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Sommaire Éducation Printemps 1995 - Pessah 5755

Éditorial - Avril 1995
    • Éditorial

Pessah 5755
    • Aussi facile que de diviser la mer Rouge

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Devenir soi-même

Par Roland S. Süssmann
"Capables, mais différents". C'est ainsi que CISSIE CHALKOWSKY qualifie les élèves qui lui sont confiés dans le cadre de l'institution qu'elle a fondée et qu'elle dirige, l'OULPANA NEVE ROUHAMA à Jérusalem. Chaque année, des milliers d'élèves se voient interdire l'accès à l'enseignement secondaire en raison de résultats insuffisants aux examens de passage. Refusant cette sélection arbitraire, Neve Rouhama accueille ces jeunes qui, grâce à ses méthodes pédagogiques révolutionnaires basées sur la "réorganisation de la réflexion" et "l'enrichissement expérimental", obtiennent des résultats extraordinaires. L'école compte aujourd'hui 200 jeunes adolescentes religieuses et en septembre dernier, une première section pour garçons a ouvert avec 80 élèves.


L'idée directrice de votre méthode d'enseignement est de redonner confiance en soi à des jeunes ayant subi un échec scolaire et qui, de ce fait, ont une piètre opinion d'eux-mêmes. Dans quel esprit approchez-vous ces adolescents et leurs problèmes ?

Notre devoir est d'apporter un enseignement à un enfant doté d'une intelligence moyenne ou supérieure ne réussissant pas dans ses études ou montrant d'importantes difficultés dans sa manière d'étudier. En règle générale, si l'enfant ne s'intègre pas parfaitement au système scolaire normal, il est rejeté. Nous avons créé une école adaptée aux besoins de chacun, le but étant d'aider ces jeunes à accomplir ce que le pays attend d'eux. Si l'Education nationale exige l'obtention de la maturité pour entrer à l'Université, c'est à nous de donner la possibilité à l'enfant qui n'a pas trouvé sa place dans le système général d'enseignement de poursuivre des études mettant en valeur ses capacités intellectuelles. Il est impensable de dire:" parce que cet enfant est différent, je vais lui faire un programme qui ne correspond pas à celui du pays". Nous sommes tenus de le munir d'outils qui le mèneront au succès. En Israël, à l'âge de 13 ans, les élèves sont soumis à des tests psychométriques qui déterminent la suite de leur scolarité et leur aptitude à poursuivre une formation académique.


Comment procédez-vous ?

Les jeunes qui nous sont présentés ont été rejetés par le système scolaire national. Partant du principe que l'enfant n'a que très peu de connaissances, nous testons avant tout ses capacités et son potentiel. Dans les écoles d'Etat, l'élève doit faire preuve d'un certain niveau aussi bien sur le plan psychométrique qu'en hébreu, anglais et mathématiques. Nous évaluons son savoir dans ces matières, non pas pour opérer une sélection, mais afin de lui prodiguer un enseignement en fonction de ses connaissances réelles. Dès qu'un enfant est accepté, nous devons déterminer - selon son potentiel - les raisons nombreuses et variées de son échec dans le système dit "habituel". Ce peut être le cas d'un enfant entouré de frères et sýurs brillants, alors que lui n'est que moyen et, de ce fait, mis de côté par la famille; d'un enfant ayant un sérieux handicap ou un blocage face aux études; d'un enfant introverti qui, n'ayant pas compris la première explication, a honte de le dire et n'ose pas demander d'éclaircissements, ou encore du petit qui, depuis le jardin d'enfants, était toujours "adorable", ne dérangeant jamais et qui "certainement fera un bon père ou une bonne mère...". C'est justement de celui-là dont on doit se méfier car, en grandissant, un enfant doit être turbulent et interrogateur. Lorsque nous avons cerné ses problèmes, nous mettons au point un programme pour aider l'enfant à poursuivre ses études dans le cadre de la scolarité même ou en dehors des heures de cours. Dans l'ensemble de nos classes, nous dispensons 240 heures de cours par semaine d'enseignement purement scolaire et donnons 300 heures de cours privés avec un personnel totalement différent, afin d'aider les élèves à apprendre et à comprendre pour être à même de poursuivre leurs études avec succès. Certains suivent des thérapies de psychologie, d'orthophonie et des séances de physiothérapie. Il faut bien réaliser qu'avant de venir chez nous, ces adolescents ont subi échec sur échec. Une classe moyenne compte 26 élèves, mais il y en a en permanence 6 ou 7 qui s'absentent afin de suivre des cours spéciaux. N'oublions pas que les élèves restants, qui constituent la majorité de la classe, sont eux-mêmes des échecs scolaires et que tout l'enseignement a été structuré pour répondre à leurs besoins. Il faut bien comprendre l'ampleur de notre tâche: il s'agit de faire rattraper à ces jeunes tout ce qu'ils n'ont pas acquis pendant leur scolarité primaire, et de les préparer de manière à ce qu'ils soient prêts à l'âge de 16 ans à entrer dans le cycle des examens de maturité. Afin d'atteindre ce but, il ne suffit pas d'enseigner de manière à être compris, il faut construire, dans certains cas reconstruire la personnalité d'un adolescent qui ne croit pas ou plus en soi. Nous leur enseignons la manière de réfléchir et de digérer les matières enseignées d'une façon adaptée à leur mode de pensée. Si nous leur donnons des devoirs, nous leur inculquons le moyen de les faire. Etant une école religieuse, l'enseignement des matières juives est très développé et constitue un élément très positif dans notre travail.


Comment votre mode d'enseignement et de traitement est-il vécu dans les familles ?

Nous travaillons avec un psychologue réputé, le Dr Stuart Chesner, qui, dans le cadre de l'école, dirige un programme auquel participent les élèves, les parents et les professeurs, le but étant de donner confiance en soi et l'estime de soi-même à ces jeunes. Cela peut commencer par un petit rien comme une coupe de cheveux différente ou une façon de s'habiller mettant en valeur l'adolescent. Même les activités extra-scolaires sont façonnées de manière à ce que l'enfant, qui n'était avant qu'un "perdant, voire un raté toujours relégué au deuxième plan", devienne l'acteur, même l'acteur principal. Ainsi, des chances s'offrent à ceux qui, auparavant, n'en avaient jamais, et ce aussi bien à la maison qu'à l'école. De leur côté, les parents sont obligés de travailler avec l'école, ils s'y rendent environ toutes les trois semaines pour assister à des groupes de formation où ils apprennent par exemple à mettre en valeur l'enfant "qui fait la vaisselle lorsque l'on a des invités, car il risquerait de dire une bêtise et de faire honte". Il s'agit souvent de rééduquer les parents, de leur faire admettre que leur enfant, qui à première vue est différent, a aussi un grand potentiel et peut faire des études. Cela demande beaucoup de travail, une grande formation des enseignants, car rien n'est plus difficile que de lutter contre des préjugés profondément ancrés.


Parmi vos élèves, vous avez de nombreux dyslexiques. Comment travaillez-vous avec eux ?

Avant que ne soient inventées les lunettes, on estimait qu'un enfant qui n'arrivait pas à lire était idiot. Grâce aux verres correcteurs, cet "idiot" ne l'est plus. Dans un certain sens, il en va de même avec la dyslexie, trouble de la capacité de lire, difficulté de reconnaître et de reproduire le langage écrit. Il faut donc mettre au point un système permettant à la personne atteinte de cette difficulté de voir et de comprendre les signes et les lettres de façon adaptée. Enseignante, j'étais frappée par le fait d'être confrontée à des enfants visiblement intelligents, mais qui n'étaient pas à même de passer un examen très simple. Je me suis donc renseignée, entourée de spécialistes avec lesquels nous avons progressivement mis au point un système d'enseignement permettant à ces jeunes de poursuivre leurs études.


Votre école réunit les éléments faibles de la société, ceux qui ont subi des échecs et qui ne peuvent pas suivre dans un système scolaire dit normal. Vos élèves le savent. Ne sont-ils pas gênés de dire qu'ils sont dans votre institution ?

Notre philosophie d'enseignement est de permettre à chacun de nos protégés de se découvrir et de mettre en valeur son potentiel. Le seul moyen de résoudre un problème est d'admettre qu'il existe. Nous disons à nos élèves: "Là où vous étiez, vous représentiez le maillon faible de la chaîne. Vous êtes venus chez nous pour devenir forts." Nous apprenons à ces enfants à savoir poser les bonnes questions, à sortir de la généralisation et à différencier les choses. Nous leur expliquons qu'une erreur peut être corrigée, que c'est une chance d'apprendre quelque chose de plus, de nouveau. Nos enseignants poussent l'enfant à ne pas être gêné de ne pas savoir ou de ne pas comprendre, et surtout à se sentir à l'aise avec le fait de poser des questions. Nous pensons qu'un enfant qui ne pose pas de questions n'a pas besoin de grands discours, mais d'apprendre à poser des questions.


Comment mesurez-vous votre succès ?

Nous savons que nous sommes sur la bonne voie, bien que nous apportions des améliorations permanentes à notre système. Nous avons de nombreux cas d'adolescentes qui, ayant terminé leurs études chez nous, mènent aujourd'hui une vie que personne n'aurait jamais espéré; ni elles-mêmes, ni leurs professeurs et encore moins leurs parents. Plusieurs de ces jeunes filles ont épousé des académiciens, chose qui paraissait impensable lorsqu'elles sont entrées chez nous ! En général, sur une classe de 26, nous savons dès le départ que 15 élèves passeront leur maturité après quatre années d'études; environ 6 ou 7 finiront leurs études secondaires deux ans plus tard. Quant aux autres, comme je sais dès le début qu'elles ne réussiront pas la maturité, nous les guidons, dans le cadre de l'école, vers un métier en rapport avec leurs capacités. Mais nous avertissons les parents dès le départ. N'oublions pas que sur la vingtaine qui obtient la maturité chaque année, aucune n'avait la moindre chance avant de venir chez nous !


Une fois la maturité passée, quel genre d'études poursuivent-elles ?

Dans la plupart des cas, elles suivent une formation d'infirmière ou d'assistante sociale, leur désir étant de venir en aide aux personnes en difficulté.


Au cours des neuf premières années de son existence, Neve Rouhama n'était ouvert qu'à des jeunes filles religieuses. Depuis 1994, vous avez une section pour garçons. Comment les choses se passent-elles ?

Au mois d'avril 1994, nous avons mis une seule annonce dans la presse informant que nous allions ouvrir la section pour les garçons. En quinze jours, nous avons reçu 100 inscriptions et en avons retenu 80, réparties sur quatre classes. Il s'agit d'adolescents entre 12 et 15 ans, alors que les filles ont entre 14 et 18 ans.


Avez-vous constaté une différence entre les garçons et les filles quant à leur approche face à vos méthodes d'enseignement ?

La proportion mondiale d'enfants atteints de difficultés scolaires est la suivante: 7 garçons pour 1 fille. Toutefois, nous nous sommes aperçus que le niveau intellectuel général des garçons chez nous est supérieur à celui des filles. Un adolescent qui est intelligent et qui, pour une raison spécifique, ne réussit pas dans ses études, devient rapidement agressif, l'élément perturbateur de la classe, et est très vite mis à la porte. Les filles, c'est le contraire: elles se referment sur elles-mêmes et ne dérangent personne. Souvent, nous devons leur apprendre à devenir turbulentes. A l'école des garçons, nous avons dû engager quelqu'un spécialement pour faire régner la discipline, ce qui n'a jamais été le cas chez les filles. Les garçons ont beaucoup de problèmes de concentration, nous devons donc travailler avec des petits groupes de 15 élèves, changer souvent de sujet, les intéresser en permanence et surtout canaliser leur énergie, ce que nous faisons en multipliant les activités sportives. Cela dit, nous venons de commencer avec les garçons, mais je peux vous dire que nous gagnons tous les jours un peu plus en expérience.


Quelles sont vos sources de financement ?

Nous obtenons des subsides de l'Etat, les parents contribuent et nous organisons des appels de fonds et des collectes.


Quels sont vos projets d'avenir ?

Nous continuerons à nous développer et surtout à rester au service des adolescents qui ont besoin d'un système d'enseignement adapté à leurs besoins, ce aussi bien en Israël que dans la Diaspora. De plus, nous pensons multiplier les centres de formation pour des professeurs et des éducateurs.



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