Rencontres roumaines | |
Par Roland S. Süssmann | |
Au cours de notre séjour en Roumanie, nous avons fait de nombreuses rencontres passionnantes, notamment de personnalités de la vie juive telles que M. DOREL DORIAN, rédacteur en chef de l'excellent bimensuel juif "Realitatea Evreiasca", et le sénateur RADU FELDMANN ALEXANDRU, député du Parti gouvernemental social-démocrate du président Petru Roman dont, il ne faut pas oublier, le père était Juif et portait le nom de Neulander.
S.E.M. Dorel Dorian M. Dorian, écrivain et dramaturge, est à la tête de "Realitatea Evreiasca" depuis environ trois ans et le délégué officiel de la Communauté juive au parlement roumain. Dans le cadre de ses diverses activités, il mène avant tout une campagne très dynamique contre les attaques et les parutions antisémites qui sont régulièrement publiées. "La situation économique dans laquelle se trouve la Roumanie étant précaire, les partis d'extrême droite utilisent ouvertement l'antisémitisme pour attirer les électeurs. Ils accusent les Juifs de tous les maux, en particulier d'avoir apporté le communisme en Roumanie. Cela est d'autant plus ridicule lorsque l'on sait que 400 000 Juifs ont fui le communisme roumain depuis 1947", nous a dit tristement Dorel Dorian. Très déterminé dans sa lutte contre les agissements de l'extrême droite nationaliste, il n'hésite pas à dénoncer les liens de celle-ci avec les dirigeants arabes tels que Kadhafi et Saddam Hussein. Dans le cadre de sa mission au parlement, M. Dorian tente d'obtenir le paiement de pensions pour les 700 à 800 Juifs revenus de déportation. Rappelons que 400 000 Juifs roumains ont disparu pendant la Deuxième Guerre mondiale, environ 150 000 ont été déportés à Auschwitz depuis la Transylvanie occupée par les Hongrois, 150 000 sont morts en déportation dans les camps de la Transnistrie (zone située entre la rivière Bug et le fleuve Dniestr): ce n'étaient pas des camps d'extermination disposant de chambres à gaz, mais les gens y mouraient de faim et de malnutrition. C'est également dans ces camps qu'ont été mis en place les fameux "trains de la mort " dans lesquels les déportés étaient entassés sans nourriture et sans eau. Les trains circulaient pendant des jours et des jours jusqu'à ce que tous les occupants meurent dans ces conditions affreuses. De plus, 80 000 Juifs sont morts de faim et de mauvais traitements, 25 000 autres sont tombés en Roumanie même, entre autres dans les massacres de Bucarest et de Iasi. Très conscient des réalités et des difficultés auxquelles la communauté juive de Roumanie est confrontée, M. Dorian s'exprime malgré tout avec un optimisme modéré en disant: "Notre ennemi est le temps qui passe, car nous sommes une communauté dont plus de 70% des membres sont âgés de plus de 65 ans. Toutefois, nous résistons encore à la disparition car, en définitive, nous sommes assez dynamiques ! " Le sénateur Radu Feldmann Alexandru Quant au sénateur Radu Feldmann Alexandru, seul sénateur juif en Roumanie, il était professeur de mathématiques avant la révolution. Écrivain de prose et de pièces de théâtre, philosophe et cinéaste, il a perdu plusieurs fois son emploi sous le régime de Ceauscescu. Ses écrits, de la littérature concentrationnaire, et ses pièces d'un théâtre réaliste et dur condamnant le régime étant interdits, Radu Feldmann Alexandru s'est retrouvé à faire des petits travaux dans une société de films d'animation pour enfants. Après la révolution, il a été invité par le Ministre des Affaires étrangères à rejoindre le ministère dans le but d'être nommé attaché culturel à l'Ambassade de Roumanie à Tel-Aviv. Connu seulement sous son nom de Radu F. Alexandru, il a rempli les papiers d'engagement en inscrivant son nom complet où figurait aussi la mention "Feldmann". Curieusement, il n'a jamais été nommé à Tel-Aviv. Hormis son épouse et sa fille Deborah, M. Alexandru n'a plus de famille en Roumanie, ses parents sont décédés, son frère, ses oncles et ses tantes vivent en Israël. Le Sénateur est également vice-président de l'association culturelle et d'amitié Roumanie-Israël, vice-président du groupe parlementaire d'amitié Roumanie-Israël et il vient d'être nommé vice-président du groupe parlementaire des amitiés Roumanie-Jordanie ! Malgr@B son travail de sénateur, M. Alexandru n'a pas abandonné l'écriture et l'une des pièces qu'il a écrites après la révolution vient d'être jouée par le Théâtre national de Roumanie à Bucarest et à Timisoara. Il est particulièrement intéressant de relever que cette pièce, qui traite d'un sujet juif et dénonce l'antisémitisme en Roumanie après la révolution, a connu un très grand succès et obtenu plusieurs prix littéraires. Sur le plan politique, le sénateur Radu Feldmann Alexandru estime que l'antisémitisme en Roumanie constitue un réel problème qui, à son avis, n'est pas combattu avec suffisamment de fermeté par le leadership communautaire actuel. Il regrette l'époque de feu le Grand Rabbin Moses Rosen szl. qui menait une guerre sans merci, dure et forte pour que les droits et la dignité des Juifs soient respectés dans son pays. "La lutte efficace contre l'antisémitisme et pour nos droits passe avant tout par l'action communautaire. Nous ne pouvons pas attendre des parlementaires, du Président ou des ministres, qu'ils participent à ce combat si nous nous contentons uniquement de mener des actions diplomatiques, pour ne pas dire timorées." Dans le cadre du parlement, M. Alexandru s'attaque en permanence à Vadim Tudor, le tribun du Parti nationaliste d'extrême droite. Vadim Tudor publie régulièrement des attaques ouvertement antisémites dans la presse qui, elle, refuse et surtout craint de publier les réponses du sénateur Radu Feldmann Alexandru ! Au moment de nous quitter, le Sénateur nous a encore dit: "Vadim Tudor, qui est très populaire en Roumanie, ne constitue pas un danger uniquement pour les Juifs, mais pour la survie de l'État de droit en Roumanie. Il a beaucoup d'adhérents car la patience de la population face aux difficultés économiques commence à être sérieusement à bout." |