Un missile dans le ventre ! | |
Par Roland S. Süssmann | |
Voyager – découvrir – rêver – agir, tels sont les souhaits les plus profonds de la nature humaine qui ont produit à la fois les plus belles pages de la littérature à travers les âges, d’Icare à Jules Verne, et conduit aux expériences les plus folles et les plus terribles. Mais le désir de découverte n’est pas seulement celui de l’aventure géographique ou du voyage vers la lune, c’est aussi celui de la miniaturisation qui offre la possibilité d’accéder et d’explorer des recoins normalement inatteignables, en particulier ceux du corps humain ou animal. C’est dans cet esprit que le Dr GAVRIEL IDDAN, ingénieur de talent, a inventé la fameuse pilule M2A (Mouth to Anus), une caméra-émétrice miniaturisée permettant de visualiser l’intestin grêle. Non, nous ne sommes pas dans un roman d’anticipation scientifique, mais face à une réalité d’ores et déjà appliquée dans le monde médical moderne. Mais comment toute cette merveilleuse aventure a-t-elle commencé ? C’est en 1981, au cours d’un congé sabbatique de son occupation régulière d’ingénieur chef du Département de recherche électro-optique du Groupe Rafael, le secteur de recherche et de développement du Ministère de la Défense d’Israël, que le Dr Gavriel Iddan a commencé à s’intéresser à la question de l’imagerie médicale. Ce fut le point de départ de la création d’une invention fabuleuse qui, en fait, a vu le jour dans le cadre du développement de projets destinés à la transmission d’images par les missiles. Parallèlement, le Dr Iddan travaillait sur un projet de recherche pour la société israélienne Elscint Inc., spécialiste des appareils pour ultrasons et radiographies. Suite à une rencontre avec le professeur Eytan Scapa qui, à l’époque, enseignait à la Harvard Medical School, le Dr Iddan a été atteint du «virus de l’imagerie médicale». Il s’est alors rendu dans un grand nombre de départements hospitaliers en Israël et c’est ainsi qu’il a accessoirement conçu une caméra pour les angiographies. Mais ce n’est qu’en 1992, au retour d’une autre année sabbatique pendant laquelle il a travaillé chez Eastman Kodak à Rochester, que l’idée extraordinaire d’une caméra destinée à être avalée lui est venue à l’esprit. Afin de bien comprendre les besoins des patients, il a accepté de se soumettre à une colonoscopie ! C’est à ce moment précis qu’il a eu l’idée de lancer un missile miniature capable à la fois de voyager dans le corps humain et de transmettre des images. Il avait cette «idée folle» de créer une capsule qui, pouvant être facilement ingurgitée, sillonnerait l’ensemble de l’appareil gastro-intestinal tout en transmettant des images pendant le trajet. Là où l’idée du Dr Iddan est révolutionnaire, c’est que son invention ouvre une nouvelle frontière permettant à la médecine de se lancer dans une terre inconnue, celle de l’imagerie précise de l’intestin grêle. En effet, aucune autre méthode médicale connue à ce jour n’a jamais permis de prendre de tels clichés. La société israélienne qui développe et commercialise la capsule endoscopique ainsi que les logiciels d’évaluation porte le nom de «GIVEN Imaging», «GIVEN» étant un acronyme pour Gastro-Intestinal Video Endoscopy. Établie fin 1998, la compagnie a réussi avec succès à surmonter les grands problèmes de taille, de poids, de puissance et d’autonomie des piles, de transmission et de qualité des images, etc. Au mois de janvier 1999, les premiers prototypes étaient déjà disponibles et dès le mois de mai 2000, les résultats des premiers essais sur des animaux ont été présentés. Curieusement, en parallèle, en Angleterre, une autre équipe, celle du Dr Paul Swain, travaillait sur une technologie permettant de réaliser des endoscopies sans fil et en 1996, son équipe réussit à capter les premières images émises de l’estomac d’un cochon. Le Dr Iddan était très conscient du fait que si son invention devait avoir un avenir, celui-ci ne pouvait être assuré que par des moyens commerciaux importants. Du fait que la société Rafael travaille dans le cadre du Ministère israélien de la Défense, elle n’avait aucune structure lui permettant de développer des applications civiles. Le Dr Iddan s’est alors mis à la recherche d’organisations commerciales disposées à relever ce nouveau défi en investissant dans la recherche et le développement de cette invention. C’est ainsi qu’il fit la connaissance du Dr Gavriel Meron. Les deux chercheurs s’étaient déjà rencontrés brièvement en 1995 lorsque ce dernier dirigeait la société Applitec Ltd, spécialisée dans le développement et la commercialisation des caméras vidéos pour les endoscopies. Le Dr Iddan présenta son projet et bien que le Dr Meron fut acquis à l’idée, il estima que le développement d’une capsule endoscopique pour l’imagerie diagnostique comportait bien trop de risques technologiques. Pendant les deux années qui suivirent cette entrevue, aucun progrès ne fut accompli. Malgré tout, le Dr Iddan continua ses recherches et en 1997, une patente fut acceptée aux États-Unis, car les technologies nécessaires pour le développement de la capsule endoscopique pouvant être avalée avaient fait des progrès. C’est à ce moment que le Dr Meron reprit contact avec la société Rafael Development Corporation (RDC), qui a pour fonction d’exploiter les technologies mises au point par Rafael. Il leur proposa de créer ensemble une start-up, dont le but serait de développer et de commercialiser la fameuse capsule. Un accord fut trouvé, le Dr Meron quitta son poste chez Applitec, se mit à la recherche de fonds, se lança dans la mise en place d’un plan d’affaires et de faisabilité et finalement la société GIVEN vit le jour. Pendant ce temps, l’équipe du Dr Swain continuait ses recherches sans être au courant de la fondation et des plans de GIVEN. Mais la grande percée historique eut lieu en 1997, lorsque le Dr Meron rencontra pour la première fois, lors d’un congrès à Birmingham, le Dr Swain et le Dr Alexandre Moss, de l’hôpital Mount Sinai de New York. Le Dr Meron leur présenta ses plans et les équipes se mirent à travailler ensemble. C’est ainsi que GIVEN Imaging Ltd put prendre son grand et véritable envol. Outre le fait que la capsule endoscopique en tant que telle constitue une révolution technologique en soi, elle offre de nombreux autres avantages. Tout d’abord, la procédure est incroyablement facilitée. Pour ceux qui savent ce qu’est une endoscopie de l’intestin grêle, les souffrances, l’énergie et les risques qu’elle implique, il est évident que la capsule constitue un petit miracle. Il est connu que les états pathologiques de l’intestin grêle sont particulièrement difficiles à identifier, sans parler du fait que les méthodes courantes (notamment celle appelée «push enteroscopy» qui consiste à introduire progressivement un tuyau ne mesurant «que deux mètres» pendant une durée de six heures en moyenne) ne permettent que d’examiner le premier tiers de cet organe qui mesure huit mètres de long. C’est pourquoi, lorsque l’on sait qu’il suffit d’avaler la capsule qui est de la taille d’une grosse gélule de vitamine pour obtenir une image claire et explicative, on peut affirmer que la capsule est définitivement un outil non invasif d’exploration diagnostique. En effet, aucun tuyau ni aucun câble de fibre optique ne sont introduits dans le corps du patient. Celui-ci est muni d’une ceinture contenant un disque dur et une série de capteurs placés à différents niveaux du corps (surtout autour de l’abdomen) qui est ensuite fixée sur le patient qui garde toute sa mobilité et peut vaquer normalement à la plupart de ses occupations de la journée. L’enregistrement des données transmises par la capsule dure huit heures. Celles-ci sont ensuite évaluées par le médecin sur un simple écran d’ordinateur muni d’un logiciel spécialement mis au point par GIVEN. Celui-ci offre un moyen unique et rapide de visualiser les résultats du test et permet non seulement de voir les images ainsi transmises une à une, mais aussi de suivre le trajet effectif suivi par la capsule. Grâce à la capsule, il est aujourd’hui possible d’établir un diagnostic là où toutes les méthodes conventionnelles d’examen ont échoué. Un autre avantage de la capsule M2A est que celle-ci évite des examens souvent très astreignants à des patients déjà affaiblis ou âgés. A ce jour, il est démontré que les images transmises par la capsule endoscopique permettent dans 60% des cas d’établir des diagnostics justes lors de saignements obscurs de l’appareil digestif et de proposer les traitements adéquats, alors que les méthodes concurrentes, notamment la «push enteroscopy», ne sont effectives que dans 30% des cas. En effet, si la partie supérieure et la partie inférieure du tractus gastrique peuvent être examinées de façon invasive et pénible, la difficulté réside dans l’imagerie de l’intestin grêle, si difficile d’accès. Cela étant, il faut dire que la capsule a encore un certain nombre de manquements. Par exemple, une fois avalée, la M2A passe très rapidement par l’œsophage, cette partie du tube digestif qui s'étend du pharynx jusqu'au cardia de l'estomac, dont les parois, de par leurs mouvements, assurent la descente du bol alimentaire à une vitesse telle que l’émission de deux images par seconde est nettement insuffisante. L’idée est donc de développer une capsule capable de donner des informations cliniques utiles et sûres, à même de transmettre des images à une vitesse nettement supérieure, 20 images par seconde au lieu de 2. L’autre problème est que pour l’instant, la capsule est uniquement destinée à donner des images et une évaluation de l’intestin grêle ce qui signifie qu’elle a été conçue pour avancer dans une seule direction et ce dans l’espace réduit d’un tube où elle n’a pas la possibilité de tourner sur elle-même. En fait, la capsule n’est pas faite pour travailler dans une surface élargie, tel l’estomac ou le colon. En passant par ces organes, elle retransmet certaines images, mais elle n’offre pas encore une vue d’ensemble. Le prochain stade de développement portera sur la mise au point d’une ou plusieurs capsules pouvant être orientées de manière à donner des images claires et précises de ces parties du tube digestif. Dans une conversation avec le professeur SAMUEL N. ADLER, professeur de gastro-entérologie et membre du conseil consultatif médical de GIVEN, celui-ci nous a notamment confié: «Je pense que grâce à la capsule M2A, nous sommes à l’aube d’une révolution en ce qui concerne les maladies de l’intestin grêle. Nous voyons des images qui nous étaient inconnues par le passé et dont nous découvrons progressivement la réalité. D’une certaine manière, nous sommes un peu comme Christophe Colomb qui a découvert un nouveau territoire totalement en friche. Aujourd’hui, la M2A offre une évaluation unique au monde pour déterminer la source de saignements obscurs et je dirai qu’il est simplement immoral de soumettre un patient à une endoscopie pénible et difficile de l’intestin grêle lorsque l’on sait ce que cette capsule peut offrir. Je pense que dans un avenir très proche, cette méthode deviendra courante et même banale. Pour terminer, je voudrais souligner qu’aujourd’hui, plus de cent personnes travaillent pour GIVEN, cette petite société israélienne qui a révolutionné un aspect important de l’établissement du diagnostic. En un temps où Israël vit une période si difficile, je trouve particulièrement engageant qu’un groupe de personnes extrêmement talentueuses, tant Israéliennes qu’immigrantes, ait fait le choix délibéré de se mobiliser pour une idée et de travailler sur un projet en Israël alors que leurs capacités seraient nettement mieux rétribuées à l’étranger.» La capsule M2A n’en est qu’à ses débuts et son développement est plus que prometteur. La société GIVEN Imaging va bientôt faire son entrée sur le NASDAQ, ce qui constitue une idée de diversification de portefeuille pour des investisseurs éclairés. |