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Sommaire Reportage Printemps 1999 - Pessah 5759

Éditorial - Printemps 1999
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Judaïsme grec - Quo Vadis?

Par Roland S. Süssmann
QUO VADIS ?
«Les Juifs de Grèce ont joué leur rôle dans l’histoire sociale et militaire grecque et furent présents dans la lutte contre les fascistes et l’envahisseur nazi.» C’est en ces termes, et en soulignant le lourd tribut payé par la communauté juive locale pendant la Shoah, que le ministre des Affaires étrangères grec, M. Theodoros Pangalos, définit la communauté juive de son pays dans l’introduction qu’il a écrite dans un livre documentaire que son ministère vient de publier sous le titre «Documents on The History of the Greek Jews».
Les relations judéo-hellénique remontent très loin dans l’Histoire de l’humanité et ont de tout temps constitué un mélange de compétition et de fusion inter-éthniques. D’ailleurs, la culture et la littérature du monde juif hellénophone, en particulier en Égypte, ont grandement enrichi notre patrimoine religieux et national.
Aujourd’hui, la communauté juive de Grèce est l’une des plus petites d’Europe puisqu’elle ne compte qu’environ cinq mille âmes. A Athènes, nous avons été très cordialement reçus par M. MOSES C. CONSTANTINIS, président du «Central Board of Jewish Communities in Greece», dont le père fut l’un des fondateurs et le premier président. Nous lui avons demandé de brosser un tableau de «sa» communauté certes petite en nombre, mais grande de par son histoire.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots comment se présente la situation du judaïsme grec aujourd’hui ?

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la communauté juive de Grèce était fortement diminuée, pratiquement 86% de sa population ayant péri dans la Shoah. Jusqu’à l’occupation par les forces de l’Axe, il y avait une multitude de communautés juives dans de nombreuses villes à travers toute la Grèce, bien structurées et qui comptaient de magnifiques synagogues. Après la guerre, en raison des persécutions nazies et de l’immigration d’une grande partie des survivants en Israël, la majorité de ces communautés a disparu : avant la guerre, nous comptions vingt-huit communautés et aujourd’hui, nous ne sommes plus que huit. La population juive est essentiellement intellectuelle et commerçante, certains sont des hommes d’affaires de stature internationale et, depuis peu, quelques Juifs servent dans la fonction publique. C’est ainsi que j’ai été nommé il y a quelques années Conseiller spécial de l’Administration philatélique hellénique et il y a peu de temps encore, M. Raphaël Moisis était le responsable de la Compagnie nationale d’électricité grecque. Nous n’avons pas de parlementaires juifs, uniquement un conseiller municipal élu…, mon fils. Dans le passé, il y avait des armateurs juifs, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. La majorité des synagogues et des institutions communautaires qui datent d’avant la guerre a été détruite pendant les hostilités ou après la guerre, les communautés restantes n’ayant pas les moyens de les entretenir. Toutefois, la plupart des cimetières ont pu être préservés. Depuis quelque temps, notre comité fait un effort particulier pour promouvoir la maintenance des anciennes synagogues. Notre organisation est avant tout un outil de coordination entre les communautés et de représentation de l’ensemble de la population juive de Grèce envers les autorités. Nous avons bien entendu à cœur de préserver les droits des Juifs dans le pays. Les problèmes sociaux sont réglés dans le cadre de programmes spécifiques régis par les communautés locales, que nous soutenons directement lorsque cela s’avère nécessaire.


La religion juive est-elle officiellement reconnue ?

En fonction de la Constitution grecque qui date de 1827, la liberté religieuse est garantie pour toutes les religions reconnues, donc également pour le judaïsme. Jusque très récemment, la religion figurait sur le passeport. Aujourd’hui, elle n’est plus mentionnée que sur la carte d’identité et nous avons entrepris des démarches importantes afin qu’elle soit également abolie dans ce document, car nous considérons qu’il s’agit d’une inscription discriminatoire.

Dans la diaspora en général et dans les communautés européennes en particulier, le taux d’assimilation et de mariages mixtes est très élevé. Qu’en est-il en Grèce et comment luttez-vous contre ce fléau ?

Malheureusement, la Grèce connaît une grande assimilation ainsi qu’un taux non négligeable de mariages mixtes. A notre niveau, nous faisons ce qui est en notre pouvoir afin de promouvoir des activités pour la jeunesse juive ce qui est très difficile à Athènes en raison des distances et de la dissémination de la population juive à travers toute la ville. A cela s’ajoute évidemment le fait que la jeunesse juive est, comme partout, préoccupée par ses études et son avenir professionnel. Nous promouvons aussi des voyages en Israël afin que nos jeunes puissent rencontrer des Juifs du monde entier.

Existe-t-il une forme d’antisémitisme vocal et actif en Grèce ? Connaissez-vous des mouvements ouvertement antisémites ou racistes, comme c’est le cas pour l’extrême droite dans d’autres pays européens ?

Nous parlons de trois facteurs bien distincts : l’État grec, l’Église orthodoxe et la population. Au niveau de l’État et sur le plan officiel, nous n’avons jamais été confrontés à une attitude antisémite, aussi insignifiante soit-elle. Il en est de même quant à la position officielle de l’Église dont je tiens à souligner ici que pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux membres du clergé ont secouru des Juifs. Au niveau de la population plus simple, je ne peux pas dire que nous ayons à faire face à des problèmes d’antisémitisme majeurs. La population moins éduquée a bien entendu un certain nombre de préjugés qui se traduisent en général par une expression antisémite assez folklorique et isolée, pour ne pas dire primitive. Tout cela ne signifie pas que des voix antisémites ne se font pas entendre en Grèce. Il existe un hebdomadaire, certes marginal et à petit tirage, ouvertement antisémite, ainsi qu’un petit parti dont la plate-forme franchement raciste et antisémite arrive à réunir 3% des voix à chaque élection, sans jamais avoir réussi à se faire élire au Parlement.

Quel est le problème majeur qui préoccupe le leadership de la Communauté juive de Grèce en 1999 ?

Sans aucune hésitation, je dirai les mariages mixtes.

En votre qualité de notable juif, vous avez une certaine vue de votre communauté. Comment préparez-vous l’avenir et comment le voyez-vous ?

Tout d’abord, je voudrais arriver à maintenir et à préserver l’identité juive des membres de nos communautés et voir une meilleure acceptation de la Communauté juive dans la société grecque en général. Je désirerais également mettre en œuvre un programme pour un système plus adapté de conservation et de rénovation des anciens sites juifs, preuves d’une présence juive très ancienne dans le pays, en particulier les synagogues qui sont à l’abandon à travers toute la Grèce, projet qui me tient particulièrement à cœur. J’ai aussi mis en place un plan de construction de monuments du souvenir de la Shoah dans les villes où les communautés ont disparu et ce en coopération directe avec les municipalités. A cet égard, nous sommes à présent en pourparlers avec les conseils municipaux de Corfou, de Ioannina et d’Athènes.

Nous le voyons, la communauté juive de Grèce est certes petite, mais se bat pour sa survie. En partant, M. Constantinis nous a dit : «C’est vrai, nous sommes une communauté juive ancienne, mais qui se sent jeune et vigoureuse.»

LA JEUNESSE
En marge de notre entretien avec M. Moses Constantinis, nous avons fait la connaissance de sa fille, Mlle ELIANNE CONSTANTINIS, étudiante en mathématiques et présidente de l’Union des étudiants juifs de Grèce. Au cours de notre conversation, elle nous a raconté que les activités de son groupe consistent surtout en des week-ends de jeunes juifs qui ont lieu tous les trois mois et auxquels participent en moyenne 70 personnes sur les 700 invitées de partout en Grèce. Une fois par an, une «grande rencontre nationale» est organisée à laquelle environ 110 personnes assistent, où soit un rabbin soit un responsable communautaire est invité à prendre la parole. Au cours de l’année, les activités culturelles juives pour la jeunesse sont du ressort des différentes communautés. A la question de savoir si Elianne envisage d’aller vivre en Israël, elle nous a répondu : «Certes, il y a quelques jeunes qui font leur Alyiah. Pour ma part, comme pour la majorité de mes amis, je me sens bien en Grèce et surtout, je me sens très grecque. La plupart d’entre nous ne mangent pas casher et ceux qui le font le font de façon très édulcorée - à la grecque -, c’est-à-dire qu’ils ne consomment pas de porc au restaurant et qu’à la maison, ils ne mélangent pas les produits lactés et carnés…» De petites délégations de la jeunesse grecque prennent part à des rencontres internationales ainsi que de temps en temps à la «Marche des Vivants» à Auschwitz.

LE RABBINAT
Dans le cadre de notre discussion avec le rabbin JACOB D. ARAR, rabbin d’Athènes, lui-même grec, nous avons constaté qu’il exerce sa mission dans des conditions extrêmement difficiles. Diplomatiquement, il nous a dit : «La Communauté juive de Grèce est plus traditionaliste que pratiquante. Dans l’ensemble, les Juifs achètent de la viande casher pour la maison, ils observent une sorte de casherouth à domicile.» En termes concrets, cela signifie que très peu de fidèles mangent casher et se tiennent à la pratique religieuse. Il est impossible de maintenir un restaurant casher et la viande est vendue par une boucherie non-juive, ce qui exige que chaque morceau soit tamponné avec le sceau du rabbinat. Presque tous les produits casher sont importés d’Israël, tels les matzoth, le vin, la viande de dinde, etc. Le rabbin Arar estime que la proportion de mariages mixtes n’est pas exagérément élevée, il procède à des conversions lorsque cela s’impose. A la question relative aux relations du Rabbinat avec l’Église orthodoxe et l’Épiscopat grec, le rabbin nous a confié : «Nous entretenons des relations correctes… Officiellement, tout est idyllique. Avant d’accéder à son poste, le nouveau Primat de Grèce publiait régulièrement des articles défendant la cause juive et continue aujourd’hui dans cette même ligne. Cela dit, nous avons dû faire face à de graves problèmes avec des organisations qui gravitent autour de l’Église et je ne peux pas nier le fait qu’il y a de l’antisémitisme, y compris là où il n’y a pas de Juifs.»
Parallèlement à notre conversation avec le rabbin J. Arar, nous avons rencontré le rabbin ISAAC MIZAN, qui détient aussi les fonctions de mohel (circonciseur), de shokhet (abatteur rituel) et d’enseignant des matières religieuses à l’école juive d’Athènes. Le rabbin Mizan n’est ni content ni optimiste. De par son activité sur le terrain, il tire une image plutôt pessimiste de la situation du judaïsme grec. Par exemple l’école primaire juive d’Athènes (jusqu’à l’âge de 12 ans), qui compte 110 élèves, ne dispense que trois heures par semaine de cours de judaïsme élémentaire sur les fêtes, shabbat, un peu d’histoire juive, etc. Toutefois, un professeur israélien enseigne l’hébreu aux enfants. En ce qui concerne la casherouth, 30 familles à Salonique et 60-70 à Athènes achètent de la viande casher. Fait exceptionnel, la Communauté juive de Grèce met un point d’honneur à ce que le poulet casher, tout comme la viande lorsqu’il y en a, soient vendus au même prix que les produits non-casher. Pour les circoncisions, le rabbin Mizan nous a expliqué que les nouveau-nés issus de couples dont l’épouse n’est pas juive peuvent, si les parents le désirent, être circoncis par le mohel, mais avec quelques restrictions. Ne s’agissant alors plus d’un acte religieux selon la Halakha mais d’une intervention «chirurgicale», les parents du bébé doivent se rendre chez un avocat pour signer d’une part un permis autorisant le mohel à procéder à l’acte, ce afin qu’il ne risque pas un procès avec le corps médical grec, et d’autre part la mère doit s’engager par contrat à élever son fils dans la religion de son père, le judaïsme. Pour les filles issues de couples mixtes et souhaitant être acceptées à l’école, on leur demande de se convertir au judaïsme à l’âge de 12 ans. Le rabbin Mizan nous a tristement confié : «Les parents peuvent signer tout ce qu’ils veulent, en général ils divorcent après quelques années et comme le plus souvent les enfants restent avec leur mère non-juive, ils sont perdus pour nous, ce qui n’est pas très prometteur pour l’avenir.»

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