Eugène Zak (1884-1926)
Par Oscar Ghez, Président-Fondateur du Musée du Petit Palais de Genève
Voici un nouvel article sur un peintre juif qui ne connut pas la déportation puisqu'il est mort très jeune, en 1926, mais sa femme et son fils sont décédés à Auschwitz. J'ai beaucoup entendu parler d'EUGENE ZAK et de son immense talent. Après la guerre, la Galerie Zak, qui se trouvait rue de l'Abbaye à Paris, a été reprise et dirigée par un homme compétent et d'une très grande intégrité, Monsieur Vladimir Raykis, avec lequel j'ai entretenu les meilleurs rapports jusqu'à sa disparition. Parmi les peintres juifs arrivés de Pologne, Eugène Zak a été un réel créateur. Sa peinture ne peut être confondue avec celle d'aucun autre artiste. Plusieurs de ses toiles furent achetées par la famille A. de Rotschild et par d'autres collectionneurs.
Eugène Zak, né à Molgino, était issu d'une famille juive polonaise. Arrivé en France à l'âge de seize ans, il fut élève de Gérôme. Ensuite, il parcourut l'Italie et l'Allemagne où il fréquenta l'Académie de Munich, puis, de retour à Paris, il exposa pour la première fois en 1904, au Salon d'Automne. Ses premières ýuvres dénotent un souci de naïveté et de stylisation esthétique qui reste encore très éloigné du langage prictural qu'il développera quelques années plus tard. Une exposition individuelle, à la Galerie Drouet en 1911, attira sur lui l'attention du public et de la critique. De 1916 à 1922, il séjourna en Pologne et en Allemagne puis regagna à nouveau Paris, qu'il ne devait plus quitter. Dès son retour, sa vraie personnalité apparaît, son style artistique prend forme, amenant ce sentiment de délivrance qui devait accompagner Zak jusqu'à sa fin si cruellement prématurée. C'est alors que l'on peut découvrir ses tableaux à la galerie Marcel Bernheim: du pêcheur mutin qui interroge le poisson qu'il sort de l'eau à ce buveur moins disposé à absorber le liquide d'une cruche que le soleil dont il est inondé, ou bien encore cette femme mélancolique que sa guitare ne guérit pas de son ennui et bien d'autres. Mais moins que par ses personnages, il rendait visibles son allégresse et les ressources de sa poésie intime par la grâce hardie et décorative de son dessin et surtout par la délicatesse de ses rapports de tons, par la douceur tendre et pudique d'une gamme d'harmonies légèrement cendrées et qui peut oser les plus délicieuses oppositions. A regarder sa palette, on s'aperçoit qu'il a probablement beaucoup étudié Tintoret de qui l'on retrouve de ci, de là, les verts bronzés, les roses vineux, les argents saumonés, les bleus poudrés, mais avec quelque chose de dilué et d'éteint, comme un estompage des fortes couleurs du maître. On dit d'Eugène Zak qu'il faisait souvent penser à Hoffmann, et sa personne aussi, sans doute, car à cause de sa toute petite taille ses amis l'appelaient "Klein Zaches", du nom du personnage Hoffmannesque dénommé "Cinabre". Mais il n'évoque ni Hoffmann fantastique, ni le "grotesque" et seulement le nostalgique, celui qui, sans avoir vu l'Italie, écrivait Doge et Dogaresse, Salvator Rosa et l'incomparable Princesse Brambilla. On peut encore ajouter à cela qu'Eugène Zak est un des rares peintres qui aient eu le sens du mouvement. Cet aspect du talent de Zak n'est pas à négliger: le dynamisme d'une ýuvre d'art est un des éléments de sa beauté. Les amateurs qui connaissent l'ensemble des peintures d'Eugène Zak déploreront la disparition cruelle et rapide d'un homme si bien doué, qui aurait pu donner encore tant de tableaux de choix, mais qui n'en laisse pas moins une ýuvre authentique, qui lui appartient en propre, une ýuvre achevée, légère, délicieuse, personnelle et close comme un système politique.
Eugène Zak exposa à la Nationale des Beaux-Arts, aux Salons des Indépendants, d'Automne. Il fut à la tête des peintres "Rythmistes" et peignit des compositions où les masses générales, les plans, les volumes, les contours se répondent les uns aux autres et où la même courbe enlace les figures, les paysages. Les combinaisons sans fin des couleurs doivent occasionner des états émotifs de bien-être ou de malaise. Il ordonna ses surfaces avec délicatesse et subtilité afin d'émouvoir de la même manière qu'un musicien ou un poète. Les ýuvres de la fin de sa vie se limitent au contraire à un personnage unique, le paysage tendant à disparaître. Une rétrospective de son ýuvre fut présentée en 1926, au Salon des Indépendants. Inhumé au cimetière Montparnasse, son tombeau fut exécuté par Despiau.