Douze millions de livres et des écoles en masse | |
Par Roland S. Süssmann | |
Imaginons la scène: une fête familiale à Saint-Pétersbourg. Le fils du Grand-Rabbin a trois ans et, selon une tradition hassidique, c'est au cours d'un petit festin auquel participent la famille et les amis que, pour la première fois de sa vie, on lui coupe symboliquement quelques mèches de cheveux. Ce genre de cérémonie, appelée en yiddish "Obschernisch" du mot allemand "abscheren" - tondre - se déroule régulièrement dans le monde entier, partout où vivent des hassidim. Cet acte n'a donc rien de spécial en soi. Mais ce jour-là, à Saint-Pétersbourg, soudainement, une vieille femme édentée s'est levée et a commencé à faire un discours en yiddish. Elle se souvenait !
Elle se souvenait du grand-père de ce petit garçon qui vivait avec sa famille à Samarkand, d'où elle-même et les siens sont aussi originaires. Ce grand-père, aujourd'hui si fier, était alors l'un des milliers d'agents locaux, émissaires du Rabbi de Loubavitch szl. Ce dernier avait établi un réseau d'écoles juives, de synagogues et de maisons d'études secrètes. Les larmes aux yeux, la vieille dame évoquait la manière dont "le jeune homme" d'alors réunissait secrètement à son domicile les Juifs de la ville afin de leur transmettre quelques notions de judaïsme et d'hébreu. Elle se souvenait comment ce "jeune homme" se rendait secrètement de maison en maison afin d'y apporter espoir et lumière en enseignant et en transmettant la richesse du patrimoine juif. Voici l'une des nombreuses anecdotes qui n'est pas relatée dans les grandes annales de l'histoire juive, mais qui illustre ces "petits actes de bravoure" ayant permis au judaïsme russe et soviétique de ne pas perdre totalement son âme. L'une des organisations juives qui, aujourd'hui comme à l'époque où sévissait le communisme pur et dur en URSS, est la plus active en Russie est le mouvement Loubavitch, dit Habad. Présent dans quarante villes et villages de Russie, il entretient, selon les cas, une synagogue, une yéshivah, une école, etc., et ce aussi bien à Moscou qu'en Arménie ou à Saint-Pétersbourg. Actuellement, son budget annuel pour la Russie est de dix millions de dollars! A Moscou, Habad a créé plusieurs synagogues, une yéshivah, deux jardins d'enfants, une école qui compte 250 élèves (considérée comme la meilleure de Moscou pour les matières laïques - les élèves diplômés sont acceptés dans les facultés les plus difficilement accessibles de Moscou), un séminaire pour jeunes filles ayant poursuivi leurs études secondaires à l'école Loubavitch, où elles sont formées pour devenir des pédagogues ou des juristes; des clubs culturels, un centre de promotion de mariages juifs, un business club où des hommes d'affaires influents se retrouvent. C'est par le biais de toutes ces activités que Habad espère développer chez les Juifs russes un certain sentiment de solidarité et d'appartenance au peuple juif tout entier. Toujours à Moscou, à l'occasion de Pessah, le rabbin BERL LAZAR, juif italien et émissaire du Rabbi en Russie depuis de nombreuses années, a organisé cette année une campagne d'affichage, de presse et de radio informant et incitant les Juifs à venir acheter de la matza: cent tonnes de ce pain azyme, symbole de la liberté, ont été vendues dans la capitale russe ! C'est entouré d'une équipe de trente familles, pour la plupart des Russes partis s'établir en Israël et revenus "en mission" en Russie, qu'il mène son action. Celle-ci s'adresse à tous ceux qui pensent être juifs ou avoir des origines - même lointaines - liées au peuple juif. Le rabbin Lazar a délibérément choisi de s'entourer d'anciens Juifs russes car, du fait de leur parfaite connaissance de la langue et de la mentalité, ils savent éveiller l'intérêt des Juifs indigènes. L'ensemble des opérations qu'entreprend Loubavitch en Russie part d'une seule idée de base forte et directrice, résumée en ces termes par le rabbin Berl Lazar: "Premièrement, nous pensons qu'il existe en Russie un nombre bien plus important de Juifs que ce que disent les estimations officielles. Deuxièmement, quelle que soit l'évolution politique et malgré l'instabilité, qui diminue d'ailleurs de jour en jour, nous croyons qu'il y a un avenir ici pour la communauté juive. Quoi qu'il arrive, dans leur grande majorité, les Juifs russes ne quitteront pas le pays. C'est à nous de tout mettre en ýuvre afin qu'ils se sentent membres responsables et partie prenante et intégrante de la grande famille juive. Le défi nous est lancé, nous l'avons relevé et ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour réussir." Afin d'illustrer les activités de Habad en Russie et dans les pays de l'ex-URSS, nous avons visité l'"École Nr 224" de Saint- Pétersbourg. La ville compte quatre écoles juives: une non religieuse de type israélien-laïque, une école primaire appartenant au groupe "Reshet Or Avner", l'"École Nr 224" et une petite école privée de 60 garçons fondée et financée par M. Zeew Wolfson de New York, dans le seul but de former des élèves qui rejoindront ensuite des yéshivoth ultra-orthodoxes en Israël. La spécificité de "l'École Nr 224" réside avant tout dans l'esprit dans lequel elle a été fondée il y a sept ans par le professeur Herman Branover. En 1989, personne ne pensait qu'il était possible de créer une école juive officielle en URSS. L'"École Nr 224" est donc la plus ancienne école juive officielle de l'ex-URSS, elle a été établie pour servir de modèle à la création d'autres écoles juives à travers le pays, ce qui a très bien réussi puisqu'on en compte environ trente aujourd'hui en Russie. A l'époque, le projet avait été accueilli très positivement par les autorités locales qui avaient tout mis en ýuvre pour que cette école puisse voir le jour et prospérer. Il faut se souvenir qu'en 1989, il n'était pas évident pour des parents russes de prendre la décision d'envoyer leurs enfants dans une école juive. Si certains ont saisi cette occasion pour donner à leurs enfants l'instruction juive dont eux-mêmes avaient été privés, d'autres l'ont simplement choisie en raison de l'atmosphère saine qui y règne. En effet, depuis l'écroulement de l'URSS, une certaine permissivité (tabac, drogue, etc.) s'est installée dans les institutions scolaires d'État, ce qui n'est pas le cas à l'école juive. Autre motivation non négligeable, l'école offre deux repas par jour ce qui, pour bon nombre de parents à la situation économique précaire, constitue un motif suffisant pour y envoyer leurs enfants. Il est important de souligner que l'écolage y est gratuit et qu'ayant désiré garder sa totale indépendance notamment en raison du programme religieux, elle n'est pas subventionnée par l'État. Dirigée par MARK MORDEHAI GRUBERG (également président de la Communauté juive de Saint-Pétersbourg), qui a volontairement abandonné sa carrière de physicien pour se consacrer à sa direction, l'école compte aujourd'hui 150 élèves de tous milieux, du primaire au secondaire. 100% des élèves qui y sont préparés pour la maturité russe ont réussi au cours des années, bien que 20% du temps des études soient consacrés à l'enseignement de l'hébreu et des matières juives (trois heures hebdomadaires d'hébreu, trois heures de Torah et deux heures d'Histoire juive). L'école dispense un programme spécial de préparation à la Bar- et Bat-Mitsvah qui sont régulièrement célébrés dans la Grande synagogue de Saint-Pétersbourg. Seuls les enfants de mère authentiquement juive sont acceptés, l'école est mixte bien que, dans la mesure du possible, certaines classes sont séparées dès l'âge de 14 ans. A la rentrée scolaire 1997, un programme de coordination entre l"École Nr 224" et l'une des quatre écoles juives de Saint- Pétersbourg, celle dirigée par le grand-rabbin de la ville, M. Menahem-Mendel Pewzner, a été mis en place, mais chacune des institutions restera dans ses locaux actuels. Cette école uniquement primaire, qui compte une centaine d'élèves, fait partie de l'organisation "Reshet Or Avner" qui a établi des établissements scolaires à travers toute la Russie. L'"École Nr 224" est totalement financée par l'organisation indépendante "SHAMIR", "Shomré Mitsvoth Yehoudeï Roussia" (Voir Shalom Vol.VIII), créée par le Rebbe de Loubavitch szl. et dirigée par le professeur Herman Branover. "Shamir" est la plus grande édition au monde de livres juifs traduits et diffusés en russe, puisqu'elle a distribué près de 12 millions de livres juifs au cours des dix dernières années ! Les seuls livres juifs que l'on trouve en Russie, que ce soient des recueils de prières ou des grands classiques de la littérature juive, sont produits par "Shamir" et distribués non seulement en Russie, mais également partout où vivent de nombreux Juifs russes: en Israël, au Canada, aux États-Unis et en Australie. |