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Sommaire Analye Printemps 2003 - Pessah 5763

Éditorial – Avril 2003
    • Éditorial

Pessah 5763
    • Identité et existence

Politique
    • Et après ? [pdf]

Interview
    • Un défi de taille

Recherche scientifique
    • Excellence et tradition
    • Le secret du ribosome

Judée - Samarie - Gaza
    • Migron [pdf]

Shalom Tsedaka
    • Rien ne vaut une vie ! [pdf]

Analye
    • Divorce politique [pdf]

Analyse
    • Impuissance ou indifférence ?

Œnologie
    • Le'hayim !

Reportage
    • Volonté - Endurance - Succès [pdf]

Pologne
    • Une tentative de réparation
    • Mémoire et espoir [pdf]

Union Serbie - Monténégro
    • Jérusalem et beograd
    • Savez jevrejskih opstina jugoslavije
    • Quatre enterrements... et un mariage !
    • Hier - aujourd'hui - demain ? [pdf]
    • Quo vadis serbia ? [pdf]
    • Jevrejski istorijski muzej
    • La Shoa en Serbie

Yougoslavie
    • Josip Erlih [pdf]

Éthique et Judaïsme
    • Responsabilité filiale

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Divorce politique

Par Amnon Lord *
En Israël, la seule démocratie du Moyen-Orient, le peuple s'est exprimé le 28 janvier 2003. Non seulement il a donné une victoire écrasante à Ariel Sharon, mais il a surtout rejeté la politique menée par la gauche en général et celle des promoteurs des Accords d'Oslo en particulier. A l'issue des urnes, il s'est avéré que le corps électoral a alloué 25 sièges sur 120 à l'ensemble de la gauche, toutes tendances confondues, alors qu'elle était majoritaire à la Knesset précédente. Afin de comprendre ce qui a provoqué l'écroulement de cette tendance politique, nous avons demandé à AMNON LORD, écrivain, penseur, philosophe et journaliste, de se livrer pour nous à une analyse de ce phénomène. M. Lord est issu du milieu de la gauche au sein duquel il a grandi et dont il a été un militant actif de la frange la plus extrême, à savoir le mouvement "Shalom Akhchav - La Paix Maintenant".

L'état de choc de la gauche israélienne est un des phénomènes marquants qui accompagne l'offensive terroriste arabe. Après plus de deux ans, la gauche semblait avoir repris du poil de la bête, elle s'était réduite mais était devenue plus extrémiste et plus radicale. Tout au long de cette période, et surtout lors du choc initial, il y a eu de nombreuses défections. Il semble que nous ayons une fois de plus traversé une des ces époques historiques au cours de laquelle les idéalistes de gauche se livrent à un examen de conscience et, sentant qu'ils ne peuvent plus supporter l'esprit dogmatique et grégaire qui règne autour d'eux, décident de quitter les rangs de la gauche. Dans certains cas, la position anti-gauche va jusqu'à se transformer en une position de droite. Le journaliste juif américain Ron Rosenbaum, auteur du livre "Explaining Hitler", a exprimé cet état psycho-politique de façon très éloquente dans un article paru récemment dans le New York Observer, intitulé "Adieu à tout cela", dont le sous-titre était "Comment la stupidité de la gauche m'a fait fuir". "Adieu à tout cela" est devenu le slogan utilisé pour désigner le processus historique de défection de la gauche. Il a été lancé pour la première fois dans un article où David Horowitz (dont l'autobiographie porte le titre de "Radical Son") expliquait les motifs qui l'avaient poussé à quitter la gauche. Le rédacteur avait modifié son titre en "Leftie's for Reagan" - "Des gauchistes pour Reagan". La goutte qui avait fait déborder le vase avait été la réaction d'un universitaire américain, qui se félicitait de l'attentat du 11 septembre, sous prétexte qu'il donnait enfin aux Américains l'occasion d'examiner leur passé, comme l'avaient fait les Allemands.
"Je ne pouvais plus le supporter, écrivit Rosenbaum, c'est un adieu définitif... l'incapacité de faire la distinction entre les erreurs passées des États-Unis et l'Allemagne d'Hitler... c'est un adieu définitif... adieu aux 'défilés pour la paix', comme celui qui s'est tenu à Madrid et où des femmes portaient des ceintures d'explosifs en guise de bikini. Il semble que cette 'paix' ne soit pas contradictoire avec la désintégration d'enfants juifs."
En Israël, c'est Haïm Shor qui exemplifie de façon frappante ce phénomène de rejet total. Ancien rédacteur en chef du journal de gauche Al Hamichmar, il a donné en juin 2000 une longue interview à Maariv, où il accuse les palestiniens de l'avoir personnellement trompé et d'avoir berné l'ensemble de la gauche israélienne. Il déclare qu'il ne pourra jamais le leur pardonner. Âgé aujourd'hui de 76 ans, Haïm Shor a été un des principaux artisans du dialogue avec l'OLP: c'est lui qui, dans les années 80, a introduit ses représentants aux États-Unis. On a de la peine à se souvenir que les membres du mouvement "palestinien de libération" ne pouvaient pénétrer le territoire américain, l'OLP étant considérée à l'époque comme une organisation terroriste. Shor et ses collègues de la gauche israélienne se démenèrent pour obtenir des visas pour Nabil Sha'ath et ses amis, afin de les introduire auprès des cercles de la gauche juive américaine. Depuis l'offensive terroriste, Haïm Shor se sent trahi.
Quant à moi, j'ai écrit mon "Adieu à tout cela" déjà en 1999, près d'un an avant l'ouverture des hostilités à Roch Hachanah 5761 (le 28 septembre 2000). Le livre est paru à Pessah 2000 sous le titre "Nous avons perdu ce que nous avions de plus cher - Les origines de la gauche post-juive" (en version anglaise: The Israeli Left: From Socialism to Nihilism). Il s'agit d'un résumé de mon expérience politique des années 90. Lors des élections de juin 1992, j'ai voté pour Meretz et je me suis réjoui, comme la moitié de l'humanité, de la venue au pouvoir de Itzhak Rabin. Il n'y avait là rien de particulier pour moi. On peut dire que je suis né en quelque sorte au sein de la gauche la plus radicale. J'ai grandi dans le kibboutz Ein Dor du mouvement Hachomer Hatsaïr, qui a formé des générations de citoyens de gauche en Israël.
J'ai soutenu les Accords d'Oslo signés le 13 septembre 1993, bien que je me souvienne d'une sensation diffuse de malaise, déjà à ce moment-là. Parce que ces accords s'appliquaient à tous les territoires de Judée, Samarie et Gaza. Les documents signés avec l'OLP étaient en fait l'aboutissement des plans et projets proposés par la gauche au public israélien pendant près de vingt ans; ils répondaient à toutes les pressions internationales, tout en comportant une part immense de risques pour Israël, risques que l'État craignait depuis toujours. L'historien Yacov Talmon (décédé depuis) sut dès 1976 très précisément exprimer les doutes d'Israël: "L'État d'Israël, pris entre des sentiments mixtes et des devoirs contraires, affronte un ennemi intraitable; profondément marqué par les traumatismes de Munich et d'Auschwitz, il appréhende les terribles dangers que comporte toute alternative qu'il aura le courage ou le devoir de choisir et est plongé dans une douloureuse prise de conscience. Or voici qu'on le provoque, qu'on le bouscule, qu'on le presse de plonger sans attendre dans l'inconnu, qu'on le réprimande pour ses atermoiements, pour sa réticence à admettre la création d'un État terroriste à ses portes: un État dont le cri de ralliement est l'annihilation d'Israël... qui est convaincu qu'il est porté par l'Histoire et que le temps travaille en sa faveur."
Feu le professeur Talmon, une des éminentes figures intellectuelles du pays, exprimait ainsi les sentiments de nombreux Israéliens. Il avait écrit ces réflexions alors qu'il était en fait considéré comme un homme de gauche.
Au cours des années 1994, 1995 et 1996, j'eus déjà la sensation que toutes les appréhensions causées par l'arrivée de l'OLP à l'ouest du Jourdain s'avéraient justifiées. Les sanglants actes de violence pendant ces années se succédaient à un rythme sans précédent dans l'histoire de l'État. A peine avions-nous signé deux accords avec l'organisation qui, aux dires de tous, détenait la clé de la solution au problème israélo-arabe, que nous pouvions mesurer les résultats de cet acte. L'établissement au cœur même du pays d'une base destinée à lancer des attaques terroristes sanglantes ! Je ne pus m'empêcher, au cours de ces attentats suicide, de penser aux mises en garde sans cesse prononcées par la droite. Pendant de nombreuses années, j'avais été un simple soldat dans les manifestations de la gauche israélienne, dans les rangs de "La Paix Maintenant" et d'autres groupes plus extrémistes encore. En 1981, j'avais même aspiré du gaz lacrymogène et été arrêté par la police au cours d'une manifestation à Ramallah. Mais je me souviens que les hommes de la droite étaient toujours présents, en marge de nos démonstrations, et nous expliquaient la gorge serrée que nous étions dans l'erreur. Ils essayaient de nous persuader que la création d'un État palestinien ne ferait qu'accroître le terrorisme. A l'époque où l'Union soviétique existait encore, ils nous mettaient en garde contre la création d'une base soviétique, contre la pénétration syrienne. Certes, l'Union soviétique n'est plus, mais il ne fait aucun doute que les sombres prévisions concernant l'usage que feraient les États arabes d'une base OLP à l'ouest du Jourdain se sont réalisées dans toute leur horreur.
Après les attentats suicide perpétrés à Tel-Aviv, rue Dizengoff, à Beit Lid et dans d'autres lieux, j'ai publié des articles dans le journal Tel-Aviv où je travaillais à l'époque. Ils s'adressaient principalement aux leaders de la gauche, les implorant de s'accorder un temps d'arrêt, un temps de réflexion, afin de remettre en question leur voie idéologique, à la lumière des conséquences désastreuses du "processus de paix" d'Oslo. Dans mon reportage publié en mai 1994 dans le journal, Yossi Sarid était catégorique: "Le véritable test pour Arafat sera sa capacité de nous convaincre qu'il fait vraiment tout pour réduire au minimum le terrorisme. Si le nombre d'actes terroristes ne diminue pas et si les efforts d'Arafat ne sont pas convaincants, nous saurons que les accords ont échoué et toute l'affaire en restera là. Si cela doit arriver, nous ne poursuivrons pas le processus de paix pour l'heure, et Arafat terminera sa carrière comme maire de Jéricho."
Par la suite, les actes de terrorisme se sont intensifiés, sous le gouvernement Rabin, puis sous le gouvernement Péres, mais Yossi Sarid et la direction de la gauche n'ont pas tenu parole. "L'affaire n'en est pas restée là", ils ont continué à prôner la poursuite du processus, refusant d'accepter les conséquences de la situation. Ils n'ont prêté aucune attention aux arguments logiques énoncés par de nombreuses personnalités dont bien sûr les porte-parole de la droite, Benjamin Netanyahou et Benny Begin. A cette époque, j'étais critique de cinéma au journal Tel-Aviv. Mais peu à peu, sous la pression des événements, je me suis mis à écrire davantage d'articles politiques. La situation de plus en plus précaire m'a pour ainsi dire contraint à m'exprimer. Une semaine avant l'assassinat de Rabin, je publiais dans le journal Davar Rishon (qui n'existe plus) un article écrit en collaboration avec mon ami le Dr Maoz Azaryahou, intitulé "Les mythes de la gauche israélienne". Je sentais que de jour en jour je me détachais de la culture politique dans laquelle j'avais vécu et dont j'avais été nourri pendant des années. En mon for intérieur, je commençais à saisir que le dogmatisme politique de la gauche face aux atrocités terroristes engendrées par l'utopie pacifiste constituait une part intégrante de la culture de la gauche, de son histoire. Mon sentiment d'asphyxie dans l'environnement de gauche était devenu si intense qu'il ne me restait plus qu'à fuir. C'était exactement le sentiment dont parlait Ron Rosenbaum: la volonté de se couper de cette bande stupide et bornée, incapable de reconnaître une erreur. Et de quelle taille ! Une erreur qui a nous coûté un si grand nombre de vies humaines.
Aux élections de mai 1996, j'ai voté pour Netanyahou. J'ai assisté à la ronde endiablée de la gauche et des médias autour de lui. Il s'est avéré que les Accords d'Oslo n'étaient pas tant un accord de paix qu'un pacte entre la gauche israélienne et l'OLP, en quelque sorte l'instauration d'un régime nouveau en Israël. Malgré les succès évidents de Netanyahou en matière de politique, de sécurité et sur le plan économique, pendant trois ans il y a eu d'incessantes tentatives de lui ôter le pouvoir, par des manœuvres antidémocratiques dignes d'un putsch. Je suis convaincu que si Netanyahou avait été réélu en 1999, nous ne serions pas aujourd'hui plongés dans cette guerre de terreur. Il se peut même, qu'en dépit de toutes les difficultés, nous eussions progressé, pouce par pouce, et obtenu des accords de plus en plus stables avec les palestiniens, oui, sous le leadership d'Arafat. Ce qui est survenu au cours de l'année 2000 a prouvé la justesse de la thèse de Netanyahou; il ne peut y avoir d'état de paix entre Israël et les Arabes que lorsque Israël détient une force de dissuasion crédible. Tout au long de cette année 2000, on a assisté à l'effondrement absolu de l'image d'Israël et partant, à l'affaissement de sa force de dissuasion. Cela a commencé par les négociations infructueuses avec la Syrie et la disposition d'Israël à négocier jusqu'aux eaux du Kinneret; a suivi le retrait précipité de la bande de sécurité au Sud Liban (mai 2000); il y a eu enfin la "liquidation totale" offerte par Barak à Camp David (juin 2000) et à Taba. Tous les experts stratégiques sérieux, y compris le Chef d'état-major actuel, s'accordent pour le reconnaître: le retrait du Liban et la perception arabe d'une victoire du Hizbollah ont constitué le principal stimulant dans la vague de terreur déclenchée en septembre. Sous le gouvernement Barak, Israël semblait affaibli et sans cohésion et les Arabes n'ont pas résisté à la tentation. Ils étaient sûrs que les Israéliens ne tiendraient pas face au prix sanglant de la terreur et s'empresseraient de se retirer des territoires de Judée, Samarie et Gaza comme ils l'avaient fait au Liban. Même ceux qui ont prévu l'offensive terroriste n'ont pas imaginé son ampleur ni les capacités "remarquables" développées par les palestiniens dans ce domaine. Les méfaits terribles des Accords d'Oslo sont apparus en pleine lumière. Seul facteur surprenant: les principaux responsables du processus d'Oslo occupent encore un rôle central dans le paysage politique d'Israël. En revanche, ceux qui ont sans cesse prévenu le public de ce qui risquait d'arriver et dont les prévisions se sont réalisées, sont définis comme extrémistes. Que mes appréhensions et celles de mes amis se soient avérées exactes ne me réjouit pas le moins du monde et ne me donne aucun sentiment de satisfaction. Que mes prémonitions aient déjà été correctes en 1995, quand j'ai réalisé que l'entité palestinienne deviendrait par essence une base pour le terrorisme, n'a pas d'importance. Il y a eu beaucoup de gens, et parmi eux de nombreux simples citoyens, qui ont compris tout cela bien avant moi. Il y a cependant une sensation irremplaçable, une expérience intellectuelle enivrante, incompréhensible pour ceux qui ne l'ont pas vécue: la vérité est libératrice. Celui qui parlait de "paix" se révèle être un ennemi d'Israël, qui souhaite sa destruction. Celui qui parlait de "conquête" est démasqué comme antisémite. Celui qui parlait autrefois de la nécessité de reconnaître la Shoa est dévoilé car il n'est prêt à le faire qu'à condition qu'on lui prouve que les Juifs sont des nazis. Celui qui s'exprimait autrefois contre "la terreur" se réjouit du massacre de Juifs. Car ne s'agit-il pas de "la lutte palestinienne", de "la poursuite de la révolution" ?
Ma nouvelle position m'autorise soudain à jeter à bas les masques du bal costumé politique. C'est là un sentiment particulier qui compense quelque peu la douleur face au sang versé.

*Amnon Lord est écrivain et tient une chronique dans le journal "Makor Rishon". Son livre sur la gauche israélienne, "Nous avons perdu ce que nous avions de plus cher..." est paru en avril 2000.

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