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Sommaire Pologne Printemps 2003 - Pessah 5763

Éditorial – Avril 2003
    • Éditorial

Pessah 5763
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Politique
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Interview
    • Un défi de taille

Recherche scientifique
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    • Le secret du ribosome

Judée - Samarie - Gaza
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Shalom Tsedaka
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Analye
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Analyse
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Œnologie
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Reportage
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Pologne
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Union Serbie - Monténégro
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Yougoslavie
    • Josip Erlih [pdf]

Éthique et Judaïsme
    • Responsabilité filiale

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Mémoire et espoir

Par Roland S. Süssmann
Le cortège est silencieux. Environ cinq mille jeunes Juifs venus du monde entier se trouvent pour la première fois de leur vie confrontés à la réalité des camps de la mort et se tiennent debout en rangs devant le portail d'Auschwitz portant la fameuse et infâme inscription "Arbeit macht frei". La majorité d'entre eux porte le drapeau bleu et blanc. Ils attendent. Soudain, le plus long des sons du chofar retentit: la Tekiah Gedolah ! C'est le signal du départ. Lentement, les porte-drapeaux de l'armée israélienne, suivis des délégations officielles d'Israël et de Pologne qui dirigent la parade du souvenir et de l'espoir, se mettent en mouvement. La MARCHE DES VIVANTS, qui va d'Auschwitz à Birkenau, a commencé.
Sur cette distance de trois kilomètres, chaque participant est envahi par la gravité des lieux et du moment. La route traverse le pont ferroviaire qui surplombe un nombre impressionnant de rails utilisés par les fameux trains de la mort en provenance de toute l'Europe. Puis c'est l'arrivée à Birkenau, où des haut-parleurs débitent les noms, les âges et les villes d'origine des déportés jusqu'au site de la cérémonie émouvante du souvenir qui se tient devant les ruines des chambres à gaz.
Mais en fait, qu'est-ce que la "Marche des Vivants" ?
Le témoignage d'un jeune Juif canadien qui a participé à l'une des premières "Marches des Vivants" en 1990 résume en quelques mots l'esprit dans lequel cet événement a été créé ainsi que le pourquoi et le comment de son déroulement.
"Lorsque nous marchions vers Birkenau, je portais le drapeau d'Israël que l'on m'avait donné et j'avais véritablement le sentiment d'être le dépositaire de la mémoire juive et des événements qui se sont déroulés en ces lieux. Je me demandais quels avaient pu être les sentiments des victimes de ces camps. Pouvaient-elles imaginer qu'après leur disparition, il y aurait encore un peuple juif ? Je comprenais le sens profond de notre retour dans ces lieux, l'importance de nous souvenir de ceux qui ont souffert et péri ici et de leur redonner ainsi la dignité qu'ils méritaient. Le fait de porter le drapeau d'Israël sur ces terres était la démonstration évidente, pour moi et pour eux, que cette tragédie ne constituait pas la fin du peuple juif ".
Afin de nous permettre de mieux cerner les raisons profondes du succès de cette manifestation de première importance, nous avons rencontré M. ABRAHAM HIRSCHSON, député à la Knesset mais surtout le fondateur et président du "Center for the Study of Jewish Heroism - March of the Living".

Comment cette idée fondamentale de réaliser la "Marche des Vivants" vous est-elle venue ?

Avant de vous répondre directement, j'aimerais citer les paroles qu'Elie Wiesel a prononcées à Auschwitz lors de l'une des Marches des Vivants et qui, aujourd'hui plus que jamais, ont toute leur signification: "Comment peut-on, en ce lieu et en ce jour, ne pas être concerné par l'assaut actuellement lancé contre la mémoire juive ? Certaines personnes nient les faits et ce qui s'est produit - d'autres disent que nous étions coupables. D'autres encore, dans leur violence, utilisent pour s'attaquer à Israël le vocabulaire dont nous usons pour définir les actes de nos bourreaux. Nous étions convaincus que l'antisémitisme était mort ici. Il n'a pas péri... seules les victimes ont succombé."
En 1986, à la Faculté de Nantes, un certain professeur Henri Roch a publié une thèse dans laquelle non seulement il niait la Shoa, mais il affirmait qu'il s'agissait d'une invention juive. Lorsque j'ai pris connaissance de cette infamie, je me suis dit qu'il fallait absolument réagir. Il ne s'agissait pas de se contenter d'une simple condamnation de cette publication, mais d'entreprendre une action importante à laquelle le monde juif participerait dans son ensemble et à grande échelle. Il fallait donner une réponse à la fois forte et moderne, pouvant mobiliser les Juifs à travers le monde. J'ai également été motivé par le fait que d'une certaine manière, nous étions "en fin de course", les survivants pouvant témoigner n'étant plus pour longtemps parmi nous. Après leur disparition, la période de la Shoa, malgré toute son ampleur, sera inéluctablement réduite à un fait historique qui devra confronter les théories et les études d'historiens qui compteront dans leurs rangs des négationnistes qui diffuseront leur poison en niant la réalité du génocide juif. Soudain, j'ai eu cette idée de créer la "Marche des Vivants". A l'époque, je n'étais pas député à la Knesset et je ne représentais aucune organisation juive. J'ai pris ma valise et mon bâton de pèlerin et j'ai commencé à parcourir le monde juif afin de trouver des fonds et un soutien pour concrétiser mon idée. Mais en plus de ces deux éléments, un troisième s'est avéré primordial: convaincre les parents de nous confier leurs enfants entre 16 et 18 ans pour un voyage en Pologne qui, il faut s'en souvenir, était alors encore communiste. En 1988, soit un an et demi après avoir eu l'idée, la première "Marche des Vivants" a eu lieu avec la participation de 1500 jeunes répartis en délégations provenant de 22 pays. Je ne pouvais pas alors imaginer la réaction de ces jeunes et l'un d'eux a en fait exprimé le sentiment de tous en disant: "Cinq minutes à Auschwitz-Birkenau m'ont apporté plus que dix ans d'études." Cette réflexion démontre la justesse de la thèse prônant "qu'il est plus utile d'amener l'école sur les lieux de la Shoa que d'introduire la Shoa dans l'école". Ceci ne signifie pas, bien entendu, que cette période terrible de notre histoire ne doit pas être étudiée. Lorsque j'ai vu le succès remporté par ce premier voyage, nous avons décidé d'organiser cette manifestation tous les deux ans, ce qui fut le cas jusqu'en 1994. Mais nous nous sommes rendu compte que d'une part la demande devenait de plus en plus importante et que d'autre part, il était impossible d'emmener plus de 6000 personne à chaque fois. Nous avons donc décidé que cet événement aurait lieu chaque année, le jour de Yom Hashoa, et fin avril prochain se tiendra la 13ème Marche des Vivants. Il faut aussi savoir que sur les 5 à 6000 participants, environ 1200 seulement sont Israéliens, les autres viennent de 48 pays différents, y compris du Maroc et de l'Inde.

Pourquoi ce terme de "Marche des Vivants" ?

Je voulais que des milliers de jeunes Juifs prennent la route où s'est déroulée la "marche de la mort" que des milliers de Juifs ont été obligés d'emprunter pour aboutir dans les chambres à gaz de Birkenau. Je voulais qu'une fois par an, ce chemin soit transformé en une mer de drapeaux israéliens bleus et blancs et que des jeunes Juifs venus de partout se retrouvent pour clamer ensemble à la face du monde: "Am Israël Haï" - Le peuple juif vit et vibre ! Techniquement, il s'agit d'une opération très importante qui est en majorité réalisée par des volontaires de tous les pays concernés. Afin de vous donner une petite idée de l'ampleur du travail, nous expédions chaque fois cent tonnes de nourriture cachère en Pologne. Quant aux questions de sécurité, nous avons mis en place une excellente coopération avec les autorités polonaises.

Pensez-vous qu'outre les retombées purement éducatives, la participation à la "Marche des Vivants" a d'autres conséquences bénéfiques pour les participants ?

Une étude nous a appris que ces jeunes qui viennent en Pologne afin de retrouver les traces d'un monde disparu et comprendre comment toute une génération de Juifs a pu être annihilée de la sorte, repartent dans leurs foyers avec des sentiments bien différents de ceux qu'ils recherchaient. Bon nombre d'entre eux éprouvent un renforcement de leur identité juive, se sentent plus juifs, participent (pour certains à nouveau) à la vie communautaire, viennent étudier ou même s'établir en Israël.

Quels autres effets avez-vous constaté ?

Il y en a plusieurs. L'un des buts majeurs de cette opération est d'établir un lien entre les survivants qui, hélas, sont en voie de disparition et les générations à venir. Il est évidemment impossible d'amener tous les Juifs du monde à Auschwitz. Toutefois, les premiers participants aux Marches ont depuis fondé des foyers et ont des enfants. Tous ont compris l'importance de transmettre le flambeau de la mémoire. Tous ont parlé de ce qu'ils ont vécu à leurs amis et dans leurs communautés et les résultats de ces témoignages sont multiples. Des voyages en Pologne dans les camps et sur les sites des communautés disparues sont organisés tout au long de l'année. Il n'y a pas que la Marche. Les écoles israéliennes proposent de nombreux voyages en Pologne et ceci est d'autant plus important que nous vivons à une époque où l'existence de l'État juif constitue un fait indiscutable. Il est primordial que les jeunes Israéliens sachent ce qu'était le peuple juif et ce qui lui est arrivé avant la création de l'État. En ces lieux, le drapeau d'Israël et le chant de l'hymne national, la "Hatikvah", ont une toute autre signification qu'en Israël même. Nombreux sont ceux qui portent leur drapeau jusqu'à ce que leurs poignets soient meurtris et chantent la Hatikvah à en perdre la voix. Pour les Israéliens, il s'agit d'une source de renforcement de l'identité juive et même nationale, bien que certains affirment ne pas avoir besoin d'une telle expérience pour sentir la fibre patriotique. De plus, il existe malgré tout un fossé psychologique entre les Israéliens et les Juifs de la Diaspora. Lors de la "Marche des Vivants", un sentiment d'unité se fait jour. Soudain, des jeunes Juifs venus d'Amérique du Sud, du Maroc et d'Israël comprennent qu'ils partagent un sort commun et que les nazis ne faisaient pas de différence: ils n'assassinaient ni des ashkénazes, ni des séfarades, mais des Juifs. Afin d'illustrer mes propos, je rappellerai ici l'histoire de ce jeune Israélien d'origine éthiopienne qui, à l'issue de la Marche des Vivants, est venu vers moi et m'a dit: "Pour la première fois, j'ai ressenti mon appartenance au peuple juif." C'est ce type d'expérience qui renforce ce pont dont je vous ai parlé entre les survivants et les nouvelles générations.

Comment pensez-vous que cette aventure tout à fait extraordinaire va se développer ?

Nous avons commencé à élargir l'étendue éducative de notre démarche en faisant participer des étudiants non-juifs à la Marche. Au cours des dernières années, en moyenne 500 jeunes en provenance de 22 pays, y compris d'Allemagne, sont venus avec nous à Auschwitz. Je pense qu'en un temps où la négation de la Shoa fait partie intégrante du cursus intellectuel des meilleures universités du monde, il est très important que Juifs et non-juifs s'allient afin de lutter contre ce fléau. Le seul moyen pour que ces derniers se joignent à ce combat est qu'ils sachent et comprennent de quoi il s'agit. J'ai également fait participer des Arabes israéliens, dont certains députés. Après leur voyage, ils m'ont dit qu'ils comprenaient mieux ce qu'Israël signifie véritablement pour nous et l'importance que nous attachons à avoir un état indépendant.
Pour terminer, je vous dirai que chaque participant à la Marche des Vivants vit une expérience personnelle inoubliable et spéciale. Les exemples et les témoignages sont innombrables, mais chacun vit un moment exceptionnel tant sur le plan individuel que collectif. N'oublions pas que la Marche des Vivants ne va pas uniquement d'Auschwitz à Birkenau, mais qu'elle conduit de Pologne en Israël puisque les jeunes Juifs du monde entier terminent leur voyage à Jérusalem pour y célébrer Yom Haatsmaouth, la fête de l'Indépendance.

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