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Sommaire Art et Culture Printemps 2006 - Pessah 5766

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Pessah 5766
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Art et Culture
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Éthique et Judaïsme
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La mémoire courte
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Montparnasse déporté


Par Roland S. Süssmann

Petit par son format, mais immense par son contenu, le catalogue de l'exposition «Montparnasse Déporté» commence par une page blanche sur laquelle une seule phrase figure, celle du fameux poète Paul Éluard, de son vrai nom Eugène, Émile, Paul Grindel (1895-1952), imprimée en lettres d'or disant: «Si l'écho de leur voix faiblit, nous périrons» ! Cette brève citation incarne tout l'esprit de cette exposition, qui s'est d'abord tenue au Musée du Montparnasse du 12 mai au 2 octobre 2005, avant d'être transférée à Yad Vashem à Jérusalem, où elle a ouvert ses portes le 27 janvier 2006. Environ deux tiers des 170 tableaux présentés proviennent de l'exposition de Paris, le reste appartient à la collection d'art de Yad Vashem et à diverses collections publiques ou privées en Israël. L'exposition a ainsi été enrichie de documents authentiques, de photographies et de biographies des différents artistes présentés dans des petites vitrines didactiques.
Mais pourquoi ce titre «Montparnasse Déporté» ?
Les lecteurs de Shalom se souviendront certainement de la magnifique série d'articles que nous avions publiés sous la plume de M. Oscar Ghez szl., président du Petit Palais de Genève, qui relataient la vie de nombreux artistes de l'École de Paris, dont les tableaux font partie de la collection de ce superbe musée, malheureusement fermé aujourd'hui. Dans chaque volume, nous présentions un autre peintre, et M. Ghez avait consacré l'un de ses articles aux artistes assassinés pendant la Shoa (Shalom Vol.13). Rappelons ici que le «Mémorial en l'honneur des artistes victimes du nazisme» a été créé en 1979 à l'Université de Haïfa par M. et Mme Oscar Ghez et que celui-ci comprend notamment des ?uvres d'Alex Fasini, de Joachim Weingart, d'Henri Epstein, de Nathalie Kraemer (à qui nous avions consacré un article spécial dans Shalom Vol.14), de Georges Kars, de Max Jacob et de nombreux autres, dont nous retrouvons aujourd'hui certaines ?uvres dans l'exposition de Yad Vashem. Au sujet de cette splendide collection offerte par M. et Mme Ghez à l'Université de Haïfa et la manière dont ils l'avaient constituée, M. Ghez avait alors écrit ces quelques mots dans Shalom: «. je les avais patiemment rassemblées pour constituer ce que j'appelais «la partie sentimentale» de ma collection de peintures, celle qui touchait mon c?ur juif le plus profondément».
L'exposition à laquelle nous vous invitons aujourd'hui traite exactement de ce sujet douloureux. Toutefois, avant de parler de cette présentation en tant que telle, un bref et superficiel rappel historique s'impose. Du début du XXe siècle jusqu'à l'avènement de la Deuxième Guerre mondiale, Paris était un centre culturel plein de vie où convergeaient des artistes en provenance de toute l'Europe. La France leur accordait tous les droits civiques ce qui, en tant que Juifs, leur était dénié dans leurs pays d'origines. Ils s'étaient installés dans le quartier de Montparnasse où d'autres artistes travaillaient déjà: Picasso, Chagall, Brancusi, Modigliani, Fujita et Diego Rivera. Bien plus qu'un style ou un mouvement, l'École de Paris est l'expression de la rencontre d'artistes de différentes origines qui se sont retrouvés au même moment au même endroit avec un objectif en commun: créer.
Dès l'occupation allemande de la France en 1940, la persécution d'artistes juifs a commencé sérieusement. Quelques-uns ont réussi à se cacher, d'autres à fuir, mais la majorité a été déportée et assassinée à Auschwitz. De ce fait, ce phénomène rare et unique dans l'histoire de l'art qu'était l'École de Paris a alors été stoppé brutalement. L'exposition de Yad Vashem nous permet d'entrevoir ce que fut la vie vibrante et palpitante du monde de ces artistes juifs qui se trouvaient déjà au bord du précipice de la Shoa.
Certes, l'exposition du Musée du Montparnasse de Paris constitue un acte de mémoire formidable et, dans son message d'inauguration, Mme Simone Veil l'a souligné en disant: « . En montrant aussi les tableaux d'avant-guerre d'artistes qui périrent dans les camps nazis, le Musée du Montparnasse ne rend pas seulement compte de l'importance de l'École de Paris et de Montparnasse, qui n'est plus à démontrer, mais il nous fait mesurer la richesse et la diversité artistiques dont nous avons été privés à cause de l'entreprise nazie. C'est en prenant conscience de l'?uvre accomplie, mais aussi de celle qu'ils auraient pu accomplir, que l'on mesure à quel point la destruction de tous ces artistes a constitué une perte irrémédiable pour l'humanité». Toutefois, l'exposition de Jérusalem a un caractère différend car, en plus des tableaux à proprement parler, l'accent est mis sur la biographie de chaque artiste et surtout sur la fin de leur vie. L'un des buts de cette présentation est de démontrer la dichotomie entre la vie très normale d'un artiste, son désir d'avoir du succès et d'être reconnu à travers le monde entier et sa fin tragique. La dernière ligne de chacune des biographies, répétée inlassablement à travers toute l'exposition, dit: «arrêté et déporté à Auschwitz, où il (elle) a été assassiné(e)». Sur les 60 artistes présentés, 95% ont péri dans les chambres à gaz. Dans le cadre de l'exposition de Paris, le fait qu'ils soient morts dans la Shoa était certes mentionné, mais à Yad Vashem, cet aspect est volontairement amplifié et répété 162 fois. Ils ne sont pas décédés à Auschwitz, ils n'y sont pas morts de faim - ils ont été froidement assassinés. Mais en plus de la fin terrible de chacun des artistes présentés, il est très intéressant de voir la manière dont les biographies sont faites: brèves, mais complètes et émouvantes. Le visiteur apprend ainsi l'histoire de chaque artiste, ses origines, qui étaient ses parents, quelle était sa vie à Paris, quand, où, par qui et dans quelles circonstances il fut arrêté, avec quel transport (numéro et date) il fut déporté à Auschwitz et finalement, la date de son assassinat lorsqu'elle est connue. En plus de la beauté saisissante de la majorité des tableaux exposés, l'exposition constitue en fait une courte histoire d'un épisode spécifique de la Shoa, narrée de manière intensive et personnifiée par la vie et la mort de ces artistes. Si leur histoire était déjà plus ou moins connue, un aspect de ce monde des arts était jusqu'à présent peu évoqué: l'histoire des artistes issus de l'École Bezalel de Jérusalem, qui ont été assassinés à Auschwitz. En effet, quelques artistes, venus de divers pays s'installer en Palestine, avaient suivi une formation à l'École Bezalel. En raison de leur talent et de leurs qualités exceptionnelles, leurs professeurs avaient tout mis en ?uvre pour qu'ils se rendent à Paris afin d'y pratiquer leur art. C'est ainsi que pour Madim Zardinsky (originaire de Novorossiysk), David Brainin (Kharkhov), Adolphe Feder (Odessa) et Yéhudah Cohen (Salonique), la mort fut au rendez-vous. Zardinsky et Cohen s'étaient rencontrés à Jérusalem et étaient partis ensemble à Paris. Ironie de l'histoire ou hasard, les seules ?uvres de ces deux artistes que l'exposition a pu présenter sont une huile de Zardinsky et un portait de Zardinsky réalisé par Yéhudah Cohen !
Certains tableaux sont plus parlants que d'autres. C'est le cas notamment de deux autoportraits de Jacob Macznik. Le premier, réalisé à Paris au début de ses études dans les années 30, montre un jeune homme plein de vie, bien nourri, au regard optimiste. Sur le second, peint quelque temps avant sa déportation, on voit un homme amaigri, le visage émacié, avec le regard hagard d'un être traqué. Ces deux tableaux sont significatifs, ils dépeignent la vie de tous les autres artistes. La toile suivante est un autoportrait de Roman Kramsztyk. D'origine polonaise mais bien intégré dans la vie parisienne, il connut quelques succès. En 1939, sa mère étant tombée malade, il se rendit à son chevet à Varsovie, où il se retrouva enfermé dans le Ghetto avec tous les autres Juifs et dans l'impossibilité de repartir pour Paris. A Yad Vashem se trouve un magnifique portrait qu'il a alors peint du Dr Adam Czerniakow, le président du Judenrat, qui en définitive s'est suicidé pendant l'été de 1942. Ce qui est intéressant, c'est que dans ses mémoires, Ladislav Spielmann, le héros du film Le Pianiste, raconte qu'un jour Kramsztyk s'est rendu dans le Stucka-Café de Varsovie où Spielmann gagnait sa vie en jouant du piano. Très déprimé, il aurait alors dit à Spielmann: «ne vois-tu pas que nous sommes tous condamnés à mort ?». Quelques jours plus tard, les Allemands ont envahi l'immeuble où il vivait avec ses parents et ont ordonné à tout le monde de sortir pour monter dans des camions. Roman Kramsztyk a refusé et un SS l'a abattu d'une balle. Spielmann conclut son récit en disant: «Kramsztyk est mort comme il l'a souhaité, entouré de ses peintures».
L'exposition continue et le visiteur découvre progressivement à travers les 170 ?uvres la vie des 60 artistes venus de Belarus, de Tchécoslovaquie, de France, d'Allemagne, de Grèce, de Hongrie, de Lettonie, de Lituanie, de Pologne, de Roumanie, de Russie et d'Ukraine. Tous étaient Juifs, tous étaient venus à Paris sans le sou, tous ont bénéficié de l'entraide de leurs amis peintres.
Parmi les artistes dont l'histoire est également très significative, il faut mentionner Max Jacob, qui s'était converti au christianisme et qui avait pour parrain l'un de ses meilleurs amis, Picasso. Mais lorsque ses parents, sa s?ur et lui-même ont été arrêtés pour être déportés, aucun de ses «bons amis» de la vie parisienne ni aucune de ses relations n'ont réussi à le sauver. Il avait demandé en particulier à Sacha Gautier (et non pas à Picasso), l'un de ses très bons amis et néanmoins collabo, d'intervenir, mais celui-ci ne fit rien. Max Jacob, qui était déjà très malade, n'a pas été déporté à Auschwitz., il est mort à Drancy le 5 mars 1944.
A travers cette exposition, le visiteur va d'émotions en émotions, suscitées par la beauté de l'?uvre, la vie de l'artiste ou encore, et ce n'est pas rare, par la combinaison de ces deux éléments. Pour les amateurs de littérature yiddish, il est intéressant de s'attarder sur l'?uvre de Rachel Szalit-Marcus, dont la peinture a été inspirée par les écrits d'auteurs yiddish et par la littérature moderne hébraïque. Elle a illustré le «Fils du Hazan» de Sholom Aleichem, «Fiské le tordu» de Mendele Mocher Sforim, «Le Roi des mendiants» d'Israël Zangwil et le «Rabbi Nahman de Breslav» de Martin Buber. Le 19 août 1942, elle a été arrêtée et déportée avec le transport Nr. 21 à Auschwitz, où elle a été assassinée.
A l'issue d'une visite privilégiée, guidée par Mme Yehudit Shendar, conservatrice en chef du Département des arts du Musée de Yad Vashem, nous lui avons demandé dans une conversation à bâtons rompus quelle était, pour elle, la partie la plus émouvante de cette exposition. Elle nous a répondu: «Il y a de très nombreux moments très prenants, mais je crois pouvoir dire que ce qui m'émeut le plus, c'est lorsque des membres de la famille de l'un de ces artistes viennent voir l'exposition et découvrent qu'une ?uvre de leur parent disparu y est exposée et qu'ils se font connaître à nous. Ou lorsque je trouve des membres de la famille de l'un de ces peintres assassinés. Je vous citerai l'exemple d'une parente de Gela Sekszjztajn-Lichtenstztajn, que j'ai pu retrouver en Israël, dont la mère avait été en Pologne avant la guerre et à qui Gela, sa belle-s?ur, avait offert un tableau en disant: «un souvenir de Gela pour Eretz Israël». Il s'agit de la seule peinture à l'huile de Gela qui ait survécu à la guerre».
Lors d'un prochain séjour en Israël, même pour ceux d'entre nous qui seront en vacances ailleurs qu'à Jérusalem, une visite à l'exposition «Montparnasse Déporté» constitue un must, car il s'agit d'une expérience aussi émouvante qu'inoubliable.

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