Les Juifs dans la nouvelle Afrique du Sud | |
Par Zvi H. Hurwitz | |
Dans l'avion qui me ramenait en Israël après ma première visite de la nouvelle Afrique du Sud, j'étais assis à côté d'un jeune fermier afrikaner qui m'assaillait de questions sur la vie en Israël. Intrigué par une telle curiosité, je lui demandais ce qui motivait autant d'intérêt de sa part. "Parce que ma famille et moi-même aimerions aller y vivre", me répondit-il avec un air déterminé dans le regard. "Nous devons quitter notre Afrique du Sud bien-aimée. Nous n'y sommes plus en sécurité et il n'y a aucun avenir pour nos enfants".
Surpris, je lui posais la question de savoir si ce sentiment correspondait à une réaction individuelle. "Oh, non !" répliqua-t-il. "Beaucoup d'entre nous veulent partir. Certains pensent se rendre en Argentine, au Brésil ou dans d'autres pays d'Amérique du Sud. Ma famille croyant en la Bible, nous désirons aller en Terre promise". Je ne pouvais éviter de comparer son attitude si déterminée avec celle des nombreux Juifs sud-africains qui envisagent aujourd'hui d'émigrer en vagues importantes. La plupart ont le regard tourné vers les nouvelles "Terres promises", l'Australie et la Nouvelle-Zélande, mais 16% seulement de ceux qui partent songent à s'établir en Israël. Pendant ma brève visite, j'ai eu l'occasion de rencontrer des dirigeants et membres de la communauté. J'ai appris que des douzaines de familles n'avaient pas inscrit leurs enfants dans les écoles juives pour l'année scolaire 1996 suite à leur émigration et que l'"Israel United Appeal" avait rayé de ses listes plusieurs centaines de noms. A son apogée, la communauté juive d'Afrique du Sud comptait 120'000 âmes. Aujourd'hui, elle en est réduite à 75'000 personnes, ou moins. Mais quelles sont les raisons de cette nouvelle vague de dispersion des Juifs sud-africains à travers le monde ? Elles s'expliquent avant tout par la criminalité incontrôlable concentrée notamment dans la région de Johannesbourg et son expansion dans d'autres provinces. Il ne reste guère de familles qui n'aient été affectées par des actes criminels à différents niveaux de gravité - vols, agressions par des bandes, attaques de voitures, viols et meurtres de sang-froid. Cette criminalité est due à la frustration et au désespoir des masses de jeunes noirs face à ce qu'ils appellent les promesses non tenues. Depuis 1975, ils n'ont reçu aucune formation, le taux de chômage s'élève à 45% - si ce n'est plus; ils n'ont ni logement ni nourriture et tentent d'obtenir par la force ce qu'ils désirent. Durant ma visite, la presse a fait état d'une déclaration du Ministre du logement, affirmant que le gouvernement avait édifié 10'163 maisons au cours des 17 derniers mois, ce qui est bien peu face à l'engagement pris lors des élections de 1994 qui était de construire un million de logements en cinq ans ! Il semble que les quartiers à forte population juive soient des cibles privilégiées. Les Juifs ont été obligés d'organiser leur propre défense, ce qui rappelle étrangement la situation d'avant-guerre dans certains pays d'Europe. D'ailleurs, en me rendant le vendredi soir à la synagogue, j'ai pu constater que les alentours étaient surveillés par des gardiens en uniforme. L'influence croissante de l'Islam, contrôlée depuis la Libye et d'autres centres révolutionnaires, est un nouveau sujet de préoccupation pour la communauté juive. Le nombre de Sud-Africains musulmans est inférieur à 2%, mais ils affirment recevoir de l'étranger un soutien financier conséquent. Actuellement, ils construisent des mosquées dans différentes régions du pays, y compris dans les quartiers de Johannesbourg à forte population juive. Mais la principale inquiétude concerne l'avenir politique de l'Afrique du Sud. Il y a plusieurs semaines, la presse a fait état d'un désaccord public entre le président Mandela et le vice-président F.W. De Klerk, qui détient cette fonction depuis l'accord de coalition nationale méticuleusement négocié et qui arrivera à terme en 1999. Lorsque des rapports - ou des rumeurs - ont annoncé l'éventuelle démission de De Klerk de son poste au sein du Gouvernement de l'Unité nationale, les actions sud-africaines ont chuté sur tous les marchés du monde. La baisse de la valeur des titres sud-africains a été immédiate et, outre la vente des papiers-valeurs sud-africains due à la panique, on a assisté à une recrudescence de la fuite des capitaux. La "dispute de rue" entre Mandela et De Klerk, comme on l'a appelée par la suite - on les a vu échanger des propos amers sur un trottoir de Johannesbourg - a démontré combien la réconciliation entre dirigeants noirs et blancs est essentielle pour l'avenir du pays. La présence d'un vice-président blanc, qui constitue une forme de sécurité pour la population blanche, n'existera plus lors des prochaines élections prévues en 1999. Il s'agira alors d'une élection où chaque citoyen pourra voter, et les données démographiques à cet égard sont bien connues: leur évolution est dramatique. D'autre part, selon certaines estimations, il y aurait déjà en Afrique du Sud entre cinq et huit millions d'"immigrants clandestins" en provenance des pays avoisinants, le Zimbabwe, la Zambie, le Mozambique. Cela revient à dire que la population noire croît par sauts et bonds alors que la population blanche diminue suite à l'émigration. Une bonne raison pour de nombreux Sud-Africains blancs de se préoccuper des perspectives électorales de 1999. Consciente de la gravité de la situation, l'Assemblée constitutionnelle, présidée par Cyril Ramaphosa, est en train d'étudier la possibilité de prolonger les droits de la minorité blanche au-delà des élections de 1999. On peut, toutefois, trouver un élément positif à ce tableau triste et pénible. Certains cercles du "Grand capital" pensent que si l'on réussit à contrôler la vague de criminalité et à attirer des investissements, l'avenir de l'Afrique du Sud est prometteur. Le petit commerçant sud-africain en est moins sûr et l'employé salarié est terrifié à l'idée de ne plus avoir de travail. Ainsi, à première vue, la vie des Juifs sud-africains se déroule plus ou moins normalement derrière des murs épais, des barrières de sécurité et des portières électriques. Les gens n'osent pas sortir la nuit, sauf en cas de nécessité. La population juive s'est regroupée dans certains quartiers bien définis des grandes villes du pays. La gloire du passé s'efface. Les grandes synagogues du Cap et de Johannesbourg sont virtuellement fermées et demeureront - pour l'instant - des monuments nationaux. Les Juifs occupent des postes importants dans la vie publique, tant au niveau du Gouvernement national que des autorités locales. De nombreux Juifs se sont présentés aux dernières élections municipales locales, ce dans le cadre de la majorité des grands partis, le parti zoulou et l'ANC de Mandela; la plupart ont été battus. A de nombreux égards, la communauté juive sud-africaine n'est plus aujourd'hui que l'ombre d'elle-même. |