa se trouve un livre dans lequel les visiteurs peuvent exprimer leurs sentiments à l’issue de la visite. Deux réactions nous ont frappés. La première est celle d’un jeune sud-africain de 24 ans qui a écrit: «Je ne peux pas trouver les mots justes pour exprimer mes émotions. Comment des êtres humains peuvent faire cela à d’autres hommes dépasse ma compréhension. Je suis tellement fier d’être juif et d’être ici, debout, un demi siècle après ces événements et de pouvoir dire haut et fort «Le-Haïm - à la vie – à la paix – à Israël !». La seconde dit: «Je suis de nouveau là ! Et les fours fumeront à nouveau» avec, en guise de signature, une croix gammée !!! A méditer. |