La Guerre du Kippour 25 ans déja | |
Par Zvi H. Hurwitz | |
La Guerre du Kippour est l'expérience la plus traumatisante et dévastatrice que l'État juif a vécue depuis la Guerre d'Indépendance. Certes, le pays a connu des temps difficiles, voire terrifiants, mais rien de comparable à la Guerre du Kippour qui a duré dix-huit jours et au cours de laquelle Israël a déploré 2 569 morts et 7 500 blessés.
Le fait que les Égyptiens et les Syriens aient lancé leur agression le jour de Yom Kippour leur a donné un immense avantage psychologique. De son côté, Israël n'était simplement pas prêt pour une guerre. Ses dirigeants, qui avaient pourtant été avisés par les rapports des Services de renseignements, avaient fait une évaluation totalement erronée des dangers. Le mythe de l'invincibilité et de la force de l'Armée de défense d'Israël s'était subitement brisé en mille éclats. Soudain, la sécurité légendaire des frontières s'était avérée être une grave erreur d'appréciation et tout ce qui avait été considéré comme acquis depuis la brillante victoire de la Guerre des Six Jours s'est écroulé brusquement. Avec le recul, il est évident que la direction politique et militaire avait été gravement frappée d'une suffisance aveuglante. A cet égard, je citerai un exemple vécu. Deux mois avant la Guerre du Kippour, Itzhak Rabin, alors ministre du gouvernement de Golda Meir, en visite en Afrique du Sud, pays où je vivais, avait notamment déclaré au cours d'une soirée de collecte de fonds en faveur du "United Jewish Appeal" à laquelle assistaient environ 1500 personnes: "Je suis jaloux de celui qui m'a succédé au poste de Chef d'État major ("Dado" Elazar), car Israël dispose aujourd'hui des frontières les plus sûres que l'État juif n'ait jamais eues." Cela démontre combien les dirigeants israéliens de l'époque avaient faussement évalué la réalité sur le terrain. Golda Meir et Moshé Dayan refusaient de croire à l'imminence du déclenchement des hostilités. A plusieurs reprises, fin septembre et début octobre, ils avaient rejeté les demandes du général Elazar et du haut commandement de l'armée de procéder à la mobilisation des forces armées. Le vendredi 5 octobre, le commandant Elazar avait formellement demandé l'autorisation de lancer la mobilisation générale, mais Golda Meir avait catégoriquement refusé. Puis shabbat matin, lorsque le cabinet de crise s'était réuni à six heures, Moshé Dayan s'était encore opposé à la mobilisation. Quant à Golda Meir, elle avait préféré, par l'entremise des Américains, lancer un avertissement aux pays arabes, les rendant responsables des risques qu'ils prenaient. Quelque temps après, la télévision avait présenté des images d'une vieille femme nerveuse et terrifiée, fumant et pleurant, mais surtout totalement abattue face à la tournure qu'avaient pris les événements. Le déroulement de la guerre est bien connu. Au cours des trois - quatre premiers jours, la survie d'Israël était pour ainsi dire remise en jeu. Le jour même de Kippour, des centaines de jeunes Israéliens furent tués dans les bunkers de la ligne Bar Lev. Les tanks et les forces blindées furent totalement paralysés. La mobilisation des troupes n'ayant pas été suffisamment rapide, tous les appels à l'aide en provenance du front sud, du Canal de Suez et du nord, des Hauteurs du Golan, restèrent sans réponse. Les Égyptiens traversèrent le Canal de Suez sur des pontons soviétiques et, armés d'équipements militaires soviétiques, ils envahirent la ligne Bar Lev. Pour la toute première fois, des avions ennemis survolèrent Israël, du Golan vers l'Égypte et vice et versa. En plus des centaines de morts et de blessés des premiers jours, Israël dut accuser un nouveau coup terrible qui constitua également une nouvelle effrayante: des centaines de soldats avaient été faits prisonniers. Il était particulièrement grave d'être détenu par les Égyptiens, mais cela valait toujours mieux que de tomber entre les mains des Syriens. Toute cette accumulation d'angoisses, de douleurs, de craintes et d'humiliations poussèrent Moshé Dayan, alors ministre de la Défense, à préconiser ouvertement une "reddition organisée" ! Une catastrophe nationale fut évitée grâce au déclenchement d'une stratégie "inhabituelle" par trois brillants généraux, Ariel Sharon, Bren (Avraham Adan) et Shmouel Gorodish. Dépassant de très loin l'autorité qui leur était impartie, ils désobéirent aux ordres et stoppèrent l'avancée ennemie, renversant ainsi le cours de la guerre. Alors qu'Israël avait été forcé de se battre pour la première fois sur des positions défensives, ils lancèrent une vigoureuse contre-attaque. Les forces du général Ariel Sharon, dit "Arik", construisirent un pont, traversèrent le Canal de Suez et firent une avancée qui ne s'arrêta qu'à 80 km du Caire. Sur le front nord, grâce à l'action individuelle et héroïque de quelques commandants, les Syriens furent arrêtés puis repoussés jusqu'aux portes de Damas. Le vent de la guerre avait tourné en faveur d'Israël. Dès cet instant, l'ONU, les USA et l'URSS s'engagèrent politiquement dans le conflit et mirent tout en ýuvre pour qu'Israël relâche sa pression sur les deux capitales arabes et sur la troisième armée égyptienne (totalement à la merci d'Israël). Aujourd'hui, il est difficile de s'imaginer quelle était l'atmosphère qui régnait dans le pays pendant la guerre et immédiatement après. Une chose est certaine, un énorme sentiment de colère prévalait envers les responsables et une commission d'enquête dirigée par le juge Agranat attribua toute la responsabilité au général "Dado" Elazar, chef d'État major, au Chef des Renseignements militaires ainsi qu'à un certain nombre de commandants militaires. Quant à la direction politique, Golda Meir et Moshé Dayan, ils furent blanchis, la commission Agranat n'ayant pas obtenu le pouvoir de faire la lumière sur les responsables politiques de ce désastre national. Mais Golda Meir ne pouvait plus continuer à vivre paisiblement. Rongée par sa mauvaise conscience, elle démissionna assez rapidement et dans son autobiographie rédigée après son départ à la retraite, elle écrivit notamment: "Pour moi, il n'y a pas de consolation possible. Ni par les explications des uns, ni dans la logique, le bon sens et les justifications conscientes et rationnelles avec lesquelles mes collègues tentent de m'apaiser. Les exigences de la logique sont sans intérêt. Ce qui importe c'est le fait que moi, qui avais l'habitude de prendre des décisions, je n'ai pas été capable de prendre la seule qui s'imposait alors, qui était de mobiliser nos forces à temps. C'est ainsi que j'aurais dû agir et je ne l'ai pas fait. Je vivrai avec cette terrible réalité en moi jusqu'à la fin de mes jours. Je ne serai plus jamais la même qu'avant la Guerre du Kippour." Aujourd'hui, vingt-cinq ans après la Guerre du Kippour, deux facteurs stratégiques essentiels ont changé. En effet, cette guerre a eu un impact direct sur les négociations personnelles entre les dirigeants israéliens et égyptiens. Le président Sadate a compris qu'il avait été incapable de remporter une victoire décisive contre Israël malgré le fait qu'il disposait d'avantages importants comme l'élément de surprise, la supériorité numérique sur le front, des quantités énormes de matériel militaire soviétique et une aide militaire soviétique directe sur le terrain où se trouvaient des instructeurs russes. Ses chances de battre un jour Israël dans un conflit militaire étaient donc pour ainsi dire inexistantes. Côté israélien, les grandes pertes en vies humaines et le coup sérieux porté au moral subi par l'ensemble de la nation ont incité Menachem Begin, élu premier ministre quelque temps après, à mettre un terme à l'état de belligérance avec l'Égypte. Lors de la rencontre historique Begin-Sadate à Jérusalem, les deux leaders ont d'ailleurs résumé leurs sentiments en deux phrases: Sadate a dit: "Que la Guerre d'Octobre soit la toute dernière guerre." Begin a dit: "Plus de guerre, plus d'effusion de sang, plus de deuil." Une ironie du sort a voulu que Sadate soit assassiné huit ans après la Guerre du Kippour, le jour même où, dans le cadre d'une fête nationale, l'Égypte célébrait le souvenir de la "Guerre d'Octobre"... La paix avec l'Égypte a pu être préservée bien que pour certains, il ne s'agisse que d'une "paix froide" et que d'autres soient toujours à l'affût de nouveaux signes de dangers. Mais l'état de belligérance avec l'Égypte a bien pris fin et n'a pas été ravivé lorsque le monde arabe a menacé gravement Israël, comme au moment de la Guerre du Liban. La question se pose aujourd'hui de savoir comment la Guerre du Kippour a influencé la planification stratégique d'Israël. A cet égard, deux écoles de pensée s'affrontent. L'une estime que les frontières territoriales ont perdu leur valeur et ce non seulement parce que la ligne Bar Lev s'est avérée être inutile, mais aussi en raison des 39 Scuds tombés sur Israël pendant la Guerre du Golfe. L'autre dit que ce qui s'est passé sur la ligne Bar Lev est le résultat direct d'une erreur humaine et non celui d'une faiblesse stratégique. Si le leadership de 1973 n'avait pas été aussi prétentieux, le désastre aurait pu être évité. De plus, malgré le fait que 39 Scuds aient été tirés sur Israël, dont certains ont causé des dommages importants, son existence n'a jamais été directement en danger, comme ce fut le cas en 1973. A ce jour, Israël et d'autres pays ont mis au point des technologies militaires très recherchées qui permettent aisément de faire face à toute attaque éventuelle de missiles. Il est donc évident que les frontières, la profondeur stratégique et territoriale, un armement supérieur et une alerte constante constituent les mots d'ordre pour qu'Israël puisse vivre dans la sécurité et la paix. |