L’école Shalom Aleïchem | |
Par Roland S. Süssmann | |
Avant la Deuxième Guerre mondiale, il existait à Vilna des dizaines d’écoles juives du plus haut niveau, dans lesquelles toutes les matières étaient enseignées en yiddish ou en hébreu. Avec la Shoa, tout ce monde éducatif a été détruit et aujourd’hui, il n’y a plus que deux écoles juives à Vilna, celle de Chabad (100 enfants), qui ne reçoit que des enfants authentiquement juifs, et celle d’État (200 élèves), qui porte le nom du célèbre auteur yiddish Shalom Aleïchem et qui accepte les enfants selon la Loi du retour israélienne, c’est-à-dire ceux dont le père ou les grands-parents sont juifs. Afin de nous parler de cette institution scolaire, nous avons rencontré son directeur, MICHAEL JAKOBAS, qui la dirige depuis sa fondation en 1989. Comment cette nouvelle aventure a-t-elle débuté ? Cela fait environ douze ans que nous travaillons dans ce que j’appelle «notre petit îlot de vie juive». Comme vous avez certainement pu le constater, la vie juive en Lituanie n’est pas de loin ce qu’elle était, ni même ce qu’elle devrait être. Pour ma part, tout comme mes arrière-grands-parents, je suis né dans la petite ville de Tels où se trouvait la fameuse yéshivah. Au moment de l’indépendance de la Lituanie, l’une des premières décisions prises par le leadership juif a été de tout faire pour créer une école juive, estimant qu’il s’agissait d’une nécessité de premier ordre. Nous sommes donc une école d’État qui fonctionne comme les écoles juives en Amérique qui font partie du système des «Salomon Schaechter Schools» (en fait des adeptes du mouvement libéral), et nous accueillons des élèves âgés de 7 à 17 ans. Nous travaillons en étroite coopération avec l’État d’Israël qui nous soutient activement dans toutes les questions relatives à l’hébreu et au judaïsme et qui, chaque année, nous envoie trois enseignants. Ces derniers donnent aussi des cours du soir aux personnes intéressées. Lorsque vous nous parlez d’études juives, comment ces cours sont-ils structurés dans la pratique ? Dans le programme scolaire, environ six heures hebdomadaires sont consacrées à des cours judaïques. Ceux-ci comprennent l’hébreu, que nos jeunes parlent parfaitement à la fin du cycle scolaire, l’étude de l’histoire et des traditions juives ainsi qu’un groupe de danses et de chants folkloriques hébreu et yiddish. Malheureusement, en raison du programme très chargé auquel sont soumis nos élèves, nous n’avons pas pu intégrer des cours de yiddish. C’est un problème. Nous ne sommes pas une école religieuse, nous n’avons pas de synagogue et les repas que nous servons ne sont pas cachers. Toutefois, nous sommes très traditionalistes et préparons les jeunes à la Bar et Bat Mitsvah. Dans cet esprit, notre école fonctionne dans un certain sens au rythme du calendrier juif si bien que les enfants découvrent les fêtes et le message profond de chacune d’elles. Dès la deuxième année d’école primaire, les enfants s’expriment en quatre langues: en lituanien, en russe (facultatif), en hébreu et en anglais. La plupart parlent russe à la maison, mais depuis que la Lituanie est indépendante, le lituanien prend progressivement le dessus. Votre école accepte des élèves qui, selon la législation juive, ne sont tout simplement pas juifs. Pourquoi les parents de tels enfants les envoient-ils chez vous ? Effectivement, nous acceptons des enfants dont uniquement des grands-parents sont ou étaient juifs. Cela dit, nous accueillons aussi des enfants non-juifs. Je pense qu’il s’agit d’une démarche politique pour lutter contre l’antisémitisme car, quand ces enfants rentrent chez eux, ils parlent de notre manière de vivre et racontent que nous sommes «fréquentables» ce qui, j’en suis convaincu, constitue un élément positif en soi. Il semblerait que l’école ait des bonnes raisons d’accepter des élèves non-juifs, mais pourquoi des parents qui n’ont aucune relation avec le judaïsme vous confient-ils leurs enfants ? Tout d’abord, il y a des gens en Lituanie qui éprouvent une certaine sympathie pour le peuple juif. Il s’agit de personnes qui, dans leur jeunesse, avaient des connaissances, des voisins juifs, ou des grands-parents qui ont soit caché soit sauvé des Juifs pendant la Shoa. Certes, ils ne sont pas nombreux, mais ils existent. De plus, ce qui à mon avis est primordial, c’est le fait que nous sommes considérés comme l’une des meilleures écoles de la ville. D’autre part, étant une école d’État, il m’est très difficile de refuser quelqu’un. Toutefois, j’ai un entretien au préalable avec tous les parents désirant envoyer leurs enfants chez nous au cours duquel je leur explique en détails ce que cela signifie et implique d’inscrire un enfant à Shalom Aleïchem. Comment voyez-vous l’avenir de votre école ? Pour l’instant, nous ouvrons chaque année une nouvelle classe avec environ 25 élèves. Notre avenir dépend de celui de la communauté juive, qui est imprévisible. Combien de Juifs s’expatrieront-ils ? L’antisémitisme se développera-t-il, bien qu’il soit déjà assez fort aujourd’hui ? Comment évoluera la situation économique ? A cet égard, il faut savoir que les entreprises préfèrent engager un employé non-juif moins qualifié qu’un Juif ayant une excellente formation, ce qui explique le «grand succès» de l’économie lituanienne, qui est littéralement catastrophique. L’école est superbe. A-t-elle été construite par une organisation juive ? Absolument pas ! Avant nous, il y avait ici un jardin d’enfants fréquenté par 28 petits polonais. Vous pouvez vous imaginer le scandale qu’il y a eu partout dans la presse lorsqu’il a été question d’expulser des enfants polonais pour installer des élèves juifs. J’ai été interviewé à de nombreuses reprises et un jour, un journaliste de télévision m’a dit: «Vous rendez-vous compte que quand ces enfants sauront que ce sont les Juifs qui leur ont pris leur jardin d’enfants, ils grandiront en devenant de petits antisémites et ce sera de votre faute !» Je lui ai répondu: «Pour l’instant, les antisémites c’est vous, car le bon sens veut qu’un bâtiment fait pour recevoir 220 élèves ne soit pas occupé par 28 enfants. C’est vous qui mêlez la question juive au problème.» Mais je dois dire que nous avons également eu un peu de chance. En effet, au moment de cette controverse, notre Premier ministre se rendait en visite officielle en Israël. Je l’ai rencontré et lui ai dit: «Lorsque vous arriverez en Israël, la première question que l’on vous posera sera de savoir pourquoi vous n’accordez pas ces locaux à la communauté juive. Vous aurez de graves problèmes. Sur ce, il a convoqué une session spéciale du gouvernement et nous a donné les locaux. Étant en piteux état, le gouvernement nous a alloué une subvention infime pour les travaux, mais grâce à un don important de l’American Joint Distribution Committee, nous avons pu aménager cet endroit magnifique de manière fonctionnelle et attractive. En conclusion, je dirai que nous mettons tout en œuvre pour que nos jeunes Juifs acquièrent une excellente instruction et une éducation moderne et de haut niveau afin qu’ils soient à même demain de trouver du travail partout dans le monde. |