Ni paix - Ni sécurité !
Par Roland S. Süssmann
Il y a un peu moins d'un an, le 4 mai 1994, au cours d'une cérémonie humiliante pour Israël, les Accords du Caire ont été signés, établissant ainsi formellement et officiellement l'autorité de l'organisation terroriste OLP sur les terres juives de Gaza et de Jéricho. Il faut bien comprendre que cet accord implique le morcellement de la Vallée du Jourdain de la manière la plus aberrante qui soit. En effet, lorsque l'on regarde la nouvelle topographie de la région, on se rend compte d'un certain nombre d'absurdités.
La petite ville de Jéricho est totalement aux mains des terroristes de l'OLP; les Juifs ont un droit d'accès à la synagogue "Shalom al Israël" et à sa yéshivah, entourées de barbelés et gardées par la police de l'OLP; à la sortie nord de Jéricho et de ses environs immédiats (un camp de réfugiés au nord et l'autre au sud de la ville), un premier poste militaire israélien précède d'environ 2 km le petit village juif de Na'ama, fort de vingt-neuf familles; plus au nord, à 2 km, se trouve le petit village arabe d'Auja, tenu par l'OLP. Toute la région dite "autonome" compte donc deux enclaves arabes, le village d'Auja au nord et la ville de Jéricho au sud, entre lesquelles Na'ama se trouve totalement coincée. Aujourd'hui, 5000 Juifs et environ 30'000 Arabes vivent dans la Vallée. La majorité des Arabes ne sont pas originaires de la région, ils sont venus s'y installer afin de travailler sur les terres appartenant à de gros propriétaires arabes féodaux qui, pour la plupart, vivent à Sichem (Naplouse).
Afin de bien comprendre les implications, les risques, les dangers et les conséquences pratiques sur le terrain de l'application de ces accords, nous nous sommes rendus tout d'abord à Gaza (voir Shalom Vol.XXI), puis dans la Vallée du Jourdain, où nous avons rencontré DAVID ELHAYANI, responsable du comité politique du Conseil régional de la Vallée du Jourdain, qui compte des représentants de chacune des vingt-trois agglomérations juives de la région.


Quels que soient les gouvernements en place, la Vallée du Jourdain a toujours été considérée de toute première importance, surtout sur le plan stratégique. Or, avec la Bande de Gaza, votre région a été affectée et morcelée par les Accords d'Oslo et du Caire. Comment votre population a-t-elle ressenti ces événements ?

Je voudrais souligner le fait qu'hormis la population de deux villages, la grande majorité des habitants de la Vallée ne sont pas des Juifs pratiquants et ne sont donc pas venus s'installer ici pour des raisons idéologiques. Mais aujourd'hui, ils se sentent trahis ! En effet, personne auparavant n'avait jamais mis en doute le fait que la Vallée fait partie intégrante d'Israël. Sur le plan politique, les opinions ici sont partagées, environ 50% de la population étant plutôt de gauche. Il existe toutefois un consensus quant à l'avenir de la Vallée, car seul un tout petit nombre est en faveur de ces accords. Notre comité ne s'est donc pas prononcé officiellement pour ou contre les Accords d'Oslo et du Caire, car c'est inutile, mais en faveur de tout ce qui peut permettre à la Vallée de se développer et d'améliorer la qualité de vie de ses habitants.


Lorsque l'on regarde la nouvelle topographie de la région, elle est des plus absurde. Un village juif, Na'ama, se trouve littéralement coincé entre deux poches arabes et le petit bled d'Auja est complètement coupé de Jéricho. Comment expliquez-vous cela ?

Les dégâts ont été limités au maximum. Au tout début, les exigences territoriales d'Arafat sur la région étaient énormes. Grâce à notre action, aux pressions que nous avons pu exercer sur le gouvernement, aux campagnes d'information, etc., nous avons réussi à sauver la majeure partie de la Vallée et surtout les sources d'eau qui nous alimentent et qui risquaient de tomber sous le contrôle de l'OLP. Il faut bien comprendre que les personnes qui ont négocié les accords ne connaissent rien à notre région, ne se sont jamais rendues sur place et ont simplement ignoré le fait que des êtres humains y vivent. Tout le monde a oublié que la Vallée du Jourdain constitue la "ceinture de sécurité" de l'Etat juif ! De plus, ces "négociateurs" n'ont aucune vision réaliste des aspirations profondes des populations arabes. Celles-ci ont été très clairement évoquées par un habitant de Jéricho dans une interview à la télévision israélienne: "La paix est une bonne chose en soi. Si nous avons pu récupérer Jéricho, je pense pouvoir récupérer mes terres à Jaffa. Si ce n'est pas le cas, tous ces traités n'ont aucune valeur et il n'y aura pas de paix". Traduction: nous, les Arabes, devons établir "la Grande Palestine" qui s'étendra de la Méditerranée à l'Iran.


Depuis la signature des accords, avez-vous constaté un changement d'attitude au sein des populations arabes de la région ?

S'agissant d'une région avant tout agricole, la plupart des champs sont tenus par des Juifs qui engagent des travailleurs arabes. Les Arabes ne se "sentent plus". Ils pensent que notre départ définitif n'est qu'une question de temps. Il faut bien réaliser que, contrairement à ce qui a été publié, la "police palestinienne" est une véritable force armée, dotée de Kalachnikows, de tenues de combat et surtout responsable de la sécurité. Tout est fait pour démontrer la force de cette armée qui permet ainsi d'asseoir ostensiblement le pouvoir de l'OLP même si, en réalité, le Hamas est beaucoup plus important. Tsahal n'a pas le droit d'entrer dans Jéricho. Ces réalités font que nous nous trouvons d'ores et déjà face à un Etat palestinien non déclaré, ce qui est absolument inacceptable pour Israël, d'autant plus que l'OLP ne saurait se limiter aux territoires minuscules que sont les régions de Gaza et de Jéricho.
Les vols de voitures, de matériel et de produits agricoles se sont multipliés comme jamais auparavant. Dès le lendemain de la signature des Accords du Caire, tous les poteaux téléphoniques de la Vallée du Jourdain ont été renversés, laissant la région sans téléphone pendant plusieurs jours.
Les Accords d'Oslo et du Caire avaient pour but d'apporter deux éléments à la région: la paix et la sécurité. Aujourd'hui, nous n'avons ni l'un ni l'autre, bien au contraire ! Jéricho était une ville de tourisme mais actuellement, presque plus personne ne s'y rend. Les contacts quotidiens que nous avions avec ses habitants ont totalement cessé. D'ailleurs, pour nous rendre à Jérusalem, nous avons deux possibilités: soit passer par Jéricho, soit emprunter la route de contournement, une mauvaise route militaire, peu ou pas goudronnée, peu ou pas illuminée, qui prolonge le voyage de 45 minutes. Vous imaginez ce que cela peut signifier pour ceux d'entre nous qui travaillent à Jérusalem. Ils ont le choix entre prendre des risques en traversant la zone autonome tenue par l'armée de l'OLP, ou rallonger leur trajet d'une heure et demie au minimum.


Pensez-vous que, depuis la signature des accords, les choses se sont améliorées pour les habitants arabes de la région ?

Je sais que ce n'est pas le cas. A Jéricho même, cela va assez mal. La ville compte 13'000 habitants auxquels sont venus s'ajouter les prisonniers libérés par Israël, pour la plupart des assassins, des terroristes et des malfaiteurs. Il n'y a pas de travail pour eux, beaucoup mendient et la vie à Jéricho même est devenue de plus en plus difficile. Quant à la police secrète de l'OLP, elle y fait "la pluie et le beau temps", et ce de la façon la plus abusive. Plusieurs centaines d'Arabes viennent quotidiennement travailler dans nos champs. A les écouter, les accords ont fait plus de mal que de bien à la population locale. A cela s'ajoute le fait que l'armée israélienne ne peut pas y poursuivre les terroristes qui, de ce fait, sont en sécurité à Jéricho. La ville a changé..., mais pas en bien.


Les résultats pratiques de ces accords ne sont donc pas brillants. Ceci implique-t-il un mouvement de départ de la population juive de la Vallée vers d'autres lieux situés à l'intérieur d'Israël ?

Il est intéressant de noter qu'au cours des derniers mois, nous avons assisté à une augmentation de 9 % de la population juive dans la Vallée: 52 familles, dont45 jeunes originaires de la région qui, ayant terminé leur service militaire, sont venus s'installer ici. Nous leur avons apporté toute l'aide nécessaire et trouvé du travail. D'autre part, nous avons près d'une centaine de personnes employées aux points de passage avec la Jordanie, la plupart au pont Allenby. D'ailleurs, la Vallée est de plus en plus perçue en Israël comme un endroit sûr. Récemment, nous avons demandé au gouvernement l'autorisation de construire cinquante nouveaux appartements afin d'y loger de nouveaux venus. Non seulement nous avons obtenu l'autorisation, mais le gouvernement a financé l'intégralité de ce projet. Il s'agit d'un cas unique en Israël depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement Rabin qui, visiblement, estime que la Vallée du Jourdain est un point stratégique et de sécurité de toute première importance.


Il y a quelques mois, la paix avec la Jordanie a été signée. Pratiquement, quels changements cela implique-t-il pour les habitants de la Vallée et avez-vous dû céder ou évacuer des territoires ?

En ce qui concerne notre région, située entre la mer Morte et la pointe sud de la Gallilée, Israël n'a cédé aucun territoire à la Jordanie, le Jourdain constituant la frontière. A cet égard, il est particulièrement intéressant de noter que les Jordaniens estiment que le fleuve constitue la frontière entre nos deux pays et ne reconnaissent aucun droit à un troisième partenaire sur cette frontière. En d'autres termes, si Israël veut s'adjoindre un "partenaire" pour gérer cette frontière avec lui, c'est SON problème, ceci s'inscrivant dans le cadre des Accords d'Oslo qui ne concernent en rien la Jordanie. Les Jordaniens refusent tout contact avec les Palestiniens si bien que, lorsque des problèmes pratiques doivent être réglés, c'est Israël qui joue les intermédiaires entre les Jordaniens et les Palestiniens. Les Accords du Caire avaient prévu que le passage des ponts serait également contrôlé par les Palestiniens. A ce jour, en raison du refus jordanien, il n'existe aucune guérite palestinienne sur les ponts. Il ne fait aucun doute que les Jordaniens sont intéressés à coopérer avec les habitants juifs de la Vallée du Jourdain. Les choses doivent se faire progressivement et pour l'instant, il n'y a pas de grandes modifications pratiques, rien n'a véritablement changé. Malgré tout, sur le terrain même, on assiste à quelques petites innovations. Avant l'ouverture des ponts de passage vers la Jordanie (Allenby et Damia), toute une zone agricole se trouvant aux alentours immédiats des rives mêmes du Jourdain, côté israélien, était difficilement exploitable, l'armée israélienne nous en interdisant l'accès sans escorte. Aujourd'hui, nous pouvons nous y rendre dès qu'il fait jour, sans restriction aucune. Mais nous n'avons aucune illusion. Les forces israéliennes ont été légèrement réduites sur la frontière jordanienne et, malgré la paix signée, le Jourdain reste un point de passage utilisé par les terroristes arabes en provenance de Jordanie.


Comment voyez-vous l'avenir de votre région, en particulier dans le cadre du développement du "processus de paix" ?

Bien que la Vallée soit considérée comme une région stratégique importante et qu'il en résulte quelques petits avantages qui améliorent notre situation, notre sort et notre avenir sont intimement liés à l'évolution en Judée et en Samarie. N'oublions pas que pour nous rendre à Tel-Aviv ou au centre du pays, nous devons passer par la Samarie. Si la deuxième phase des accords est effectivement mise en place, il y aura en Samarie neuf petites zones autonomes du type de celle de Jéricho. Or, par expérience, nous savons très bien ce que cela signifie. Ces zones à forte population arabe seront interdites d'accès à l'armée israélienne. Par conséquent, des voleurs, assassins ou terroristes arabes auront tout loisir, comme ils l'ont aujourd'hui à Jéricho et à Gaza, de venir commettre leurs méfaits dans les villes et villages juifs et de se retrouver en toute impunité dans la zone autonome. C'est Israël qui leur fournira légalement et officiellement de véritables villes-refuge où ils ne seront pas inquiétés. L'expérience a bien démontré que l'on ne peut rien attendre de la "police" palestinienne. Afin d'illustrer mes propos, voici un cas typique: au mois de janvier dernier, une voiture de police a été volée à Jérusalem. Quinze jours plus tard, elle a été retrouvée avec, à son volant, un policier palestinien... C'est dans cette perspective que nous abordons un avenir qui ne se présente pas sous de bons auspices. A ce stade, tout le processus devrait être stoppé. Israël doit renégocier tous les accords qu'il a signés, ce à la lumière de l'expérience vécue avec les zones autonomes de Gaza et de Jéricho. Dans le cadre des nouveaux accords, l'armée devra avoir les mains libres et surtout le droit de prévention et de poursuite dans ces zones. De plus, je pense qu'Israël n'a qu'un seul interlocuteur valable: ce n'est pas l'OLP, ce n'est pas le Hamas, ce sont les notables locaux, les chefs des villes et villages arabes de la région qui, eux, acceptent de vivre et de collaborer avec nous, que nous connaissons et qui nous connaissent. Même si l'avenir ne se présente pas de la façon la plus rose, l'expérience nous a appris que la vie est plus forte que tout et surtout plus forte que les mauvais accords politiques.