Sables mouvants
Par Zvi H. Hurwitz*, Jerusalem
La date des prochaines élections israéliennes est fixée au 17 mai prochain, un excellent jour pour le Likoud. En effet, cela fera très exactement 22 ans jour pour jour que Menachem Begin a gagné sa première élection après avoir passé près de 30 années dans l’opposition, dotant ainsi Israël pour la première fois d’un Premier ministre non-socialiste. Pour ceux d’entre nous qui aiment jouer avec les nombres, peut-être y a- t-il une signification ou une cause à effet entre les chiffres 1977, 1999 et 22.
Au cours de ces 22 années, le Likoud a été pendant 16 ans le parti dirigeant, durant deux ans partenaire dans un gouvernement d’unité nationale avant de passer 4 ans dans l’opposition. Il a atteint son apogée avec 46 sièges à la Knesset et son point le plus bas aux élections de 1996 avec seulement 22 députés. Ce n’est que grâce à son alliance avec les partis Gesher (David Levy) et Tsomet (Raphaël Eytan), qui chacun disposait de 5 sièges, que le Likoud a alors pu former un bloc de 32 sièges.
Récemment, quelques personnalités importantes ont quitté le Likoud : David Levy, dont l’avenir politique est aujourd’hui incertain, a été obligé de s’allier au Parti travailliste ; le Dr Benjamin Begin a fondé sa propre formation qui porte le nom historique de «Hérouth» ; Dan Meridor est devenu l’un des membres fondateurs et dirigeants du nouveau mouvement centriste ; Yaakov Neeman est retourné à son étude d’avocats ; Itzhak Mordehaï s’est lié au Parti centriste, dont il s’est vu offrir la direction, et a été désigné comme candidat au poste de Premier ministre. Tous ont quitté le Likoud car ils avaient diverses raisons de se plaindre du Premier ministre, les uns avaient des désaccords d’ordre personnel, les autres des dissensions politiques ou idéologiques : pour certains, Benjamin Netanyahou était trop extrémiste, pour d’autres, trop mou. Diverses personnalités du Likoud ont décidé de défier Benjamin Netanyahou sur son propre terrain et ce au sein même des élections internes du parti. Il s’agit là d’une démarche tout à fait légale et normale pour tout parti démocratique digne de ce nom. Il serait en effet inconcevable, tant au niveau des partis qu’à celui du pays, qu’Israël se retrouve dans une situation identique à celle de son voisin syrien dont le leader vient d’être «réélu» avec 99.98% des voix.
En fait, ce genre de défi n’est pas seulement légitime, il est souhaitable. Je me souviens que pendant les nombreuses années où Menachem Begin dirigeait le Likoud, il était régulièrement bravé de la sorte, preuve que sa nomination ne faisait pas l’unanimité. Lors de l’élection de 1983 de Itzhak Shamir à la tête du parti, un individu totalement inconnu s’est présenté contre lui, obtenant une seule voix… la sienne. Cela dit, Uzi Landau est le premier à avoir défié Benjamin Netanyahou pour le leadership du Likoud, suivi par Moshé Arens qui n’a pas obtenu un grand succès lors des élections internes.
Le Parti travailliste, quant à lui, a connu une situation identique. En effet, son leadership est confronté à une bataille interne pour la direction du parti et le fait que la première place revienne à Ehoud Barak est loin de faire l’unanimité. Nombreux sont les responsables du Parti travailliste qui ne sont pas satisfaits de la manière dont il dirige les affaires du parti, les mauvais résultats de ses actions personnelles ayant nettement empiré depuis qu’il a engagé un «conseiller spécial» américain. Ce dernier a transformé Ehoud Barak, qui somme toute est quelqu’un d’assez agréable, en un politicien frustré et névrosé. Bon nombre de notables ont quitté le Parti travailliste pour se joindre au nouveau Parti centriste ou à un autre nouveau parti nouvellement fondé. C’est ainsi que Hagaï Merom, Nissim Zvilli et Ouri Savir (ancien directeur du ministère des Affaires étrangères à l’époque des Accords d’Oslo), tous trois des piliers du parti, ont rallié le nouveau Parti centriste. La femme qui était à la tête de la section féminine du parti a rejoint Pnina Rosenbloom, l’ancien top model qui a fondé un parti. Quant à Amir Peretz, qui dirige le syndicat de la Histadrout, il a créé le nouveau parti ouvrier, en dissidence du Parti travailliste. Il est particulièrement intéressant de constater que les «princes» du Parti travailliste, les enfants de feu Itzhak Rabin, ont également délaissé le mouvement. Son fils Youval dirige sa propre organisation et sa fille Dalia Rabin-Pelosoff s’est liée au Parti centriste.
Ce dernier ne constitue en fait pas un nouveau phénomène de la politique israélienne. En effet, lors des élections de 1977, une formation de ce type avait déjà vu le jour. A l’époque, elle était aussi fondée et dirigée par de grandes personnalités et des généraux : Yigal Yadin, Meir Amit, Shmouel Tamir, etc. Il y a toujours eu des «partis du centre» qui ont obtenu plus ou moins de succès.
Les sables mouvants dans lesquels les élections de 1999 se présentent sont le résultat direct d’un changement de système qui est entré en vigueur juste avant le scrutin de 1996. Cette procédure donne à l’électeur la possibilité de voter séparément pour le Premier ministre et pour un parti qui n’est pas absolument celui du candidat au poste suprême. Ce nouveau système est la cause du fractionnement du régime des partis politiques en Israël. Lors de son introduction, tout le monde pensait ou du moins espérait que par ce biais, les petits partis seraient éliminés du jeu. Or c’est exactement le contraire qui s’est produit : le nombre des petits partis a nettement augmenté. Fondamentalement, ce mécanisme est en fait assez bizarre. L’électeur se voit tout d’abord proposer un choix de plusieurs candidats pour le poste de Premier ministre, puis il peut voter librement pour l’un ou l’autre des partis, aussi minuscule et insignifiant qu’il soit. C’est ainsi qu’au cours des élections de 1996, Benjamin Netanyahou a obtenu la majorité des voix pour sa candidature au poste de Premier ministre (une large part provenait de l’électorat religieux) alors que parallèlement son parti, le Likoud, s’est retrouvé dans une coalition avec seulement 32 sièges, dont uniquement 22 lui étaient propres.
Le sort du Parti travailliste n’était pas bien meilleur. Son candidat à la fonction suprême a été battu de 30 000 voix et le parti en tant que tel s’est retrouvé avec un total de 36 sièges. Cette fois encore, le Parti travailliste est préoccupé. Il a d’ailleurs changé les couleurs de son drapeau, le rouge n’étant plus populaire en Israël, et a également modifié son nom en «Un Israël», espérant ainsi réunir sous cette bannière faîtière le parti Gesher de David Levy et Meimad, un groupuscule religieux qui s’est séparé du Parti national religieux. Ces trois groupes n’ont rien en commun si ce n’est le désir viscéral de remplacer le gouvernement actuel et surtout de se débarrasser de Benjamin Netanyahou.
A ce jour, l’image générale qui dominera à la veille de ces élections n’a pas encore émergé. Certains des nouveaux partis et groupes abandonneront leurs velléités avant le 17 mai prochain et seront vite oubliés. D’autres fusionneront et seront ainsi à même de dépasser le seuil requis pour entrer à la Knesset. Selon le système actuel, tout parti qui n’obtient pas 1% des voix est disqualifié et les votes qu’il a obtenus sont perdus et donc non transférables. C’est pourquoi tout permet de penser que le jour des élections, ce ne seront pas 50 partis qui se présenteront, mais considérablement moins. Finalement, tout se jouera entre les facteurs principaux de ce scrutin : le Likoud, le Parti travailliste, le Parti centriste, les éléments religieux et les Arabes israéliens.
Il y a peu de chances pour que l’un ou l’autre des candidats au poste de Premier ministre remporte l’élection dès le premier tour, car il faut obtenir 50% des votes. Il y aura donc un second tour qui aura lieu le 1er juin 1999 qui, selon toute vraisemblance, se jouera entre Benjamin Netanyahou et Ehoud Barak. Les adeptes du Likoud et ceux des partis religieux qui auront voté pour Itzhak Mordehaï ou pour Benjamin Begin au premier tour reporteront probablement leurs voix sur Benjamin Netanyahou. En définitive, il n’y aura que très peu de défections de part et d’autre.
Pour terminer, une constatation intéressante. A ce jour, les partis ont établi leurs listes de candidats pour la prochaine Knesset. Tous ont tenu, d’une manière ou d’une autre, des élections primaires. La liste du Likoud comprend, outre des ministres et des parlementaires expérimentés, tout un groupe de jeunes gens, pour la plupart des académiciens de haut niveau. Parmi eux plusieurs femmes et certains nouveaux venus d’origine séfarade ou orientale. Visiblement, Benjamin Netanyahou est encouragé par cette liste du Likoud, la presse est d’ailleurs unanime pour relever le fait que le parti présente une brochette très prometteuse de jeunes leaders. Le Parti travailliste, quant à lui, propose une liste qui dégage visiblement une tendance plus à gauche, avec une rétrogradation de certains ministres et dirigeants importants du parti. Ce qui est certain, c’est qu’il manque à cette liste l’enthousiasme et la dynamique que dégage celle du Likoud avec sa génération de jeunes candidats.

* Zvi H. Hurwitz est directeur général de la Menachem Begin Heritage Foundation.