Des champignons pour la vie
Par le professeur Solomon P. Wasser *
Les propriétés curatives et nutritives des champignons ne sont pas chose nouvelle pour l'humanité, néanmoins, au sein des sociétés dites «mycophobes» de l'Occident (notamment plusieurs pays européens et l'Amérique du Nord), elles commencent seulement à être reconnues. Pour les mycophobes, l'association première soulevée par le mot champignon est «vénéneux» et les gens ignorent en général l'existence d'espèces différentes de champignons et leurs qualités.
En Extrême-Orient, en revanche, de nombreux champignons sont hautement prisés pour leurs propriétés salutaires tant sur le plan physique que spirituel, et ce depuis des centaines et même des milliers d'années. Les sages taoïstes de la Chine ancienne utilisaient le Reishi ou Ling Zhi (Ganoderma lucidum) pour aiguiser la mémoire et les capacités mentales, pour calmer les sens, renforcer le cœur, éveiller l'esprit. Au Japon, en Chine, en Corée et au Vietnâm, des marchands ambulants vendent encore des champignons médicinaux à l'homme de la rue qui s'en sert pour se maintenir en bonne santé et assurer sa longévité, comme cela se fait depuis des centaines d'années.
Fort heureusement, les attitudes occidentales primitives vis-à-vis des champignons sont en train de se transformer en intérêt et recherche. La prédilection grandissante du public pour une alimentation naturelle est une des raisons majeures de ce changement, une autre étant la découverte récente par les chercheurs des importantes substances bio-actives des champignons. Citons comme exemple un polysaccharide du shiitake (Lentinus edodes, un autre champignon connu et utilisé depuis les temps anciens dans les pays d'Extrême-Orient), appelé lentinan. Le lentinan est aujourd'hui un des principaux médicaments anticancéreux (p.e. cancer de l’estomac). De nombreuses autres substances présentes dans les champignons médicinaux ont des propriétés fongicides, anti-inflammatoires, antivirales, bactéricides, parasiticides; elles font baisser le taux de cholestérol dans le sang, elles protègent du diabète et de l’artériosclérose, elles évitent l'empoisonnement du foie et normalisent la pression artérielle.
Pour l'instant, la plupart des recherches scientifiques dans le domaine des champignons médicinaux s'inspirent des usages établis par la tradition. Mais ce n'est là qu'un début. Une grande majorité d'espèces (il y en a environ 10 000) n'a pas encore été exploitée et il y a de fortes chances d'y trouver une infinité de sources d'aliments sains, de suppléments alimentaires, pharmaceutiques ainsi que bien d'autres substances utiles.
Il y a de bonnes raisons d'investir des efforts dans une telle recherche. Premièrement, les champignons s'acquittent d'une tâche que les plantes vertes sont incapables d'effectuer: ils se nourrissent de matériaux ligneux et cellulosiques, ainsi que de déchets agricoles, forestiers et industriels - sciure, paille, épis de maïs, coquilles de graines, etc. Ensemble avec les plantes vertes, ils peuvent former un cycle d'émission zéro, éliminant ainsi le problème des déchets et de la pollution. Deuxièmement, contrairement aux plantes vertes, ils ont un autre cycle de vie qui leur permet de faire usage de périodes et de lieux impropres à toute autre culture. Troisièmement, la plupart des champignons peuvent être cultivés non sous la forme connue de carpophore, mais comme mycélium (ce qu'on voit généralement sous le sol, des filaments blancs ou hyphes). Ce mycélium a en général la même composition biochimique que celle des fruits; elle est souvent plus stable et prévisible. La culture du mycélium par la biotechnologie peut produire de nos jours de grosses quantités de biomasses en l'espace de quelques jours ! On peut imaginer sans peine les usages prometteurs pour l'homme, en médecine, en pharmacologie et en cosmétique.
L'industrie des champignons médicinaux et nutritifs est en pleine expansion. Les estimations actuelles parlent de 18 milliards de dollars par an, montant semblable à celui du coût de la production du café. A chaque décennie, de nombreuses formes de suppléments alimentaires constitués à partir de champignons (fruit et mycélium) font la conquête du marché. Les tendances mycophobes s'estompent et cèdent le pas aux compositions nouvelles à base de champignons qui renforcent la santé physique et mentale. Leurs effets sont analogues à leur propre évolution: de même que les champignons se nourrissent des déchets de la forêt en décomposition et transforment ces matériaux pourrissants en nourriture savoureuse, de même ils aident le corps humain à éliminer ces déchets et à les recycler en valeurs saines.

Le royaume des mykobiota
Le royaume des mykobiota (du grec mycokes, «champignon») est une des merveilles du monde organique. Ni tout à fait végétal, ni tout à fait animal, le champignon possède des caractéristiques défiant toute classification (et forçant les chercheurs à lui attribuer une réalité propre). De surcroît, le nombre d'espèces existantes est absolument époustouflant: près de 75 000 sortes de champignons ont été scientifiquement répertoriées et cet inventaire est loin d'être exhaustif: chaque année, quelque 2000 nouvelles espèces sont documentées sur un total probable de 1,5 million de variétés différentes de champignons, proliférant dans une diversité d'habitats: en eau douce et en eau saline (inclus dans la mer Morte où 1 litre d’eau contient 360 grammes de sel), dans le sol et en plein détritus, dans l'air, sur les plantes et sur les animaux vivants ou en décomposition et même sur du fumier.
Les champignons ressemblent à la fois aux animaux et aux plantes. Comme chez les animaux, on trouve de l'urée (principale composante solide dans l'urine des mammifères) dans leur métabolisme, de la chitine (un polysaccharide de fonction et de structure similaire à la cellulose) dans leurs parois cellulaires et ils se servent de glycogène (un autre polysaccharide) comme réserve. A l'instar des plantes, ils absorbent leur nourriture plutôt qu'ils ne l'ingèrent, ils continuent à pousser toute leur vie et ils sont immobiles. Ils occupent donc une position intermédiaire entre univers végétal et univers animal. Ce sont des organismes hétérotrophes (non-photosynthétiques), ils ne produisent pas de chlorophylle, la substance alimentant les plantes, et dépendent donc de substances carboniques riches en énergie fabriquées par d'autres organismes. C'est la raison pour laquelle les champignons jouent un rôle singulier dans les écosystèmes: ils sont saprophytes (ils se nourrissent d'organismes en décomposition) ainsi que les parasites de plantes et d'animaux. Ils vivent souvent en symbiose avec des plantes (par exemple avec des algues, sous forme de lichen, ou dans les racines de certaines plantes et arbres, par le système de la «Mykorhiza»). Sans champignons, de nombreuses plantes ne pourraient survivre. Les champignons ont également de remarquables facultés d'adaptation - ils produisent des enzymes qui leur permettent de survivre sur pratiquement n'importe quel substrat (le matériau sur lequel pousse un organisme).
Les champignons sont des organismes très anciens. En raison de leur structure, très peu de fossiles ont été conservés et par conséquent, on peut difficilement dater leur apparition dans l'univers. On a retrouvé spores, filaments ou fragments tissulaires de groupes évolués de champignons dans des strates remontant à plus de 800 millions d'années (peut-être même à 2500 ou 3000 millions d'années).
Humains et champignons ont une longue histoire en commun. Des études archéologiques ont démontré que le champignon est connu de l’homme depuis environ 30 000 ans. Le témoignage archéologique le plus ancien est sans doute la représentation d'un champignon sur les murs des caves Tassili dans le nord de l'Algérie, peinte il y a quelque 7000 ans. En 1991, un groupe de randonneurs dans les Alpes italiennes tomba sur les restes bien préservés d'un homme mort plus de 5300 ans auparavant: «l'homme des glaces», comme on le surnomma, était équipé d'un sac à dos, d'une hache en silex et de deux types de champignons. Des champignons comestibles appelés «akkhut» sont mentionnés dans un hiéroglyphe égyptien datant de 2700 avant notre ère. Dans l'Antiquité, les champignons étaient fort appréciés tant à Babylone, qu'en Grèce et à Rome. Euripide mentionne des champignons vénéneux en 450 avant notre ère et le philosophe grec Théophraste, du IIIe siècle, parle de truffes dans ses écrits. Au Ier siècle, l'historien et naturaliste Pline décrivit plusieurs champignons comestibles de façon tellement détaillée, qu'on peut encore aisément les identifier de nos jours.
Chez les Mayas d'Amérique centrale également, les champignons étaient fort prisés. Au cours de fouilles archéologiques dans un centre rituel maya dans le nord-est du Guatemala, près de la région de Tikal, on a découvert des pierres-champignons (appelées ainsi à cause de leur forme), sans doute utilisées au cours de cérémonies religieuses. Il semble que les Mayas ingéraient des champignons hallucinogènes et attribuaient de hauts pouvoirs aux visions qu'ils provoquaient. Ils l'appelaient teonanakatl, le «champignon divin». L'usage des champignons dans l'alimentation et en médecine est multiple, surtout en Russie(Chaga-Inonotus obliqus) et en Chine, où le polypore verni (Ganoderma lucidum) ou Reishi,Lin Zhi en chinois, est considéré comme l'herbe d'immortalité. Même des champignons mortels sont utilisés comme antidotes à l'empoisonnement, selon le principe professé par la médecine populaire: guérir le mal par le mal. Malheureusement, comme dans bien d'autres aspects de la recherche mycologique, la plupart des bienfaits de telle ou telle espèce, dont font état les peuplades indigènes, demandent encore à être objectivement évalués.
L'association entre champignons et humains a aussi ses côtés sinistres. L'empereur romain Claude et le pape Clément VII ont été tous deux empoisonnés par leurs ennemis avec la mortelle amanite phalloïde. Selon la légende, Bouddha mourut de l'ingestion d'un champignon poussant sous terre.
Le goût ou l'aversion des gens pour les champignons est intimement lié aux attitudes culturelles. Certains pays ont un penchant traditionnel pour les champignons - la Russie, l'Italie, la Pologne, la France, l’Allemagne et l'Ukraine -, d'autres au contraire en ont horreur, comme l'Angleterre et l'Irlande. Vers la fin des années 50, on a assisté au développement de l'ethnomycologie, étude de l'influence des champignons sur les cultures des divers peuples du monde.
Qu'en est-il des Juifs et des champignons ? Et bien, étant donné que tant d'espèces contiennent des vers, les lois de la cacherouth interdisent leur consommation, avec l'exception notable de la chanterelle (Cantharellus cibarius). C'est la raison pour laquelle, jusqu'à récemment, Israël figurait dans la catégorie des nations mycophobes.
Au cours de la dernière décennie toutefois, on assiste en Israël à un intérêt croissant pour les champignons, dû en grande partie à l'arrivée massive d'amateurs de champignons venus des pays de l'ex-Union soviétique. La cueillette de champignons comestibles est appelée en Russie la «troisième chasse» - la chasse d'animaux et la pêche occupant les deux premières places. De nombreux rapatriés russes ont des souvenirs d'enfance vifs de cette troisième chasse, qui leur a fait connaître les merveilles de la nature et les mystères des forêts, avec ses énigmes, les joies de la quête et les rencontres inattendues.
En raison de sa position géographique, de la présence d'une large variété de caractéristiques physiques et de sa riche histoire paléographique, Israël se distingue par une diversité biotique extraordinaire, qui s'applique également aux champignons: près de 1000 variétés y poussent, dont plus de 200 comestibles. Israël possède même ses propres espèces endémiques qui n'ont pas encore été découvertes ailleurs dans le monde: Macowanites galileensis, Russula carmelensis, Boletus reichertii, Agaricus nevoi, etc.
Sur les quelques milliers d'espèces poussant en Israël, 35 à 40 sont vénéneuses et/ou hallucinogènes. Certains champignons, telle l'amanite phalloïde, sont tellement toxiques qu'une dose minime peut être fatale. D'autres ont des effets plus modérés, causant des problèmes gastriques, d'autres encore produisent des effets désagréables sur certains individus seulement ou lorsqu'ils sont absorbés avec de l'alcool. En raison de la grande diversité de leur apparence et du fait qu'une dose minime suffit dans certains cas pour tuer, la règle principale pour le chasseur novice est la suivante: si vous n'êtes pas accompagné d'un chasseur expérimenté, contentez-vous de faire la cueillette de champignons dans votre supermarché local !
Même si vous avez cueilli vos champignons avec l'aide d'un spécialiste, appliquez les règles suivantes: 1. consommez une espèce à la fois; 2. mangez uniquement les spécimens en bonne condition (sans larves et dépourvus de points mous ou de taches de décoloration causées par des bactéries ou des levures); 3. évitez les champignons jeunes dont il est difficile de déterminer l'espèce; 4. cueillez toujours le carpophore entier, pied et volve compris (ce qui facilitera l'identification); 5. évitez les champignons qui peuvent avoir souffert du gel; 6. cuisez bien les champignons; 7. consommez d'abord une petite quantité (vous risquez de faire une allergie); 8. faites en sorte que chaque membre de la famille goûte chaque nouvelle sorte de champignon pour tester sa réaction personnelle.
Divers facteurs influencent la croissance des champignons: le type et l'humidité du substrat et de l'air, la température, l'altitude par rapport au niveau de la mer, la direction du vent. De nombreux champignons poussent dans les forêts et régions boisées: sur les feuilles mortes, sur des branches et des souches mortes ou en décomposition ou sur les troncs et les branches d'arbres vivants. D'autres espèces ont besoin de conditions différentes et poussent dans les prés, dans des endroits souterrains ou encore sur du fumier. Certains champignons, comme le Nyctalis asterophora, poussent uniquement sur les carpophores morts ou décomposés (structures des champignons produisant les spores) d'autres champignons. Certaines espèces forment un «anneau magique» dans lequel le mycélium (matériau à partir duquel le carpophore se développe) rayonne à partir du point initial de germination, produisant des cercles d'un vert foncé sur l'herbe. Ces formations, observées dans les prairies de l'Amérique du Nord et dans d'autres régions, atteignent parfois jusqu'à 250 mètres de diamètre et on estime leur âge à 600 ans. Elles ont suscité des croyances superstitieuses selon lesquelles ces traces marquent les lieux où les fées célébraient leurs réjouissances nocturnes.
L'étude de la composition chimique des champignons fournit d'amples preuves de leur valeur nutritive. En général, ils contiennent 85-93 % d'eau, 4-5 % de protéines, 0,5-1 % de graisse, 4-5 % d'hydrates de carbone et environ 1 % de minéraux. Comme source de protéines, les champignons ne peuvent certes être comparés à la viande - une partie de leurs protéines apparaissent d'ailleurs sous une forme indigeste - mais ils constituent une bonne source de minéraux comme le fer et le cuivre. On a également constaté leur haute teneur en vitamine C, en acide nicotinique et en acide pantothénique. En revanche, la valeur calorique des champignons est faible, environ 25-30 calories par 100 grammes.
Les champignons en Israël poussent dans une variété de milieux. On trouve des champignons comestibles - particulièrement les espèces proliférant à la racine de certains arbres - en abondance dans les forêts de chênes du nord d'Israël (régions boisées méditerranéennes), dans les forêts de la haute et basse Galilée, sur le mont Carmel, sur le plateau du Golan et dans les collines de Judée. Les champignons poussent également dans les forêts de pins autour de Jérusalem, de novembre jusqu'en mars. De janvier à avril, on trouve les très recherchées truffes (champignons hypogés) qui poussent à une profondeur de 10-20 cm sous terre dans les dunes du nord-est du Néguev. Elles prolifèrent dans les racines de l'hélianthème (Helianthemum sessiliflorum), de l'armoise (Artemisia monosperma) et du plantain argenté (Plantago albicans).
Selon une légende transmise par le géographe grec Pausanius, le héros mythologique Persée, «… étant assoiffé, tomba sur un champignon [myces en grec], … il but l'eau qui en coulait et étant satisfait, donna à ce lieu le nom de Mycenae». Les amateurs de champignons en Israël n'iront sans doute pas jusqu'à établir des villes chaque fois qu'ils trouvent un champignon, mais la joie de la cueillette dans les forêts inondées du vert hivernal, avec le ciel d'azur méditerranéen au-dessus de leur tête, n'en sera pas moins intense.

Encadré
Le «International Center for Cryptogamic Plants and Fungi» de l’Université de Haïfa désire trouver des investisseurs intéressés à commercialiser les additifs diététiques issus des champignons médicinaux et mis au point par l’Institut de l’Évolution. De plus, le Centre sera reconnaissant pour toute contribution financière faite à son programme de recherches.


* Le professeur Solomon P. Wasser, Ph.D, D.Sc., est professeur de mycologie et de botanique à l’Université de Haïfa.