Jörg Haider | |
Par Hans-Henning Scharsach * | |
UN HOMME À L’AFFÛT DU POUVOIR Au début du mois de mars, Jörg Haider a remporté une victoire écrasante en Carinthie (Autriche du sud), mais le contrecoup a suivi en juin, lors de sa défaite aux élections européennes. Nul ne conteste à Jörg Haider, le très populaire démagogue de droite autrichien, son poste de ministre de sa province. Son but déclaré, la chancellerie fédérale, semble encore toutefois lui échapper. Il est en lice pour l’élection au Conseil national du 3 octobre, mais il ne part pas favori. Son Parti libéral (Freiheitliche Partei Österreichs FPÖ) n’a pas pour autant abandonné la course, bien au contraire. Au sein du Parti Populaire Autrichien (Österreichische Volkspartei - ÖVP), chrétien-démocrate et conservateur, certains leaders politiques influents pensent que le moment est venu de quitter la grande coalition. Leur argumentation est concluante: une coalition avec le Parti Libéral (FPÖ), mais sans Haider, se heurterait à une moindre résistance de la part de leur électorat chrétien-social qu’une collaboration avec ce célèbre démagogue, à qui ses propos sur «la politique de l’emploi opportune du Troisième Reich» ont déjà une fois coûté le poste de ministre de la province de Carinthie. Le Parti libéral (FPÖ) ne saurait toutefois pas être moins à droite que son dirigeant. L’antisémitisme et l’extrémisme de droite font partie intégrante de son histoire. L’antisémitisme Les fonctionnaires du parti qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a rassemblé les «anciens» et qui a élu un ancien officier SS à la tête de son assemblée constituante, ont toujours été à l’origine d’excès antisémites. La longue liste des scandales est émaillée d’événements marquants de très mauvais goût. En 1971, le Conseiller communal viennois FPÖ, Karl Peter, a émis de très vives critiques, en tant qu’ancien dirigeant de «l’Union antisémite», à l’encontre du président du FPÖ, Friedrich Peter, parce que celui-ci voulait inviter ses amis du parti «à s’asseoir à la même table avec des Juifs». En 1973, le vice-président viennois du FPÖ, Hans Klement, s’est opposé à une coalition avec «le Juif Kreisky», parce qu’il y percevait un «problème racial». Un fonctionnaire viennois du FPÖ, Karl Schmidt, a distribué des pamphlets antisémites jusque dans les années 1990, malgré plusieurs condamnations: il y était question de la «rejudaïsation» du quartier viennois de Leopoldstadt. Herbert Schweiger, qui était parvenu jusqu’au poste de vice-président du parti dans le Land de Styrie et qui était le candidat favori du FPÖ à Graz, a affirmé devant les tribunaux qu’Auschwitz était un «mémorial du mensonge». Les pertes de vies juives se seraient situées, selon lui, «dans des limites tolérables, entre 300’000 et 400’ 000». En 1989, Raimund Wimmer, président de la puissante organisation de district du FPÖ dans le Land de Haute-Autriche, lançait un avertissement: «Je connais les Juifs… j’ai appris à les connaître en Galicie, j’ai appris à les connaître en Russie. Vous seriez bien étonnés si des Juifs à papillotes (Bejkelesjuden) se promenaient dans Vienne !». En 1990, Peter Müller, président du FPÖ à Bad St. Leonhard, déclarait: «Nous avons recommencé à bâtir des fours. Mais pas pour vous, Monsieur Wiesenthal. Vous avez la place qui vous revient dans la pipe du Jörgl (diminutif de Jörg).» Robert Dürr, fonctionnaire du FPÖ dans le Burgenland, que Jörg Haider avait voulu promouvoir à la tête du parti dans le Land en dépit de la hiérarchie, a été démasqué en tant que collaborateur du journal de propagande antisémite «Sieg» (Victoire). Dürr a qualifié Simon Wiesenthal de «sale juif» et a prétendu qu’Israël exportait des produits alimentaires empoisonnés vers l’Autriche. Le Freiheitliche Gemeindekurier a été dénoncé pour «dénigrement de doctrines religieuses», suite à la publication d’une caricature antisémite. La lecture de l’histoire Selon le Parti libéral, pour avoir une vision juste de l’histoire, il convient de souligner les «bons côtés» du national-socialisme, d’atténuer la gravité des crimes nazis, de criminaliser la résistance à Hitler et les critiques contre la loi sur l’interdiction professionnelle. Les députés viennois sont co-responsables, en tant que fonctionnaires de la parution d’Eckartbote, une gazette d’extrême-droite qui répand l’idée du «mensonge d’Auschwitz», qui commémore l’anniversaire de Hitler ou le décès de Heydrich et qui qualifie la résistance à Hitler de «haute trahison». Andreas Mölzer, devenu sous Haider «responsable au sein du FPÖ des questions de principe» et représentant des libéraux au Conseil national et au Conseil fédéral, a contribué, avec d’anciens nazis, néo-nazis, criminels de guerre et révisionnistes, à la rédaction de journaux qui décrivent les services de la sécurité de l’État comme étant «néo-nazis, fascistes et anticonstitutionnels». La violence brune Chaque fois que la «violence brune» néo-nazie faisait la une des journaux de l’Autriche d’après-guerre, des liens avec le Parti libéral étaient mis à jour. Les négationnistes et terroristes nazis les plus tristement célèbres proviennent du Parti libéral. Norbert Burger, terroriste du Sud-Tyrol et co-fondateur du parti néo-nazi NDP, venait du RFS, Ring der Freiheitlichen Studenten(Cercle des Étudiants Libéraux). Bruno Haas et Harald Schmidt, chefs du groupement terroriste ANR, étaient membres de la Jeunesse Libérale. Gottfried Küssel, condamné à onze ans en tant que récidiviste et qui vient de bénéficier d’une remise de peine, s’était porté candidat pour le FPÖ dans sa commune d’origine, Payerbach an der Rax. Les dérapages de Haider Jörg Haider n’a jamais nié les propos antisémites de ses camarades de parti. Sous sa direction, les militants de la plus nébuleuse des organisations néo-nazies ont obtenu des postes au sein du parti. Selon le dirigeant du FPÖ, la «politique de l’emploi» des national-socialistes était «juste» et les camps de concentration n’étaient que des «camps d’internement pénal». Même en 1988, année commémorative, il n’a assisté à aucune manifestation en souvenir des victimes du national-socialisme. En revanche, il a participé à des fêtes traditionnelles des Waffen SS. En octobre 1995, il a pris la parole en marge de la réunion d’anciens nazis et Waffen SS qui s’est tenue à Ulrichsberg, qualifiant les participants «d’honnêtes citoyens qui ont défendu leurs convictions malgré les plus violents vents contraires et qui, aujourd’hui encore, leur sont restés fidèles». Dans la réflexion historique, Jörg Haider n’a pas une seule fois pris le parti des victimes. Il se tenait aux côtés des criminels. La chronique des scandales Bien davantage que les excès de langage de Haider, d’autres scandales ont donné du fil à retordre aux libéraux. Par exemple, la chute du député au Conseil national Peter Rosenstingl, qui avait laissé derrière lui une ardoise de plusieurs millions lorsqu’il s’est exilé au Brésil et qui vient d’être extradé vers l’Autriche, trois mois avant les élections au Conseil national. Ou encore la générosité des députés libéraux au Parlement européen, qui ont obtenu des postes grassement payés à l’Union européenne pour leurs famille et amis. Les électeurs ont la mémoire courte. Chaque scandale était suivi d’une chute dans les sondages, mais la reprise ne se faisait jamais attendre. Les instituts de sondage sont unanimes et parviennent toujours à la même conclusion: ce n’est pas à cause, mais malgré leur proximité avec l’extrême-droite et l’idéologie nazie que Haider et le FPÖ sont élus. Après sa débâcle lors des Européennes, le FPÖ a manifestement raté son but, qui était de devenir le plus grand parti au cours de son histoire. Il a atterri en troisième place et ses chances pour les élections au Conseil national sont plutôt maigres. Le chapitre Haider n’en est pas pour autant clos. Chacun sait bien que le Ministre du Land de Carinthie s’est mis en position d’attente, afin de redémarrer au moment opportun avant les prochaines élections au Conseil national. Haider, élu chancelier fédéral de l’Autriche, voilà qui serait une rupture au plan européen également. L’Autriche serait ainsi le premier et le seul État de l’UE à s’écarter du consensus antifasciste de l’après-guerre, qui représentait pourtant une des bases de la reconstruction de l’Europe. * Hans-Henning Scharsach, vice-rédacteur en chef de la revue autrichienne NEWS, est l’auteur de «Haiders Kampf» (Le combat de Haider) et de «Haiders Clan» (Le clan de Haider). |