News Numéro courant Sondage: résultats Recherche Archives Deutsch English Русский עברית Español


Sommaire Société Printemps 2004 - Pessah 5764

Éditorial - Avril 2004
    • Éditorial [pdf]

Pessah 5764
    • Responsabilité - Générosité - Liberté [pdf]

Politique
    • Un repli sur soi [pdf]

Interview exclusive
    • Gaza - Une idée réaliste ? [pdf]

Témoignage
    • Compassion Oui - Pitié Non [pdf]

Jeunes leaders
    • Yuval Steinitz [pdf]

Judée-Samarie-Gaza
    • Alfé Menashé [pdf]

Sondage-Résultats
    • Et le gagnant est... [pdf]

Shalom Tsedaka
    • A Boire et à manger… [pdf]

Reportage
    • Les Falashas Mouras [pdf]
    • Le Krav Maga [pdf]

Médecine
    • Il est miniuit Dr Chouraqui ! [pdf]

Allemagne
    • Jérusalem et Berlin [pdf]
    • Juif en Allemagne - Pas Juif allemand [pdf]
    • Un défi de taille [pdf]
    • La communauté juive de Berlin [pdf]
    • Le collège juif de Berlin [pdf]
    • Les Juifs de Berlin [pdf]
    • Beit Midrasch d'Berlin [pdf]
    • La Villa de Wannsee [pdf]
    • La conférence de Wannsee du 20 janvier 1942 [pdf]
    • Le Musée juif de Berlin [pdf]
    • Détermination et poursuites [pdf]

Éthique et judaïsme
    • Racheter des captifs ? [pdf]

Société
    • Conflit de léglislations ? [pdf]

Envoyer par e-mail...
Conflit de léglislations ?

Par Rachel Levmore *
J’ai le sentiment d’un déjà vu. Une fois de plus, je me retrouve dans la salle d’audience de la Haute Cour de justice rabbinique à Jérusalem. Les trois honorables rabbins tentent de convaincre Yakov d’accorder le «guèt» (l’acte de divorce juif) à son épouse; tout en les écoutant, j’observe le mari récalcitrant. Affichant un air satisfait, Yakov se comporte comme un homme sûr de lui. Physiquement, il en impose par ses dimensions, il est grand et large d’épaules, quoique légèrement voûté. En se levant, il ajuste sur sa tête une grande kippa noire. Lorsqu’il s’approche des magistrats pour présenter sa dernière liste de requêtes, on entend le cliquetis des chaînes qui lui entravent les pieds.
A l’autre table, en face des trois rabbins-juges, se tient Liora, l’épouse (sur le papier) de Yakov. Elle est son épouse aux yeux de la loi civile ainsi qu’au regard de la loi juive (la halakha), bien qu’elle ait demandé la dissolution du mariage il y a déjà onze ans ! Yakov a passé les trois dernières années de cette «union» en prison. Il n’a pas été condamné pour des activités criminelles. En fait, il a été incarcéré sur l’ordre du même tribunal rabbinique devant lequel il comparaît en raison de son obstination à refuser le divorce à sa femme, en dépit des injonctions des rabbins. En qualité d’avocat représentant Liora devant le tribunal rabbinique, j’ai adressé à la Cour la requête demandant de mettre Yakov en prison. Cette requête a été accordée, toutefois nous n’avons pas obtenu le résultat escompté: le «guèt» pour Liora. Depuis trois ans, c’est Yakov lui-même qui détient la clé susceptible de lui ouvrir les portes de sa prison. Il suffirait qu’il donne le «guèt» pour redevenir un homme libre et pour en même temps libérer Liora.
Cette scène quelque peu surréaliste est vécue dans la réalité par de nombreuses femmes. Elles se retrouvent liées contre leur gré par les chaînes d’un mariage juif, en Israël comme en diaspora.
En diaspora, le mariage est légalement régi par l’État dans lequel le couple réside; il s’agit du mariage civil. Si le couple désire que son union soit consacrée par la Loi juive, il s’adresse à un rabbin qui célèbre la cérémonie des «kidouchin» sous une «houpa» (dais nuptial), autrement dit, le mariage religieux. En Israël toutefois, le seul mariage reconnu par la loi civile pour les Juifs est le mariage religieux, c’est-à-dire la cérémonie des «kidouchin». La situation est pareille pour le divorce. Dans toutes les démocraties du monde, excepté dans l’État juif, c’est un juge civil représentant l’État qui préside à la procédure du divorce. En prononçant le divorce, le juge modifie l’état civil de l’homme et de la femme, rayant la mention marié et la remplaçant par la mention divorcé: désormais, aux yeux de la loi, ils sont célibataires. Si le couple est juif et désire dissoudre son union conformément à la loi juive, le mari doit remettre aux mains de l’épouse le «guèt», l’acte de divorce juif. Dans le monde entier, cela se fait sous l’égide d’un tribunal rabbinique. Ainsi, deux procédures sont entamées au terme desquelles le couple aura divorcé à la fois au regard de la loi civile et au regard de la halakha. Dans l’État d’Israël toutefois, une seule procédure tient lieu de divorce: la remise du «guèt» par le mari aux mains de son épouse, en présence et sous la surveillance d’un tribunal rabbinique officiel mandaté par l’État. Une fois cette procédure menée à bien, la modification de l’état civil des personnes est reconnue à la fois par la loi civile et par la loi juive. L’État d’Israël ne connaît ni mariage civil ni divorce civil.
Au-delà de la différence évidente entre la situation en diaspora et la situation en Israël, il y en a une autre, et de taille. Partout dans le monde, lors de la cérémonie d’un mariage civil, l’homme et la femme donnent tous deux leur consentement à l’union. Cet assentiment donné au cours de la cérémonie constitue en fait une espèce de contrat. Si, ultérieurement, une des deux parties ou toutes deux souhaitent résilier le contrat, cette résiliation se fera par l’intermédiaire d’un tribunal. L’acte de divorce est délivré par le tribunal et non par les parties elles-mêmes, seul le juge est habilité à effectuer toutes les étapes de la procédure, même si l’un des époux s’y oppose avec véhémence.
Le consentement de l’homme et de la femme est également requis dans la cérémonie du mariage religieux, comme dans le mariage civil. Cependant, lorsqu’on en vient au divorce, les conditions ne sont pas comparables à celles prévalant dans la procédure civile. La modification de l’état civil des deux époux dépend de l’action du mari: il faut que ce dernier, de son plein gré, remette le «guèt» en mains propres à sa femme. Si le mari s’oppose au divorce, aucune autre personne, aucune autre instance – fût-ce un tribunal – ne peut le prononcer à sa place. Par conséquent, la femme qui a librement accepté de s’unir à un homme par les liens du mariage religieux juif et a choisi ainsi de sanctifier cette union, ne peut s’en dégager de sa propre volonté. Au regard de la halakha, elle demeure mariée jusqu’à ce que son époux accepte de la délivrer et pendant tout ce temps, elle a le statut peu enviable de «agunah».
Les problèmes découlant de cette situation ne sont pas les mêmes en diaspora et en Israël. Dans la plupart des pays, les époux doivent être unis par une procédure civile pour obtenir la reconnaissance légale du mariage, la cérémonie religieuse demeurant facultative. Pour faire reconnaître un divorce, les époux doivent également s’adresser à un tribunal civil tandis que la procédure religieuse, tout comme pour le mariage, est facultative. (Remarque: une Juive orthodoxe ne se remariera pas, ni civilement ni religieusement, si elle n’a pas obtenu le «guèt» de son ex-mari.) En Israël, il n’y a pour les Juifs qu’une façon de divorcer si l’on veut la reconnaissance officielle de l’État, de même qu’il n’y a qu’une façon de se marier: il faut s’adresser à un tribunal rabbinique mandaté par l’État, dont les décisions reposent sur la halakha. La halakha ou la Loi religieuse juive constitue donc le facteur déterminant pour la reconnaissance civile du mariage ou du divorce. Juridiquement, les affaires d’état civil ne sont pas du ressort des tribunaux civils, même pas du tribunal de famille. Tout individu juif qui souhaite bénéficier des services fournis par l’État pour le mariage ou le divorce est soumis à la juridiction du tribunal rabbinique. Tout cela nous mène à la conclusion suivante: tandis qu’en diaspora une femme juive peut obtenir un divorce civil et ensuite se remarier civilement, en Israël elle est entièrement dépendante du bon vouloir de son mari, il faut que ce dernier lui remette le «guèt» pour qu’elle puisse envisager de se remarier.
Vu sous cet angle, on comprend mieux le phénomène du mari récalcitrant et sa fréquence. Avant de s’engager dans le mariage, chacun des partenaires est libre de refuser la modification de son état civil. Les époux doivent tous les deux consentir au mariage. Avant d’entamer un divorce, le mari et lui seul (selon la loi torahïque) est libre de refuser la modification de son état civil. [Selon un décret rabbinique établi par Rabbénou Guershom Meor Hagola (Xe–XI e siècle), dans les mariages entre ashkénazes, l’épouse a également le droit de refuser la modification de son état civil et de ne pas accepter de recevoir le «guèt». Décret qui contribue aussi à compliquer la procédure du divorce dans certains cas, mais pas au même degré que le refus du mari.] Son consentement est la condition sine qua non pour la dissolution du mariage. Dans ce cas, le mari peut avoir des revendications, souvent exorbitantes, qui doivent être satisfaites par l’épouse si elle veut obtenir son accord pour le divorce. Il peut aussi simplement refuser de donner le «guèt», sans motif spécifique. Le tribunal rabbinique en Israël a beau posséder dans ce domaine de larges pouvoirs juridiques, mais ni lui ni l’institution équivalente en diaspora ne peuvent délivrer un acte de divorce en lieu et place du mari.
Les revendications d’un mari récalcitrant relèvent parfois de l’extorsion pure. Il arrive qu’elles soient formulées dans les termes typiques d’un processus de négociation «légitime», faisant mention par exemple aux «sommes d’argent dues» par l’épouse au mari. L’homme peut même stipuler qu’il accordera le «guèt» uniquement si son épouse renonce à la garde de leurs enfants communs et les lui confie «pour le bien des enfants». Les pressions exercées par le mari sur l’épouse et sur le tribunal rabbinique sont énormes. L’emprise qu’il détient relève en fait de ce qu’on appelle «dinei nefashot», mettant en jeu l’existence d’autres êtres humains. Sans l’accord de cet homme, la femme ne peut refaire sa vie. Elle ne peut se remarier et ne peut enfanter les enfants d’un autre homme. Injustice supplémentaire, pendant qu’elle se débat avec les lenteurs de la justice, l’horloge biologique avance inexorablement.
Cette situation intolérable a connu une exacerbation au cours des cent dernières années. Vie moderne et mobilité accrue ont contribué à créer un problème ayant pris des proportions mondiales: le refus du «guèt». Dans certaines communautés, ces cas tragiques sont passés sous silence, dans d’autres les feux de l’actualité les ont mis au premier plan. En Israël et aux États-Unis, des avocates plaidant devant les tribunaux rabbiniques, des rabbins et des personnalités laïques tentent par divers moyens de trouver une solution dans le cadre de la halakha. Jusqu’ici toutefois, personne n’a réussi à mettre au point une procédure recueillant l’unanimité.
Dans la salle du tribunal où s’affrontent Yakov et Liora, tous les protagonistes de la scène décrite ci-dessus savent pertinemment que le cas débattu n’est qu’un exemple parmi des milliers qui défraient quotidiennement la chronique judiciaire dans l’État d’Israël. Les chaînes liant ces femmes à un mariage dont elles ne veulent plus sont aussi lourdes et contraignantes que celles entravant les pieds de Yakov. Malheureusement, le nombre de cas similaires n’est qu’une maigre consolation pour ceux qui tentent de délivrer Liora. La magnitude du phénomène ne fait qu’amplifier sa tragédie personnelle.

* RACHEL LEVMORE
En sa qualité d’avocate aux tribunaux rabbiniques depuis 1995, Rachel Levmore s’est spécialisée dans la défense des cas des femmes confrontées à un problème d’«igoun» ou de refus d’octroi du «guèt», qui sont présentés devant les tribunaux rabbiniques d’Israël. En janvier 2000, elle est devenue la première femme à être admise à siéger dans la section spéciale traitant des questions des «agounoth» au sein du Directorat national des Cours rabbiniques d’Israël. D’autre part, Rachel Levmore a fait partie d’une commission spéciale qui a élaboré un contrat prénuptial type destiné à prévenir le refus d’octroyer le «guèt». Bien qu’il s’agisse-là d’un problème avant tout typiquement inhérent à la société israélienne, ce contrat est valable et applicable dans le monde entier. Par le biais de ses conférences, séminaires et workshops tenus en Israël et dans le monde entier, Rachel Levmore renforce l’attention du monde juif quant à la question complexe du divorce juif aujourd’hui.
Sa formation académique comprend un Masters (Summa Cum Laude) du département de Talmud de l’Université de Bar Ilan. Actuellement, Rachel écrit une thèse dont le thème principal porte sur le point de rencontre possible entre la législation moderne et démocratique de l’État d’Israël et la Halakha (législation juive) plusieurs fois centenaire en ce qui concerne les cas les plus complexes de refus d’octroyer le «guèt» présentés régulièrement devant les tribunaux rabbiniques israéliens.
Rachel Levmore est mariée et mère de sept enfants.

Contacts
Redaction: edition@shalom-magazine.com   |  Advertising: advert@shalom-magazine.com
Webmaster: webmaster@shalom-magazine.com

© S.A. 2004