Tous au centre
Par Emmanuel Halperin, Jerusalem
Consensus, unité, rassemblement, dénominateur commun, entente nationale : ce sont les mots clés de la campagne électorale en cours. Chacun veut ratisser large, mettre dans le même sac – son sac – ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas, ceux qui ne jurent que par Oslo et ceux qui dénoncent les accords conclus, il y a déjà cinq ans, avec l’OLP, ceux qui promettent d’évacuer au plus tôt le Sud-Liban et ceux qui s’entêtent à dire que, pour l’heure, cela n’est guère possible.
Presque toujours sans doute Israël a été gouverné au centre, mais jamais comme cette fois-ci les partis en présence n’auront fait de ce centre obscur l’objectif déclaré de leur discours politique et leur principal objet de désir.
Les fondateurs du parti du centre (MM. Milo, Méridor et Lipkin-Shakhak, rejoints par M. Mordehaï qui, à la suite d’un très rapide sondage d’opinion, a été intronisé leader de cette formation et donc candidat à la succession de M. Netanyahou) ont bien senti que l’air du consensus était devenu l’air du temps pour la majorité des Israéliens. D’où leur tentative d’affirmer, haut et clair, qu’ils ne sont ni de droite ni de gauche, ni tout à fait pour ni tout à fait contre et vice versa, et par conséquent pour tout le monde : ils connaissent la pointure miracle, la pointure universelle qui chausse tous les pieds et toutes les âmes. Leur seule erreur a été de croire qu’ils étaient les seuls capables de tenir ce discours. M. Barak, à la tête des Travaillistes, a bien vu qu’il lui fallait dissoudre le peu de gauchisme qui subsistait dans son parti – avec la figure emblématique, dressée comme un glorieux totem, de M. Peres à la deuxième place de sa liste – dans une solution unanimiste. Il a donc ajouté une pincée de religieux modérés (Meimad) et un zeste d’anciens du Likoud ayant transité, avec M. David Levy, par le parti Gesher, associé de M. Netanyahou jusque l’année dernière. Le tour est joué, puisqu’il est désormais difficile de considérer la formation de M. Barak comme étant plus à gauche que celle de M. Mordehaï. Ce dernier trouve par exemple dans son camp des personnalités comme la fille d’Itzhak Rabin ou comme Ouri Savir, directeur du Centre Peres pour la Paix et artisan des Accords d’Oslo. Quant à l’attitude à adopter à l’égard de ce qui apparaît comme le principal sujet de préoccupation des Israéliens sur le long terme, les rapports entre la religion et l’État (selon un récent sondage, plus de 60% des Israéliens considèrent que le clivage religieux - laïques est potentiellement le plus dangereux, bien plus que l’opposition gauche - droite et infiniment plus que le clivage ashkénazes - orientaux), Messieurs Barak, Netanyahou et Mordekhaï sont sur la même longueur d’onde : ils se sont courageusement abstenus de participer en février à la contre-manifestation «laïque et démocratique» le jour où les ultra orthodoxes ont manifesté à Jérusalem pour dénoncer la «dictature judiciaire» dont ils accusent la Cour suprême israélienne.
On ne peut pas dire que les positions politiques défendues aujourd’hui par M. Netanyahou apparaissent comme diamétralement opposées à celles de la gauche ou à celles du centre : sans doute le Premier ministre a-t-il freiné l’application des Accords d’Oslo, mais il a, à deux reprises, cédé des territoires à l’Autorité de Yasser Arafat (d’abord Hébron, puis la région de Jennin) et il promet d’appliquer l’accord de Wye Plantation «si les palestiniens tiennent leurs engagements». Sur le Liban non plus, on ne saurait guère percevoir de différences majeures : les candidats des trois grandes formations se disent favorables à une évacuation de l’armée israélienne, à la condition qu’un accord politique se dégage. Or personne ne sait au juste comment obtenir un tel accord, puisqu’il s’agit de convaincre la Syrie, laquelle réclame tout le Golan, ce à quoi aucun des trois principaux candidats au poste de Premier ministre ne saurait consentir.
Dans ces conditions seul M. Benny Begin apparaît comme porteur d’une idéologie nette et cohérente, mais sa dénonciation des accords avec les palestiniens et la difficulté où il se trouve de proposer une solution de rechange crédible, le cantonnent dans un rôle marginal. S’il obtient 10% des suffrages au premier tour, ce sera pour lui un grand succès.
La majorité des Israéliens estime donc – soit parce que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, soit par fatigue des idéologies et des positions tranchées – que l’avenir immédiat appartient au marais, qu’il n’est ni chair ni poisson, qu’il est fait de compromis tièdes et de concessions désagréables mais supportables. Peut-être avons-nous tort, disent-ils, mais mieux vaut vivre dans la douce illusion que la solution de nos problèmes est à notre portée que de nous enfermer encore (et pour combien de temps ?) dans la vision pessimiste et lucide d’une société en état de siège. Ce mouvement centripète se manifeste même au sein de formations qui s’étaient jusqu’à présent distinguées par une attitude politique clairement définie : le «parti russe» de M. Chtaransky, assez fidèle allié de M. Netanyahou, se repositionne désormais au centre et lorgne vers la gauche et le parti National Religieux donne les meilleures places à des modérés, qui n’auraient rien contre une participation de leur mouvement à un gouvernement Barak ou à un gouvernement Mordehaï.
Enfin, au plan économique et social, les candidats et les partis sont tous pour le plein-emploi, pour la santé publique, pour l’éducation, pour l’aide aux défavorisés, pour le logement social et pour la croissance. Les uns seraient plutôt pour un Thatchérisme à la Tony Blair, les autres pour un Blairisme à la Thatcher. Cherchez les différences, vous ne trouverez que de vagues nuances.
Netanyahou, Barak, Mordehaï ont fort bien perçu ce profond désir de normalité et de repos et tiennent tous trois un discours sans aspérités. Ce qui n’exclut pas la férocité des attaques personnelles, où l’art du pugilat est plus souvent mis à contribution que celui de la rhétorique.
Violences verbales d’une part, inanité ou anémie des messages politiques de l’autre : pour le moment, la campagne électorale israélienne bat son creux.
Les choses peuvent-elles changer ? A première vue, M. Netanyahou pourrait profiter de l’avantage que lui donne sa position de chef du gouvernement pour créer un événement déstabilisateur, afin de gonfler sa popularité le temps de passer le cap des élections. Ce n’est pas lui faire injure que de le supposer capable d'un tel jeu : presque tous ses prédécesseurs s’y sont livrés, soit en utilisant des instruments de la force militaire, soit en déversant soudain sur les électeurs une manne de bienfaits économiques.
M. Netanyahou doit donc manœuvrer au plus juste s’il veut se faire réélire. A deux mois du scrutin, sa position est délicate et les sondages, pour le deuxième tour, peu encourageants. Une raison de plus, pour le Premier ministre sortant, de chercher un soutien nécessaire au centre - la droite lui étant acquise - et par conséquent d’aligner plus ou moins son discours sur les propos fades de ses deux principaux concurrents. Les candidats au pouvoir gesticulent donc beaucoup en faisant du surplace, parlent énormément sans dire rien de neuf : le gouvernement israélien de l’an 2000 naîtra sans grande douleur et dans un flou parfait.