La haine des Juifs promue par la presse arabe | |
Par le Professeur Moshé Sharon * | |
L'accord de paix signé avec l'Egypte il y a une quinzaine d'années, l'Accord d'Oslo et les visions d'un Nouveau Moyen- Orient du Ministre israélien des Affaires étrangères ne semblent nullement influencer ou inspirer les intellectuels du monde arabe islamique. Les efforts inlassables des Israéliens pour présenter la culture juive et israélienne à l'intelligentsia arabe n'ont rencontré que mépris et rejet le plus total. D'après le traité de paix signé entre Israël et l'Egypte, la normalisation des rapports entre les deux pays impliquait des relations culturelles articulées sur le principe de la parité, ainsi que la suppression de toute forme de propagande anti-israélienne ou anti-juive dans les médias.
Mais en réalité, rien de tel ne s'est produit. Les médias, la presse en particulier, continuent de publier les mêmes informations antisémites que par le passé, avec encore plus de virulence et d'animosité. Le gouvernement égyptien n'a pas fait le moindre effort en réponse à la très prompte réaction d'Israël dans la mise en ýuvre de l'"accord culturel". En effet, si les Israéliens ont fondé le Centre académique israélien au Caire, les Egyptiens n'ont rien fait de semblable, et ne paraissent nullement disposés à créer prochainement une telle institution. Bien au contraire: les autorités politiques égyptiennes, généreusement appuyées par la presse, mettent tout en ýuvre pour ternir la réputation et l'image d'Israël. Les rares universitaires israéliens qui se sont rendus en Egypte dans le but de bénéficier de l'enseignement de ce pays se sont heurtés au rejet et se sont vus signaler plus d'une fois qu'ils n’étaient pas les bienvenus. Les intellectuels et professionnels égyptiens, se fondant sur l'autorité que leur confère leur statut académique, n'hésitent pas, pour leur part, à prendre la plume pour rédiger des articles emprunts d'antisémitisme, critiquant Israël et tout ce qui s'en rapproche. La Jordanie, pays avec lequel un traité de paix a récemment été signé, connaît un phénomène semblable. Les accords politiques laissent froids et intransigeants les écrivains, artistes, caricaturistes, journalistes, avocats, médecins et autres intellectuels arabes; en un mot, aucun de ces traités pour lesquels Israël a payé un lourd tribut ne parviennent à lénifier la haine que le monde arabe et islamique porte aux Juifs depuis des générations. L'expansion de la foi musulmane, l'influence croissante des dirigeants et des mouvements islamistes, parmi les intellectuels comme dans l'ensemble de la communauté musulmane du monde arabe, alimentent l'antisémitisme avec des arguments religieux traditionnels. Dans le monde arabe, des centaines de pamphlets et de livres viennent attester que les Juifs sont les pires créatures au monde. "Les protocoles des Sages de Sion", ouvrage d'un antisémite russe du XIXe siècle connu pour sa haine des Juifs, a été traduit à plusieurs reprises en arabe, jusqu'à ce qu'une nouvelle version (traduite de l'anglais) soit publiée en 1972 par Muhammad Khalifa al-Tunisi et paraisse au Caire avec une note introductive rédigée par Abbas Muhmud al-Aqqad, le grand philosophe et maître à penser de l'Islam en Egypte et dans tout le monde arabe. Non seulement ce livre s'est vendu à des dizaines de milliers d'exemplaires, mais il a été cité comme référence sur l'histoire juive et comme document juif authentique. Au dos de l'ouvrage, une mise en garde avertit le lecteur: "Conservez cet exemplaire, car les Juifs se sont toujours opposés à la parution de ce livre, où que ce soit et dans quelque langue que ce soit. Ils ont dépensé sans compter pour en acheter tous les exemplaires et les brûler, afin d'empêcher le monde de connaître le sort diabolique qu'ils lui réservent. C'est de ce sort que parle l'ýuvre que vous tenez..." L'idée que les Juifs sont les ennemis de D' et de l'humanité s'inspire du Coran. En effet, les écritures saintes de l'Islam dépeignent les Juifs comme les assassins des prophètes, les auteurs du mal et les instigateurs des guerres. Ils sont par conséquent voués à la dégradation et à l'humiliation jusqu'à la fin des temps, alors qu'Allah en personne se chargera de toujours éteindre les foyers de guerre dont ils sont à l'origine. En 1978, Muhamad Abd al-Aziz publiait un livre intitulé "O Muslims the Jews are coming" (O, Musulmans, les Juifs arrivent), qui se fonde sur les versets coraniques évoquant la nature malicieuse des Juifs, leur caractère traître et le danger immédiat qu'ils représentent pour le monde. L'auteur consacre tous ses efforts à démontrer d'une part le caractère immoral des Juifs, des femmes juives en particulier, en se référant à des passages choisis de l'autobiographie de Yaël Dayan, et d'autre part la soif de sang et l'irrespect des Juifs pour la notion divine d'humanité et de justice, en citant pour seule source les "Principles of the Talmud" (Les Principes du Talmud) de Yussuf Hanna Rizqallah. Or, Rizqallah, faut-il le préciser, n'a jamais vu le Talmud et tire ses informations de livres publiés en Europe par des antisémites qui cherchaient à présenter le Talmud comme une référence attestant du caractère mauvais des Juifs. Son ouvrage se conclut en ces termes: "Voilà donc ce que sont les Juifs: des personnages dépourvus de toute vertu et de toute noblesse. Ils ont rejeté tout principe positif, nié tout idéal. Ils ne sont pas humains, non, ils dégradent l'humanité... etc., etc..." (p. 149). La page de couverture du livre ne laisse d'ailleurs aucun doute quant au contenu, puisqu'elle représente un Juif vêtu de noir, avec toutes les caractéristiques typiques aux descriptions antisémites européennes: un chapeau et des habits noirs, le regard mauvais et de longs doigts crochus prêts à s'emparer de tout ! Le livre de Mansur nous donne un exemple d'antisémitisme européen assorti d'éléments arabes et islamiques, sur lesquels se fonde la haine des Arabes envers les Juifs. Les écrits antisémites d'inspiration occidentale, en tête desquels se trouve "Mein Kampf" d'Adolphe Hitler, ne se contentent pas de dépeindre les Juifs comme les initiateurs de toutes guerres et comme les fomenteurs d'un complot destiné à conquérir le monde. Ils propagent également la théorie du meurtre rituel - cette effroyable accusation selon laquelle les Juifs se serviraient de sang humain dans leurs cérémonies religieuses - une idée avidement reprise par les Arabes, les auteurs musulmans et les maîtres à penser de l'Islam. Le 10 avril 1974, Anis Mansur, un journaliste égyptien renommé publiait dans le très populaire hebdomadaire "Akhir Sha'a" un article consacré au caractère vil des Juifs. Il y écrit notamment que: "Le célèbre historien juif Flavius Joseph fut le premier à dévoiler au monde que les Juifs se servent du sang de leurs congénères pour confectionner les pains azymes durant les fêtes. En général, ils ne massacrent pas la personne; ils se contentent de percer son crâne, puis son cýur, afin de boire le sang de la tête et du cýur en même temps, suite à quoi ils se débarrassent du cadavre n'importe où." (Traduction libre de la version de R.L. Nettler, "Islam and the Minorities", 1978, pp. 12-13). Jamais, bien entendu, Flavius Joseph n'a rien affirmé de pareil. Il nous a au contraire mis en garde contre les idées des antisémites hellénistiques, qui, en son temps, défendaient déjà les mêmes notions. Le meurtre rituel est devenu un sujet si populaire que presque chaque année quelques livres, pamphlets et articles sur la question paraissent dans un ou plusieurs pays arabes. Le dernier exemple en date prétend que les Juifs utilisent le sang d'enfants musulmans dans la fabrication des pains azymes à Pâques et dans les gâteaux pour Pourim ! Enfin, l'une des méthodes les plus répandues pour diffuser des idées anti-juives et antisémites est la caricature. En règle générale, les caricaturistes arabes représentent le Juif de la même manière que les Occidentaux: un personnage aux yeux exorbités et au regard avide, avec des cheveux frisottants, un énorme nez busqué, de longs ongles noirs sur des doigts crochus, une barbe, des habits et un chapeau noirs, toujours prêt à maltraiter, à tuer ou à voler le pauvre Arabe innocent aux traits sympathiques. Une autre méthode très prisée est de présenter le Juif comme un nazi, en recourant à diverses combinaisons entre l'étoile de David et la croix gammée nazie. En voici quelques exemples: Le 5 septembre 1994, l'hebdomadaire égyptien "Roz al Yusuf" publiait la caricature d'un soldat Juif portant une étoile de David sur son casque et une croix gammée sur sa manche, une bombe atomique à la main. Le message est clair: les Juifs, à l'instar des nazis, souhaitent détruire le monde. Le 1er août 1994, l'hebdomadaire syrien "Tishrin" faisait paraître un dessin représentant un vilain Juif assis à une table dont les pieds étaient représentés par deux pauvres petits arabes. Il déclame devant un public inexistant ses exigences pour la signature de la paix. Le caractère traître des Juifs ressort également d'un croquis sans commentaire où un Juif typique (chapeau, barbe, habits noirs) trompe un Arabe. Plus d'une fois dans l'histoire, les Juifs se sont vus accusés d'avoir empoisonné l'eau potable et d'avoir propagé la maladie en infestant les réservoirs d'eau de microbes. Ce sujet a souvent été repris par les écrivains et caricaturistes arabes. Ainsi, le 10 octobre 1994, une parodie paraissait dans "Roz al Yusuf", dans laquelle un Arabe propose la fin du boycott à un Juif en lui tendant une coupe d'eau en signe de paix. Le Juif, représenté une fois de plus dans sa tenue de soldat, une étoile de David collée sur son casque allemand et une croix gammée portée en médaille, verse du poison dans la coupe. L'affreux Juif au gros nez, au chapeau et aux habits noirs, jouant avec le destin du monde, revient encore dans l'édition du 22 octobre 1994 du journal syrien "Tishrin". Un autre journal syrien, "Al-Thawra", décrit les Juifs comme des vers poursuivant un rameau d'olivier terrorisé pour le dévorer (12 octobre 1994). Le 14 novembre 1994, "Roz al-Yusuf" nous montre encore ces Juifs méprisants et assoiffés de sang, dotés de tout l'attirail antisémite typique du "Stürmer", escroquant les Arabes et n'hésitant pas à faire main basse sur leurs marchés. Le parallèle entre le Juif et un vampire se passe de tout commentaire. En Egypte, c'est "Al-Ahâli" qui a lancé l'idée du Juif empoisonnant la paix. Là encore, tous les accessoires antisémites sont présents. Quant à la légende antisémite selon laquelle les Juifs se servent de leur argent pour acheter les Etats-Unis, elle ressort d'une caricature montrant un billet de un dollar orné de deux serpents formant l'étoile de David. Le serpent comme symbole des plans maléfiques ourdis par les Juifs pour régner sur le monde apparaissait déjà comme emblème des Sages de Sion dans les tristement célèbres "Protocoles". L'Arabie Saoudite apporte sa contribution à cette collection en présentant un Juif particulièrement laid roulant les Arabes avec le soutien des Américains ("al-Majallah" 4.9.94; "ash-sharq al-Awsat", 7.8.94). Le Juif barbu au long nez, qui vide les poches du président américain avec l'aide d'un Congrès déjà corrompu par les Juifs est également un grand classique, que l'on retrouve dans une caricature typiquement antisémite de "ad-Duster" (11 février 1990). Pour ce qui est du Juif polluant le monde, une thématique souvent reprise par la publication antisémite allemande "der Stürmer", il revient notamment dans un dessin représentant le monde se bouchant le nez à l'aide d'un couvre-chef arabe et regardant le vilain Juif (qui porte l'étoile de David sur son chapeau) en disant: "Eh bien, voilà pourquoi l'environnement est pollué". D'autres caricatures inspirées du même sujet dépeignent le Congrès américain faisant le baisemain à un affreux Juif qui tient un document dans lequel Jérusalem est déclarée capitale d'Israël, tandis qu'un autre Juif cupide et laid grignote le monde arabe. Le meurtre rituel apparaît également dans ces parodies sous une forme autrement vicieuse. Ainsi l'on voit deux soldats israéliens en train d'assassiner une fille arabe, alors que Mme Shamir les réprimande en disant: "Comment osez-vous gaspiller le sang de la fille avant que nous ayons pu l'utiliser pour les pains azymes ?!" "Al-Bayan", du 21 mars 1990, reprend la même idée à quelques variantes près. L'idée du serpent juif revient aussi dans de nombreuses illustrations, soit de manière indépendante soit en rapport avec les Américains. Dans la région du Golfe, par exemple, on voit un serpent juif attaquant de ses crochets venimeux le Dôme du Rocher, autrement dit les lieux saints de l'Islam, tandis que les deux principaux parti d'Israël ont la forme d'un serpent à deux têtes. Pour ce qui est de l'image des Juifs sanguinaires, les caricaturistes arabes du Koweit ("Sawt al-Kuwait", 10 février 1992) ont choisi la variante du Juif cannibale. Enfin, la terreur fait elle aussi l'objet d'illustrations. Le péril ne vient évidemment jamais des Arabes; la notion de terrorisme arabe n'existe même pas, étant donné que les Arabes sont les combattants de la liberté. Les seuls terroristes étant les Juifs, il incombe à chacun de mettre fin à leurs exactions en détruisant Israël et ses habitants juifs. ("An-Nadwa", 18 avril 1990). Car après tout, les Juifs sont capables d'empoisonner le monde entier, comme le montre la caricature parue en Egypte dans "El-Wafd", le 14 mai 1990. Ce ne sont là que quelques exemples récents parmi les milliers d'illustrations du même genre qui paraissent quotidiennement dans l'ensemble du monde arabe, du Maroc à l'Irak. Des croquis semblables sont également publiés en Iran. La thématique est toujours la même: les Juifs, ces horribles et impitoyables créatures à l'allure de serpent, ont pris le contrôle du monde avec leur argent. Les Arabes et les Musulmans qui leur livrent la guerre rendent en réalité un fier service au reste du monde, puisqu'ils s'efforcent de libérer l'humanité du fléau juif et des fauteurs de trouble juifs avant qu'il ne soit trop tard. Ces caricatures, sans nul doute, témoignent d'une haine profondément enracinée qu'aucune négociation de paix ne saura apaiser. Des années de propagande antisémite et d'éducation de masse par la presse, les médias électroniques et les publications populaires devront d'abord être effacées avant que l'on puisse rêver d'une authentique réconciliation entre Juifs et Arabes. Or, rien n'a été entrepris dans ce sens. Au contraire, la prolifération de caricatures antisémites est plus importante que jamais. février 1992) |